La réconciliation OLP-Hamas ou le dernier pari de Mahmoud Abbas

L’accord conclu le mercredi 23 avril à Gaza entre l’Autorité palestinienne, présidée par Mahmoud Abbas, et le mouvement islamiste palestinien Hamas pour la formation d’un gouvernement de « consensus national » a suscité la colère des Israéliens et de l’administration américaine. Il est le résultat de l’échec de neuf mois de négociations israélo-palestiniennes qui devaient aboutir à un « accord-cadre » favorisant la création d’un Etat palestinien et apporter une solution au « statut final » : frontières, colonies, réfugiés, statut de Jérusalem, sécurité.

L’Autorité palestinienne est établie dans la ville de Ramallah, en Cisjordanie, depuis 1996 et l’évacuation de l’armée israélienne après la signature des accords de paix d’Oslo en 1993. Le Hamas contrôle la bande de Gaza depuis juillet 2007 suite à sa victoire aux élections législatives palestiniennes de 2006 et l’expulsion de l’administration de l’OLP après de violents combats. Trois accords ont été signés entre les deux parties depuis 2011 sans jamais être suivis d’effet.

Le présent accord fixe un cadre et un calendrier pour la tenue d’élections législatives et présidentielle dans un délai de six mois. Mais il ne répond pas encore aux principaux points de litige qui concernent l’unification des services de sécurité palestiniens, la structure des nouvelles institutions nationales et la position qui sera adoptée vis-à-vis d’Israël dont le Hamas ne reconnaît pas l’existence. Il faut préciser à cet égard que le mouvement islamiste ne fait pas partie de l’OLP.

Le gouvernement de « consensus national », qui devrait être constitué d’ici à la fin mai devrait être composé de personnalités indépendantes afin de pouvoir continuer à bénéficier de l’aide internationale. Le Hamas est en effet considéré comme une « organisation terroriste », non seulement par Israël, mais aussi par les Etats-Unis et l’Union européenne. C’est la raison principale de la colère du gouvernement israélien et de l’administration américaine suscité par cet accord.

Face à cette réaction, un dirigeant de l’OLP, Jibril Rajoub, a assuré que « le prochain gouvernement de consensus national proclamera de façon claire et nette qu’il accepte les conditions du Quartette » pour le Proche-Orient (Etats-Unis, Russie, UE et Nations unies). Le Quartette exige du Hamas qu’il reconnaisse Israël ainsi que les accords conclus avec l’OLP et renonce à la violence. L’ONU dit avoir reçu l’assurance du président Abbas que l’accord inter-palestinien se fera sur la base de ces engagements.

La direction du Hamas ne s’est pas officiellement exprimée sur ce point. Mais on estime que l’isolement du mouvement islamiste palestinien à Gaza, depuis le renversement du président islamiste égyptien Mohamed Morsi et sa rupture avec Damas où la direction du Hamas était installée, s’il a pu favoriser le présent accord inter-palestinien, pourrait faciliter un rapprochement des positions vis-à-vis d’Israël. C’est en tout cas le pari fait par Mahmoud Abbas.

Réconcilier les frères ennemis palestiniens et entrer ainsi dans l’histoire

Affaibli par l’échec des négociations avec Israël – qui a augmenté de 123 % la création de colonies en territoire palestinien entre 2012 et 2013 et menacé de remettre en question le statu quo sur l’esplanade des mosquées à Jérusalem pour autoriser les juifs à y prier –, Mahmoud Abbas avait durci le ton et signé, à la fin du mois de mars, une demande d’adhésion à quinze agences et traités internationaux, dont la Quatrième Convention de Genève sur la protection des civils « en raison de son applicabilité aux Territoires palestiniens comme territoires occupés  » et à la colonisation. La direction palestinienne réclamait également la libération d’un millier de prisonniers, dont des dirigeants tels que Marwan Barghouthi et Ahmad Saadat, ainsi que des malades, des personnes âgées et des femmes, enfin l’ouverture permanente du passage frontalier entre la Cisjordanie et la Jordanie pour faciliter le regroupement familial.

