Poutine, notre partenaire

Voilà un compliment dont on se serait bien passé. Devant les ambassadeurs russes, Vladimir Poutine a félicité la France pour avoir maintenu contre vents et marées la livraison de deux navires de guerre à Moscou. Quatre cents marins russes viennent en effet d’arriver à Saint-Nazaire pour s’initier au maniement des deux porte-hélicoptères de la gamme Mistral. L’un porte le joli nom de Sébastopol, le grand port de Crimée que la Russie vient d’arracher à l’Ukraine. Malgré les protestations d’une poignée d’irréductibles en France et de nos partenaires polonais ou baltes, malgré les pressions américaines, François Hollande a décidé d’honorer le contrat signé par son prédécesseur au moment de la guerre russo-géorgienne de 2008.
C’était une coïncidence fâcheuse que Nicolas Sarkozy avait balayé d’un revers de main en expliquant que les Russes s’étaient engagés à ne pas utiliser les navires Mistral contre leurs voisins. Un officier supérieur de la marine russe avait refroidi l’atmosphère en affirmant qu’avec ses bateaux transports de troupes, la Russie n’aurait pas eu besoin d’une semaine pour envahir la Géorgie mais de 24 heures.
Qu’à cela ne tienne, la France de Nicolas Sarkozy et de François Hollande ne voulait pas renier sa signature au bas d’un contrat de 1,2 milliard d’euros qui assure du travail à un millier de salariés pendant plusieurs années.
On jugera, avec raison, que la livraison de navires de guerre à la Russie au moment où celle-ci annexe le territoire d’un pays étranger et y fomente des troubles pour affaiblir le gouvernement central est en contradiction avec les sanctions que les Européens et les Américains sont censés lui infliger. Mais outre l’aspect économique de l’affaire, il est une autre explication à l’attitude française. On peut et on doit condamner la politique agressive d’intimidation de Poutine à l’égard en particulier des Etats voisins ayant appartenu à la zone d’influence soviétique. Il n’en reste pas moins — et c’est son grand succès – que le président russe reste un interlocuteur indispensable sur nombre de questions internationales.
Il a beau nier toute implication dans les troubles créés par les séparatistes prorusses dans l’est de l’Ukraine, il a beau suggérer qu’il n’a sur eux qu’une influence limitée, c’est aussi avec lui qu’il faut négocier un cessez-le-feu et au-delà, une solution. Et il n’y a pas que l’Ukraine. Pour parvenir à un accord avec Téhéran sur le programme nucléaire, dans la lignée de l’arrangement intermédiaire obtenu en novembre 2013, les Occidentaux ont besoin de la participation de la Russie, comme de la Chine. On notera d’ailleurs que le conflit sur l’Ukraine n’a pas eu de conséquences sur la coopération avec la Russie dans le dossier iranien.
En Irak aussi, face à l’avancée de l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL), la Russie a offert son aide au gouvernement de Bagdad, en concurrence avec le soutien américain, ou en complément de celui-ci. Toujours est-il que Vladimir Poutine, qui porte une responsabilité essentielle dans la poursuite de la guerre civile en Syrie, s’est invité dans le conflit irakien – les deux étant par ailleurs très liés. Là encore, il faudra compter avec lui.
C’est une réalité fort déplaisante mais qu’on ne peut ignorer. Vladimir Poutine n’est pas seulement un adversaire quand il viole les règles de coexistence en Europe établies depuis la fin de la guerre froide, il est aussi un partenaire dont il faut essayer de s’assurer le concours. Sans lui il n’y a pas de solution à plusieurs conflits. Le plus troublant, c’est qu’il n’y en pas peut-être pas non plus avec lui.