Les quatre inconnues de l’accord nucléaire avec l’Iran

Les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, plus l’Allemagne, et les Iraniens ont, le jeudi 2 avril à Lausanne, adopté un « accord-cadre » sur le programme nucléaire de Téhéran. Celui-ci fait suite à « l’accord intérimaire » conclu à l’automne 2013 et doit encore être précisé avant un accord définitif qui devrait intervenir avant le 30 juin. L’objectif est de permettre à l’Iran de poursuivre un programme de production nucléaire civil tout en lui interdisant l’accès à la bombe atomique.
L’accord de Lausanne, obtenu après plus d’une semaine de négociations ardues, a été salué par une foule en liesse à Téhéran tandis que le président Obama se félicitait d’une avancée « historique ». Il reste cependant beaucoup d’inconnues.

Principales installations du nucléaire iranien
AFP

Les réactions vont de l’optimisme au rejet. A Téhéran, les habitants des quartiers bourgeois sont descendus dans la rue pour célébrer un accord dont ils espèrent la fin des sanctions et l’ouverture du pays vers l’Occident. A Jérusalem, le premier ministre Benjamin Nétanyahou a dénoncé une menace vitale contre l’Etat d’Israël. Barack Obama a tenté de le rassurer en saluant un accord « historique » s’il est mené à bien au cours des trois prochains mois. Le ministre français des affaires étrangères Laurent Fabius était encore plus prudent en soulignant que si l’accord de Lausanne est un pas dans la bonne direction, il n’est pas encore définitif.
Au moins quatre inconnues demeurent. La première concerne le texte lui-même accepté à Lausanne par les sept parties prenantes (l’Iran et les cinq membres permanents du Conseil de sécurité – Chine, Etats-Unis, France, Grande-Bretagne, Russie – plus l’Allemagne). C’est un « accord-cadre » qui fixe les principes et les objectifs. Il laisse à la négociation qui va se poursuivre jusqu’à la fin du mois de juin la tâche de déterminer les modalités de mise en œuvre. Il en va ainsi, semble-t-il, du calendrier de suspension des sanctions qui visent Téhéran, et de la distinction entre les sanctions unilatérales, les sanctions américaines (dont certaines datent des années 80) et européennes, et les sanctions décidées par le Conseil de sécurité de l’ONU. Comme le diable gît dans les détails, la négociation peut encore dérailler et réduire à néant ce qui a été acté après plus d’une dizaine d’années de négociations.
La deuxième inconnue est double. Elle concerne la capacité des protagonistes, et au premier chef des responsables aux Etats-Unis et en Iran, de faire accepter le compromis. Ce n’est pas facile ni pour le président américain, ni pour son collègue iranien.

La politique de la main tendue

Si tout se passe bien, Barack Obama pourra se prévaloir d’un grand succès de politique étrangère. Après six ans de présidence, c’est à peu près le seul. Les relations avec la Russie, qu’il voulait voir repartir (reset), sont au plus bas. Les soldats américains quittent l’Afghanistan sans que la paix ait été rétablie et ils sont revenus combattre Daech en Irak d’où Obama les avait retirés conformément à ses promesses électorales de 2008.
Il s’était engagé aussi à mener une action diplomatique opposée à celle de son prédécesseur George W. Bush. Au lieu de la politique de la canonnière, il proposait la pratique de la main tendue à tous ceux qui voulaient bien la prendre. La superpuissance américaine peut et doit négocier avec des partenaires plutôt que de s’en remettre à la manière forte, disait-il, s’exposant au reproche de naïveté de la part des républicains.
Cette politique a porté ses fruits avec Cuba mais la grande ambition de Barack Obama était de rétablir les liens avec la grande puissance moyen-orientale qu’est l’Iran. Les relations sont rompues depuis 1979 et la prise d’otages à l’ambassade américaine de Téhéran à la suite de la révolution islamique. L’élection du « modéré » Rohani a été une chance que le président démocrate ne voulait pas manquer. La diplomatie américaine s’est employée à trouver un accord avec les Iraniens sur le nucléaire, au point d’indisposer parfois ses alliés européens, notamment français, qui craignaient une trop grande disposition au compromis.

