Echec du Conseil européen, la faute à l’Ukraine

C’est le cas depuis l’automne dernier et une fois encore, le mercredi 16 juillet, l’Ukraine s’est invitée au Conseil européen. Les vingt-huit chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union européenne étaient censés désigner la personnalité, homme ou femme, chargée de conduire la politique étrangère et de sécurité commune en remplacement de Catherine Ashton, et le président du Conseil européen, élu pour deux ans et demi renouvelables, successeur d’Herman Van Rompuy. Ils n’ont pas réussi à se mettre d’accord et ils ont renvoyé leurs décisions à la fin du mois d’août.
La faute à l’Ukraine ? En partie. Les responsables européens se sont certes entendus pour aggraver les sanctions contre la Russie pour absence de bonne volonté. Comme Barack Obama, les Européens considèrent que Vladimir Poutine n’exerce pas de pressions suffisantes sur les séparatistes prorusses de l’est de l’Ukraine, afin qu’ils acceptent des négociations avec le gouvernement de Kiev. D’autre part les Russes continuent de laisser passer armes et combattants à travers une frontière largement poreuse. Après avoir ciblé quelques personnalités jugées responsables de la situation en Ukraine, l’UE sanctionnera dorénavant certaines compagnies russes. Le principe est acquis, la liste en sera établie par la Commission de Bruxelles avant la fin de juillet. Cependant l’Europe ne va pas jusqu’à viser des secteurs économiques entiers, comme le font les Américains vis-à-vis du pétrole et du gaz russe.
Mais ce consensus a minima cache un désaccord plus profond dans l’analyse de la situation en Ukraine et, au-delà, des relations avec la Russie de Poutine. Les Etats d’Europe centrale et orientale, en particulier les Baltes et les Polonais trouvent que leurs partenaires plus à l’Ouest sont trop indulgents pour le Kremlin et ne comprennent pas la menace que fait peser sur l’ensemble de l’Europe la stratégie révisionniste de Vladimir Poutine. Ajouté aux égoïsmes nationaux, ce désaccord n’est pas étranger à l’impasse constatée pour la nomination du chef de la diplomatie européenne. Le président du conseil italien, Matteo Renzi, pousse la candidature de sa ministre des affaires étrangères Federica Mogherini. Celle-ci présente au moins deux avantages : c’est une femme – le nouveau président de la Commission de Bruxelles veut favoriser la parité –, et elle est de gauche – il faut récompenser les sociaux-démocrates qui ont soutenu le conservateur Jean-Claude Juncker à la tête de la Commission. Mais elle a deux défauts. L’un n’est pas rédhibitoire : elle est relativement inexpérimentée, ce qui n’est pas pour déplaire aux ministres des affaires étrangères des grands pays de l’Union qui ne veulent pas perdre leurs prérogatives au profit de Bruxelles. L’autre est plus gênant aux yeux des représentants des nouveaux pays membres : Federica Mogherini vient d’un pays soupçonné, non sans raison, d’avoir de trop bonnes relations avec la Russie. La présidente de Lituanie Dalia Grybauskaitene ne l’a pas envoyé dire : « Je ne soutiendrai pas quelqu’un qui est pro-Kremlin », a-t-elle déclaré.
Les pays sortis de la sphère d’influence de Moscou dans les années 1990 préféreraient Radoslaw Sikorski, le ministre polonais des affaires étrangères, ou la Bulgare Kristalina Georgieva, actuelle commissaire au développement. Réponse dans un mois et demi, avec peut-être de nouveaux prétendants.
Une leçon peut en tous cas être tirée de cette passe d’armes. Il ne suffit pas d’avoir un Haut représentant, qui plus est, depuis le traité de Lisbonne, vice-président de la Commission, pour avoir une politique étrangère commune. En cinq ans, quelques progrès ont été enregistrés mais pour avoir un(e) seul(e) porte-parole et parler d’une seule voix, encore faut-il avoir quelque chose à dire.