Les métastases régionales de la guerre en Syrie s’aggravent

Un chasseur russe de type SU-25 a été abattu, le samedi 3 février, par un groupe djihadiste au dessus de la province d’Idlib, dans le nord-ouest de la Syrie où le régime, soutenu par Moscou, mène une offensive militaire. D’autre part, dans la région d’Afrin, sept soldats turcs ont été tués, portant à plus d’une trentaine le nombre de victimes militaires turques depuis l’offensive d’Ankara contre les forces kurdes de l’YPG. Contrairement aux récentes déclarations de Vladimir Poutine qui voulait s’appuyer sur ses succès armés pour imposer en Syrie une paix à sa convenance, la guerre se poursuit et menace même de s’étendre dans la région.

Otto Dix. Tryptique de la guerrre. 1932

Le « Congrès du dialogue national syrien » qui s’est tenu le mardi 30 janvier à Sotchi, au bord de la mer Noire dans le sud de la Russie, n’a pas été – c’est le moins que l’on puisse dire – une grande réussite pour Vladimir Poutine. Près de 1500 délégués se sont réunis, avec 24 heures de retard, dans une grande confusion et ont accueilli avec brouhaha le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, chargé de remplacer le maître du Kremlin qui avait apparemment mieux à faire.
Les principaux opposants de Bachar el Assad ainsi que les délégués kurdes de Syrie et d’Irak se sont abstenus de faire le déplacement. Plusieurs dizaines d’opposants dits « modérés » sont repartis lundi juste après leur arrivée à l’aéroport de Sotchi et ont réussi à retarder l’ouverture de la conférence après avoir vu placardés les nombreuses photos de Bachar el Assad et le drapeau syrien qu’ils ne reconnaissent pas comme l’emblème de la Syrie.

L’offensive militaire turque rebat les cartes

L’offensive militaire turque débutée dans la nuit du 18 au 19 janvier au nord-ouest de la Syrie a en effet rebattu les cartes. C’est à grand renfort de tirs d’artillerie et de raids aériens que le président turc Recep Tayyip Erdoğan a lancé plusieurs milliers de combattants syriens, habillés et équipés de pied en cap par l’armée turque, dans ce qui constitue une véritable conquête d’un Etat souverain par un membre de l’OTAN avec l’aval de Moscou.
Le président turc a pour ambition affichée de détruire les trois enclaves kurdes du Nord syrien et de bouter loin de ses frontières les soldats américains présents sur les deux rives de l’Euphrate en appui aux combattants kurdes des YPG (Yekîneyên Parastina Gel ou Unités de protection du peuple).
En Turquie, les opposants à cette offensive militaire de l’armée – une première depuis l’invasion turque du nord de Chypre en 1974 – sont systématiquement arrêtés pour complicité avec le terrorisme. L’inquiétude est grande que cette équipée militaire se perpétue en occupation durable. Il est vrai que Recep Tayyip Erdoğan a toujours proclamé son ambition de créer dans le nord de la Syrie un territoire où se regrouperait les quelque trois millions de Syriens réfugiés en Turquie.
Pour Moscou, l’offensive turque est un moindre mal : outre qu’elle perturbe les plans de Washington qui a annoncé vouloir créer une armée de 30 000 combattants des Forces démocratiques syriennes (FDS) composée majoritairement de Kurdes, elle pourrait faciliter la constitution d’un axe militaire qui ouvrirait la route nord-sud à l’armée de Bachar el Assad appuyée par l’aviation russe et les combattants du Hezbollah.

Contrer l’axe iranien

A cet égard, il n’est pas anodin que le premier ministre israélien Benjamin Netanyahu se soit rendu le lundi 29 janvier à Moscou pour une longue entrevue avec Vladimir Poutine. Celui-ci a dépêché le lendemain à Jérusalem le général Nikolaï Patrouchev, patron du FSB, à la tête d’une importante délégation russe.
Pour le Premier ministre israélien, la question de la présence des pasdarans iraniens et du Hezbollah dans le sud de la Syrie est une menace pour l’Etat hébreu. Pour Vladimir Poutine, la politique offensive que Washington prépare sur le sol syrien remet en question le statu quo qui prévaut depuis le démantèlement du territoire conquis par Daech.
Outre l’annonce de la formation d’une armée de 30 000 combattants des FDS, Washington a laissé entendre que 125 000 soldats américains se préparent à intervenir sur le sol syrien. La multiplication des attaques au gaz sarin de la part de l’armée de Bachar el Assad pour briser la résistance de la Ghouta, au sud de Damas, pourrait fournir le prétexte d’un changement de la politique américaine vis-à-vis du régime syrien. Les déclarations récentes du secrétaire d’Etat Rex Tillerson sur le départ du dictateur syrien après une période de transition sont significatives de la volonté de Washington de s’impliquer plus fortement dans le conflit.
Contrer l’axe iranien qui traverse le monde arabe d’est en ouest est l’objectif des Américains, des Israéliens, des monarchies du Golfe et de l’Egypte.

Préparatifs de guerre

Vladimir Poutine, qui avait annoncé en décembre l’allègement du dispositif militaire russe en Syrie, a, depuis, modifié sa stratégie. Ce ne sont pas moins de six bases militaires au lieu de deux que la Russie a constituées entre l’ouest et le centre de la Syrie. Les manœuvres militaires conjointes des Russes avec les pasdarans, le Hezbollah et l’armée de Bachar el Assad se rapprochent dangereusement du sud, frontalier de la Jordanie, où sont positionnées des troupes américaines, et d’Israël qui est en état d’alerte permanent depuis l’été dernier sur le plateau du Golan, le mont Hermon et la Galilée, frontaliers du Liban.
Israël a le feu vert de Washington pour effectuer des raids dits « préventifs » sur des positions militaires des pasdarans et du Hezbollah en Syrie avec, pour l’instant, la « compréhension » de Moscou.
Mais si l’armée américaine, qui stationne actuellement quelque 2 000 soldats sur une dizaine de positions dans le nord et le nord-est syrien, devait recevoir des renforts substantiels, pourrait-on éviter un affrontement avec les troupes russes dans le ciel, au sol ou en Méditerranée ?
Des préparatifs de guerre sont en tout cas en train de se faire tant du côté iranien que du côté israélien. La question est de savoir si un conflit plus généralisé pourrait impliquer Washington et Moscou, ce qui n’a jamais eu lieu durant la guerre froide.
La reconfiguration du Proche-Orient est en cours. Une guerre destructrice pourrait approfondir l’impasse dans laquelle on se trouve et entraîner une crise internationale aux conséquences incalculables.