Les graves incidents militaires entre Israël et l’Iran dans l’espace aérien et sur le sol syrien dans la matinée du samedi 10 février font augurer d’une aggravation et d’une extension du conflit qui impliqueraient Moscou et Washington.
Le drone iranien lancé à partir d’une base militaire irano-syrienne dans le centre de la Syrie a en effet traversé les lignes israéliennes et a été abattu par un missile de l’Etat hébreu. Les premières analyses ont révélé un grand degré de sophistication technologique qui permet de penser que l’objectif visé était le renseignement militaire en vue de la préparation d’une attaque destinée à éprouver les capacités de ripostes israéliennes.
Pour y répondre, l’Etat hébreu a lancé en deux vagues douze attaques aériennes successives sur des objectifs militaires syriens et iraniens dans le centre de la Syrie et aux environs de Damas.
Un barrage de missiles sol-air irano-syrien a répliqué à ces attaques et un F16 israélien a été abattu. Son pilote et son co-pilote ont réussi à s’éjecter au-dessus du territoire nord d’Israël. Le premier est grièvement blessé, le deuxième plus légèrement. C’est en tout cas l’opération aéroportée la plus importante entreprise par Israël en territoire syrien depuis l’invasion militaire du Liban en 1982.
Moscou, Washington et l’ONU ont appelé à la retenue. Mais, pour le renseignement militaire israélien, cette offensive dont l’Iran est à l’origine n’a pu se faire sans le feu vert de Moscou. Les Russes contrôlent en effet une cellule d’opérations militaires sur leur base de Hmeimim, à proximité de la ville syrienne de Lattaquié, au bord de la Méditerranée, destinée à coordonner les forces syro-iraniennes au sol.
Une nouvelle donne dans l’équation syrienne
Ces événements du 10 février constituent à l’évidence une nouvelle donne dans l’équation complexe du conflit syrien et sont gros d’un danger d’extension et d’aggravation des hostilités.
Trois événements significatifs ont précédé cette situation :
Le premier a été les déclarations du secrétaire d’Etat américain, le 17 janvier à Stanford (Californie). Rex Tillerson a annoncé le maintien des 2 000 soldats américains – membres des forces spéciales et du génie – sur le sol syrien pour, officiellement, empêcher la reconstitution de l’organisation Daech et assurer la formation de 30 000 combattants des Forces démocratiques syriennes (FDS), principalement composées de Kurdes des YPG (Unités de protection du peuple). Rex Tillerson a surtout souligné la nécessité de contrer l’influence iranienne et faire en sorte que le mandat du président Assad se termine après une période de transition qui devrait être mise en place lors des négociations de Genève.
Ces déclarations ont marqué un changement dans la position de relatif retrait de Washington sur le dossier syrien, qui prévaut depuis l’administration Obama.
Le deuxième élément important, intervenu immédiatement après, est l’offensive militaire d’envergure de la Turquie dans la province à majorité kurde d’Afrin, dans le nord-ouest syrien, dans la nuit du 18 au 19 janvier. Cette opération était préparée et annoncée depuis octobre. Recep Tayyip Erdoğan l’a lancée en s’appuyant sur 10 000 combattants syriens formés et équipés par l’armée turque.
Cette initiative militaire a achevé de réduire les derniers liens de la Turquie avec Washington mais aussi avec Moscou qui attendait en contrepartie qu’Erdoğan lève le soutien qu’il apporte aux milliers d’islamistes syriens regroupés dans la ville d’Idleb, qui donnent du fil à retordre à la coalition irano-syrienne parrainée par Moscou. Cette fuite en avant du président turc ne laisse pas d’inquiéter sur la stabilité intérieure d’un pays de première importance stratégique, au carrefour de l’Europe, de la mer Noire, de la Méditerranée et du monde arabo-iranien.
Enfin, le troisième élément significatif a été le fiasco du congrès de l’opposition syrienne le 30 janvier à Sotchi, au bord de la mer Noire dans le sud de la Russie. Vladimir Poutine – qui a longtemps cru pouvoir faciliter les négociations de l’ONU à Genève – a compris qu’il était loin d’avoir toutes les cartes politiques en main.
Le danger d’une guerre régionale
Le regain de tension régionale qui implique Iraniens et Israéliens a donc changé la donne du conflit.
C’est désormais à Moscou et Washington de dénouer la crise. Mais on serait tenté de dire que c’était inscrit dans les faits. Plus encore : Téhéran, qui est allé chercher Vladimir Poutine dès le printemps 2015 pour l’amener progressivement à envoyer des troupes en Syrie à partir du mois d’août avant d’intervenir massivement en septembre, a trouvé une issue à l’impasse dans laquelle le pouvoir syrien se trouvait. Militairement, l’intervention russe a permis notamment de faire tomber Alep en décembre 2016 et de reconquérir le centre de la Syrie. Mais politiquement la situation est toujours dans l’impasse.
Pour Israël, le conflit syrien représentait un dilemme insoluble. Avec le maintien de Bachar el Assad au pouvoir, c’est la garantie d’une dangereuse présence des Iraniens aux frontières israéliennes. Sans Bachar el Assad, c’est un pouvoir islamiste, incontrôlable et dangereux qui risque de s’installer aux portes de l’Etat hébreu. Benjamin Netanyahou a multiplié les visites à Moscou pour expliquer à Vladimir Poutine, qui l’a toujours assuré de sa « compréhension », le bien-fondé, du point de vue de Jérusalem, des frappes aériennes inaugurées par les forces israéliennes en janvier 2013 contre les bases syro-iraniennes. Mais Jérusalem n’avait jamais pu obtenir que Washington s’implique plus avant dans ce conflit.
C’est fait maintenant. Washington et Moscou vont devoir se parler. Il serait impensable qu’ils aillent à la confrontation.
Pour Israël et l’Iran, ce conflit a toutes les chances de constituer une occasion de tester l’adversaire au prix d’une guerre qui mettrait aux prises deux camps : la coalition occidentale et ses alliés arabes (monarchies du Golfe, Egypte, Jordanie) et l’ « axe de la résistance » mené par l’Iran, la Syrie et les combattants chiites du Hezbollah libanais, d’Irak, du Pakistan et d’Afghanistan, axe que Téhéran cherche à faire adouber par Moscou.
La crise syrienne qui entrera, en mars, dans sa huitième année, scellera-t-elle le début d’une grave crise internationale entre Moscou et Washington, étant entendu que Téhéran et Jérusalem se préparent de longue date à une confrontation militaire dont les conséquences seraient destructrices pour l’ensemble de la région ?
On dit qu’au Proche-Orient le pire est toujours à craindre et que c’est toujours le pire qui finit par arriver. On aimerait qu’il en aille autrement cette fois-ci.