Frandce-Allemagne : de la convergence à l’imitation

Nicolas Sarkozy a découvert de nouveaux arguments pour défendre sa cause. Et en bon avocat qu’il est, il les assène à satiété. Il faut faire comme l’Allemagne. Sa sincérité n’est pas en doute. Quand il parle, il se convainc lui-même à défaut d’emporter à tous les coups l’adhésion de ses interlocuteurs.
Après avoir vanté au début de son quinquennat les mérites du modèle anglo-saxon, il s’est rallié récemment au capitalisme rhénan version Schröder-Merkel. Lors de son intervention télévisée du dimanche 29 janvier, il a prononcé pas moins de seize fois – une fois toutes les cinq minutes – le mot Allemagne. On comprend cette véritable obsession. L’Allemagne a eu l’année dernière un taux de croissance plus de deux fois supérieur au taux français, le chômage touche quelque 6% de la population contre près de 10% de ce côté du Rhin, la balance commerciale est largement excédentaire alors que la nôtre est déficitaire, etc. Pendant des mois, le président de la République a voulu coller à l’Allemagne pour se retrouver, aux yeux des agences de notation, dans la même catégorie. Celle des triple A. C’était la garantie de ne pas payer trop cher les crédits dont nous avions besoin pour faire face à la dette. Cette tactique a marché dans la mesure où si les taux auxquels la France emprunte sont deux fois supérieurs à ceux de l’Allemagne, ils sont deux fois moindres que ceux imposés à l’Italie par exemple. Il n’était alors question que de « convergence » avec l’Allemagne. Nicolas Sarkozy et Angela Merkel avait même chargé leurs ministres des finances de préparer une harmonisation de l’impôt sur les sociétés.
Elle n’est plus valable dès l’instant où Standard & Poors, une agence sur trois, il est vrai, a dégradé la note de la France. Adieu la « convergence ». On n’entend plus parler d’un impôt commun sur les sociétés et jamais les Allemands n’ont songé à se rapprocher en quoi que ce soit du système français. L’heure est à « l’imitation ». Et le président de la République d’énumérer toutes réformes entreprises par Gerhardt Schröder – « un premier ministre socialiste », a insisté Nicolas Sarkozy – et poursuivies par Angela Merkel : TVA sociale pour baisser les charges des entreprises et accroître la compétitivité, encouragement de l’apprentissage, flexibilité du contrat de travail, etc.
La France avait déjà accepté l’indépendance de la Banque centrale et la limitation de son rôle à la stabilité des prix pour obtenir la création de l’euro. Elle a rejoint maintenant la conception allemande de la rigueur budgétaire pour avoir un semblant de gouvernement économique européen.
Toutes ces mesures sont loin d’être scandaleuses ou inefficaces. Mais l’imitation de l’Allemagne méconnait des différences fondamentales dans la structure économique et sociale entre les deux pays. La compétitivité allemande n’est pas liée d’abord à l’adoption d’une TVA sociale en 2007. La grande coalition a décidé une hausse de trois points de la TVA (qui était inférieure à ce qu’elle était en France) dont deux points pour réduire le déficit budgétaire et un point pour compenser la baisse des charges sociales. Ce n’est pas la cause de l’excédent commercial allemand. Celui-ci est le résultat du tissu des PME et des PMI allemandes qui depuis des décennies ont investi dans la recherche et l’innovation, et sont en mesure de proposer sur le marché international des produits qu’on ne trouve pas ailleurs, qui ne sont pas fabriqués par les pays émergents. Mais plus encore, des produits dont ceux-ci ont besoin pour soutenir leur croissance. La baisse éventuelle des coûts n’a qu’un effet marginal.
Même remarque pour la flexibilité du travail. Elle a lieu dans un contexte social où les syndicats mènent en permanence un dialogue avec les employeurs, où une seule centrale syndicale représente les salariés et où les délégués syndicaux siègent dans les conseils d’administration, au moins dans les grandes entreprises.
Malgré ces conditions favorables, on ne peut pas passer sous silence que les réformes Schröder-Merkel ont eu des conséquences douloureuses pour des millions de salariés allemands qui se sont retrouvés avec des allocations sociales réduites et des conditions de travail aggravées. L’Allemagne compte quelque douze millions de pauvres, dans une société qui, jusqu’à la réunification, était caractérisée par une forte homogénéité.
Il y a certainement des leçons à tirer de l’expérience allemande, mais penser qu’en transposant en France quelques mesures on compensera l’écart de compétitivité, c’est se tromper de diagnostic.