Les socialistes veulent changer l’Europe

Les sociaux-démocrates européens veulent construire une Europe « différente », qui renforce sa dimension politique et associe davantage les citoyens, mais ils reconnaissent leurs responsabilités dans les échecs passés et se disent prêts à engager leur autocritique.

A la veille d’élections importantes dans plusieurs pays d’Europe, en particulier en France, la gauche européenne veut faire entendre sa voix dans les débats à venir sur l’avenir de l’Union européenne. Cette voix, les sociaux-démocrates n’ont pas vraiment réussi à la rendre audible aux oreilles des citoyens européens. Ils n’ont pas su non plus la différencier de celle de la droite depuis le tournant libéral de l’UE, même lorsqu’ils étaient au pouvoir.

La FEPS ( Foundation for European progressive studies), laboratoire d’idées du Parti socialiste européen, s’efforce donc, avec d’autres « think tanks », de poser les bases d’un projet qui rompe avec les politiques actuelles. Son président, l’ancien premier ministre italien Massimo d’Alema, appelle ainsi à la création d’une Europe « différente » qui seule pourra, selon lui, sauver l’UE de l’effondrement. Réunis à Bruxelles les 29 et 30 juin, une cinquantaine d’experts – politiques, syndicalistes, chercheurs, journalistes – ont tenté de répondre à cette demande en débattant des ambitions et des faiblesses de l’Union.

Manque de leadership, manque de légitimité

Au départ, leur constat est sévère. Dans tous les domaines – la diplomatie, l’économie, la relation avec les citoyens - , l’UE souffre de graves insuffisances. Elle est incapable d’affirmer son leadership sur la scène internationale, comme si elle ne comprenait pas que « les règles du jeu ont changé » à l’ère de la mondialisation. Elle n’a pu empêcher que les marchés financiers soient « complètement déconnectés de l’économie réelle » et prépare partout des plans d’austérité. Enfin elle a perdu une partie de sa légitimité démocratique auprès des citoyens.

« Nous manquons de leadership parce que nous manquons de légitimité », a affirmé l’une des participantes, Kaisa Penny, présidente des Jeunes socialistes européens. Massimo d’Alema a souligné que « le soutien populaire pour l’Europe est à son niveau le plus bas » et que l’Europe apparaît à beaucoup de citoyens comme « un problème plutôt qu’une solution ». L’ancien ministre français Henri Nallet, vice-président de la FEPS, a mis l’accent sur les « crispations nationales et populistes » et regretté la « panne de solidarité ». « Notre aventure collective commence à s’essouffler », a-t-il lancé.

Politiser le débat européen

Que peut proposer la gauche socialiste pour donner un nouveau souffle à l’Europe ? L’idée d’une nouvelle réforme institutionnelle a été écartée par la plupart des participants. Il ne suffit pas, ont-ils dit, de mettre en place de nouveaux instruments, comme l’euro naguère ou le service d’action extérieure plus récemment, pour que des politiques communes en découlent, si la volonté politique fait défaut. En revanche, dans le cadre des institutions actuelles, il est possible, estiment-ils, de politiser le débat européen, notamment en développant de véritables partis européens – même si des divergences subsistent sur l’éventualité d’y adhérer directement ou à travers les partis nationaux.

L’ancienne ministre française Elisabeth Guigou a souhaité qu’il apparaisse clairement qu’au niveau européen comme au niveau national « la droite et la gauche, ce n’est pas la même chose » Elle a demandé qu’il soit mis fin au partage de la présidence du Parlement européen entre le groupe du PPE (conservateur) et le groupe socialiste. Philip Cordery, secrétaire général du Parti socialiste européen, a estimé que l’Europe devait être « un terrain de bataille politique ». Sur ce terrain, les socialistes doivent être du côté de la défense de la puissance publique face aux marchés et de la « main visible » face à la main invisible.

La politisation de l’Europe apparaît comme le meilleur moyen de mobiliser les citoyens. « Tant qu’il n’y aura pas d’Europe politique, a déclaré Poul Nyrup Rasmussen, président du Parti socialiste européen, les citoyens ne s’engageront pas ». La citoyenneté européenne, inscrite pour la première fois dans le traité de Maastricht, a fait l’objet de plusieurs rapports officiels, comme ceux de Pietro Adonnino en 1985 ou d’Alain Lamassoure en 2008, qui proposaient de rapprocher l’Europe des citoyens. Mais leurs propositions visaient surtout à améliorer la vie quotidienne des Européens en facilitant leurs démarches administratives et en favorisant l’exercice de la liberté de circulation ou d’établissement. N’est-il pas temps de concevoir la citoyenneté européenne comme l’exercice d’un contrôle démocratique des politiques européennes par les peuples de l’Union ?

Des propositions concrètes

Autre recommandation : éviter les idées générales et formuler des propositions concrètes. « Nous en avons fait, des programmes, des manifestes, a rappelé Henri Nallet, mais comment va-t-on s’y prendre concrètement ? L’harmonisation fiscale ? L’Europe sociale ? D’accord, mais on fait comment ? Avec qui ? ». Une proposition concrète, Elisabeth Guigou en a formulé une, qui a fait l’unanimité : créer un Erasmus élargi qui favorise la mobilité des jeunes Européens, étudiants ou non. L’ancienne ministre a également lancé l’idée d’une communauté européenne de l’énergie.

Les socialistes entendent donc, selon Massimo d’Alema, changer le cours de l’Europe. Mais, comme l’ont dit plusieurs d’entre eux, ils ne doivent pas oublier qu’ils ont été associés, dans la plupart des pays, aux gouvernements en place et qu’ils portent une part de responsabilité dans les échecs de l’Union. Cette tonalité autocritique était présente tout au long des discussions. De nombreux orateurs ont invité la gauche à reconnaître ses erreurs passées.

« Tous les partis de gauche ont participé aux erreurs, soit en prenant de mauvaises décisions soit en laissant faire », a affirmé le journaliste Thomas Klau, chef du bureau parisien du European Council on Foreign Relations. Pervenche Berès, députée européenne, a appelé les socialistes à se montrer « plus crédibles ». « Nous avons sous-estimé la nécessité de réglementer les marchés », a reconnu Roger Liddle, ancien conseiller de Tony Blair. Dans ses conclusions, Henri Nallet a souligné à son tour les fautes commises par les sociaux-démocrates. « Tant que nous ne nous sommes pas clairement expliqués, a-t-il dit, soyons modestes dans nos projets de politisation ».