C’est la Syrie, son conflit et son lot de réfugiés qui se déverse sans discontinuer depuis plus de six ans, qui divise le Liban encore convalescent d’une longue guerre civile et d’un processus de reconstruction ayant approfondi les inégalités et discrédité une classe politique incapable de restaurer les institutions indispensables au rétablissement de l’Etat.
Le consensus trouvé en 2013 par l’ancien président Sleiman, qui appelle à la « distanciation » du conflit en Syrie, n’est qu’un lointain souvenir. La participation des combattants du Hezbollah au conflit syrien depuis 2012, tout d’abord discrète, est à présent devenue massive, affichée et revendiquée.
La fracture régionale entre l’Arabie saoudite et l’Iran s’est répercutée au Liban et a aiguisé les divisions à peine refermées de la guerre civile. L’assassinat de l’ancien premier ministre Rafik Hariri en février 2005 et le départ des troupes syriennes qui s’en est suivi en avril, après vingt-neuf années d’occupation, ont consacré la division en deux camps opposés. L’atroce guerre civile syrienne et son lot de massacres, d’exode et d’ingérences étrangères ont donné une ampleur régionale à une crise dont on voit difficilement l’issue.
Pays frontalier de la Syrie, dont il partage l’histoire depuis l’antiquité, le Liban est également fragilisé par le conflit avec Israël qui s’est arrogé un droit de regard sur la politique intérieure du Liban. Après avoir combattu les Palestiniens de l’OLP depuis le début des années 1960, occupé une partie du pays du Cèdre de 1978 à 2000, l’Etat hébreu s’est fixé comme objectif stratégique prioritaire le combat contre le Hezbollah et plus généralement contre l’Iran.
Se préserver du chaos régional
Face à cela, la seule institution qui recueille le consensus général est l’armée libanaise qui a échappé aux fractures et aux divisions datant de la guerre civile. La stabilité de la monnaie nationale, dans une économie où le dollar est roi, est la deuxième valeur qui maintient le pays du Cèdre hors de l’eau et le préserve relativement du chaos régional.
Soutien à l’armée, soutien à l’économie en favorisant les investissements particulièrement dans les infrastructures et aide au retour des réfugiés syriens dans leur pays sont les trois objectifs affichés par les autorités libanaises lors de la visite que le président Michel Aoun a effectué en France du lundi 25 au mercredi 28 septembre.
Emmanuel Macron a prévu de se rendre au Liban au printemps 2018 à une date qui sera précisée ultérieurement. La France s’est engagée à organiser une réunion des bailleurs de fonds pour appuyer les demandes du Liban en matière d’investissement d’une part et d’aide au retour des réfugiés d’autre part. La crainte libanaise est de voir la présence de tout ou partie des 1,2 million de réfugiés syriens se pérenniser au Liban à l’image des 500 000 Palestiniens installés depuis l’exode de 1948. L’ensemble représente près de 40% de la population du pays.
Enfin, en ce qui concerne le soutien à l’armée libanaise, la France tente débloquer le dossier de l’aide de 3 milliards de dollars (2, 5 milliards d’euros) promis par Riyad en décembre 2013 par feu le roi Abdallah. L’accord consiste à doter l’armée et la gendarmerie libanaises de matériel militaire français financé par les Saoudiens. Pour l’instant, seuls quelques dizaines de missiles antichars de type milan ont été livrés. Puis, le contrat a été gelé par Riyad sous le prétexte de la politique antisaoudienne conduite par le Hezbollah, la milice chiite, et ses alliés au Liban.
Pendant ce temps, ce sont les Etats-Unis et le Royaume-Uni qui ont participé à l’équipement et à la formation des unités d’élite de l’armée libanaise qui se sont illustrées en juillet et en août dans le combat contre les islamistes de Daech sur les hauteurs de l’Anti-Liban. Les islamistes s’étaient installés durant trois ans dans cette chaîne montagneuse frontalière de la Syrie, terrorisant les villages alentour après avoir enlevé plusieurs soldats et assassiné huit d’entre eux.
Quelle politique vis-à-vis de la Syrie ?
Les événements de l’été ont eu pour effet positif de réaffirmer la confiance dans l’armée nationale qui a provoqué à son égard un sentiment de fierté et de soutien populaire général.
Sur le plan politique, les clivages n’ont toutefois pas tardé à s’exprimer du fait de la présence des combattants du Hezbollah qui se battent aux côtés des troupes syriennes de l’autre côté de la frontière. Le Hezbollah a négocié l’évacuation des combattants de Daech vers la Syrie pour les laisser rejoindre, en compagnie de leur famille, leur fief de Deir Ezzor dans le nord-est syrien.
En contrepartie, les corps des huit soldats libanais assassinés par les islamistes de l’EI ont été restitués à leurs familles. La joie de la victoire s’est aussitôt transformée en deuil et la polémique politique a pris un tour plus dramatique. La coalition prosyrienne voulant que le gouvernement coordonne avec le régime de Bachar el Assad la lutte contre Daech et le camp opposé accusant le Hezbollah et ses alliés de complicité avec Daech.
Riyad, qui s’était mis en retrait relatif des affaires intérieures libanaises depuis l’élection de Michel Aoun à la présidence de la République en octobre 2016 – compromis négocié par son allié Saad Hariri, nommé à la tête du gouvernement – a invité ses alliés chrétiens, druzes et musulmans sunnites, à la cour du roi et les a encouragés à s’activer. Il est vrai que les appétits sont aiguisés par la perspective des élections législatives libanaises qui devraient avoir lieu en mai prochain.
De leur côté, le régime syrien et ses alliés pro-iraniens, qui se targuent d’avoir reconquis plus de 80% de la Syrie et d’avoir quasiment démantelé le proto Etat islamiste, ont l’ambition de peser à nouveau sur la politique intérieure libanaise et de réduire l’influence saoudienne.
Toujours attentif à l’évolution de l’influence iranienne sur le Liban et la Syrie, Israël a entrepris, au début de septembre et durant trois semaines, un exercice général de son armée aux frontières libanaises et syriennes pour se préparer à la possibilité d’un conflit d’une plus grande ampleur que celui qui avait mis aux prises Israël et le Hezbollah en juillet et août 2006.
Le Liban est malheureusement coutumier de ce type de situation. Quasiment « enferré » au nord et à l’est par la Syrie, au sud par Israël – l’autre « frontière » étant la Méditerranée –, il a, tout au long de son histoire contemporaine, navigué entre deux eaux pour affirmer son indépendance et sa neutralité. Mais pour maintenir cette politique, il faut qu’il assure une cohésion nationale qui lui a souvent fait défaut.