L’opposition du Congrès

Reste à Barack Obama à faire accepter l’accord par le Congrès où les républicains sont majoritaires dans les deux chambres depuis les élections de midterm de l’année dernière. La question des sanctions risque de tourner au bras de fer entre l’exécutif et les parlementaires. Le président peut opposer son veto à de nouvelles sanctions que s’apprêterait à voter le Congrès. Il peut aussi suspendre certaines sanctions décidées antérieurement mais il aura besoin de l’approbation du Congrès pour les abroger.
Certains commentateurs comparent la situation de Barack Obama sur la question iranienne avec celle du président Woodrow Wilson rentrant des négociations de paix de Versailles après la Première guerre mondiale. Son projet de Société des nations qui devait assurer la paix en Europe a été torpillé par le rejet par le Sénat d’une participation américaine à la nouvelle organisation.

Hassan Rohani sous surveillance

Des interrogations similaires portent sur la capacité du président Hassan Rohani à faire accepter par l’ensemble des composantes du régime iranien le compromis passé avec les grandes puissances. Rohani est placé sous la surveillance d’un parlement à majorité conservatrice et des pasdarans, les gardiens de la révolution, qui contrôlent en grande partie le programme nucléaire et rendent compte directement à l’ayatollah Khamenei.
C’est le Guide qui décide en dernière instance. Sur les négociations nucléaires, il a manifesté une attitude ambivalente. Il a laissé faire. Sans son aval, elles ne pouvaient pas avoir lieu. Et il a été tenu au courant de leur avancée. Est-il prêt à en approuver le résultat ? L’incertitude est d’autant plus grande que l’ayatollah est gravement malade. Les dignitaires et les différentes forces du régime des mollahs s’agitent déjà pour sa succession.

Le pari régional

La quatrième inconnue est aussi un pari. Au-delà du programme nucléaire, les relations entre l’Iran et la communauté internationale, en particulier les Etats-Unis, concernent aussi la place et le rôle de Téhéran au Moyen- Orient. Le régime des mollahs est partie prenante dans la plupart des conflits de la région, en Irak, en Syrie, en Palestine, au Liban et plus récemment au Yémen. L’Iran, en tant que plus grand pays chiite, est une force majeure dans le schisme qui déchire le monde arabo-musulman, face aux défenseurs du sunnisme, telle l’Arabie saoudite.
Si l’implication de l’Iran dans les conflits régionaux ne semble pas avoir joué de rôle direct dans les négociations nucléaires – les participants ont eu la sagesse ou l’habileté de ne pas mêler les genres –, elle était sans doute dans tous les esprits. Pour une raison de base : si l’Iran a pu laisser penser qu’il songeait à se doter de l’arme nucléaire, c’était aussi et avant tout pour affirmer son rôle voire son hégémonie dans la région. C’était aussi un moyen de se voir reconnaître ce qu’il veut être et que l’empire perse a toujours aspiré à être, une puissance respectée.
L’administration Obama l’a laissé entendre à plusieurs reprises : la contrepartie de la renonciation à l’arme nucléaire sera, pour l’Iran, son insertion dans la politique régionale à la place qui lui revient. Les Etats-Unis doivent encore convaincre leurs alliés – Israël, l’Arabie saoudite et avec elle les monarchies sunnites – que cette stratégie est mieux à même de garantir la paix que la course aux armements dans la région.
Le pari est que l’intégration régionale de l’Iran aura un effet pacificateur. Si Téhéran joue le jeu, cette intégration pourrait faciliter la résolution de conflits locaux dans lesquels les Iraniens ont une influence sur les protagonistes chiites. La multiplication récente des foyers de tension où les Etats-Unis se retrouvent tantôt avoir des intérêts communs avec l’Iran (Irak), tantôt soutenir des groupes antagonistes, semble indiquer que rien n’est joué. Libéré du poids des sanctions, l’Iran peut tout aussi bien profiter de son nouveau statut pour pousser ses pions plus avant dans les pays voisins qu’assumer un rôle de puissance responsable, soucieuse du développement commun. L’évolution interne du régime iranien aura une influence cruciale sur ces choix.