Or, Américains et Israéliens avaient prévenu le président Abbas que toute initiative visant à obtenir la reconnaissance de l’Etat de Palestine par le biais d’une adhésion aux agences des Nations unies entraînerait de leur part des représailles. Il n’y eut pas de représailles. Et Mahmoud Abbas a répliqué en affirmant : « Les menaces d’Israël ne font plus peur à personne, et ils peuvent faire ce que bon leur semble ». En concluant un accord surprise avec le Hamas, il a montré sa détermination à garder l’initiative.

Dans cette partie de bras de fer, le gouvernement israélien n’a pas été en reste puisqu’il a demandé à l’armée d’envoyer des appels à la conscription aux Arabes israéliens de confession chrétienne. Cette décision fait suite aux pressions israéliennes pour que l’Autorité palestinienne reconnaisse l’identité juive de l’Etat d’Israël, excluant de fait plus de 20 % de la population israélienne. La population arabe d’Israël est en effet estimée à 1, 7 million de personnes.

Pourtant, passé le premier choc qui a suivi la rupture brutale des négociations israélo-palestiniennes et l’accord entre l’OLP et le Hamas, l’administration américaine a fini par se faire une raison. Le secrétaire d’Etat américain John Kerry a affirmé que ses efforts pour négocier un accord de paix ne sont pas un échec, ils sont dans une « phase d’attente » le temps que les parties réfléchissent à leur approche. « Nous ne pouvons pas forcer les parties à prendre des mesures qu’elles ne veulent pas prendre  », a indiqué sa porte-parole Jennifer Psaki.

De son côté, la ministre israélienne de la Justice Tzipi Livni, principale diplomate en charge des négociations de paix avec les Palestiniens, a estimé qu’il était important d’attendre de voir quel visage le futur gouvernement d’union palestinien allait présenter. Si celui-ci inclut le Hamas, il aura pour conséquence la suspension de la coopération sécuritaire avec Israël. Selon le quotidien israélien Maariv, les forces de sécurité israéliennes pourraient ne plus pouvoir compter sur leurs homologues palestiniennes et agir seules en cas de « nécessité d’élimination ciblée » à Gaza ou en cas de « menace terroriste » en Cisjordanie.

Pour contribuer à l’apaisement, Mahmoud Abbas a, dans un communiqué diffusé la veille de la commémoration de la Shoah le 28 avril, qualifié l’holocauste de « crime le plus odieux » de l’ère moderne, exprimant sa sympathie pour les familles des victimes juives. Présidant le Conseil central palestinien (CCP), une instance dirigeante de l’OLP, Mahmoud Abbas a par ailleurs affirmé que « le prochain gouvernement obéira » à sa politique. « Je reconnais l’Etat d’Israël, je rejette la violence et le terrorisme et je respecte les engagements internationaux », a-t-il précisé dans son discours retransmis en direct à la télévision.

Après cette phase de psychodrame, il faudra voir si Mahmoud Abbas parviendra à constituer un gouvernement indépendant et remporter les élections législatives et présidentielle. Mais pourra-t-il convaincre le Hamas de renoncer à sa charte qui nie l’existence d’Israël ? De son côté, Benyamin Netanyahou acceptera-t-il de reprendre les négociations avec un gouvernement palestinien composé de technocrates ? On peut en douter, car l’instabilité de la situation régionale – Syrie, Irak, Iran – ne favorise pas, pour l’instant, un accord de paix.

Le pari de Mahmoud Abbas est en tout cas audacieux : réconcilier les frères ennemis palestiniens, mais aussi contribuer au réveil du mouvement israélien favorable à la paix en échange des territoires. Et entrer ainsi dans l’histoire. Pourquoi pas ?

 



 

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