Redonner un sens à l’Union européenne

Le verdict des électeurs irlandais, seul peuple appelé à juger directement le traité de Lisbonne, les autres pays ayant choisi la voie parlementaire, démontre une nouvelle fois le hiatus qui existe entre les citoyens et l’Europe. Ce divorce avait été déjà souligné et dénoncé lors des référendums de 2005 aux Pays Bas et en France. Les dirigeants européens ne semblent pas en avoir pris suffisamment la mesure. Aujourd’hui encore, ils paraissent surpris et se demandent pourquoi les Irlandais qui ont tant profité des subsides européens se sont montrés si peu reconnaissants envers l’Union.

La même cause, aujourd’hui comme hier, produit les mêmes effets. Les Irlandais de même que les Français et les Néerlandais il y a trois ans ont eu peur. Peur de ce traité si abscond que chacun peut en redouter quelque intention cachée. Peur de cette institution européenne si froide, si complexe, si technocratique, si lointaine, plus encline à sanctionner les manquements à la concurrence qu’à protéger ses ressortissants contre tous les maux réels ou imaginaires engendrés par la mondialisation. Peur de perdre, en l’occurrence, leur fiscalité attractive, leur législation sur l’avortement ou leur neutralité.

Le peu de motivation des citoyens de l’Union et particulièrement des couches les plus populaires s’explique pourtant aisément. L’Europe souffre cruellement aujourd’hui d’un manque de compréhension, d’un défaut d’explication et d’une absence d’idéal. Ces trois carences sont étroitement liées. Obéissant à un gouvernement des juges et des technocrates, l’Union européenne demeure pour les citoyens un espace abstrait aux frontières fluctuantes et floues, sans horizon et sans raison d’être définie hormis sa vocation marchande. Le galimatias des projets institutionnels soumis aux citoyens aujourd’hui comme hier ne fait que traduire cette indécision. Faire la pédagogie de cette Europe-là est quasi impossible. Et les dirigeants ne s’y risquent guère ou s’y cassent les dents. Pourquoi dès lors les citoyens seraient-ils motivés à défendre cette Europe inexplicable, donc incompréhensible dont l’opacité est synonyme de danger ?

L’accident irlandais change profondément du même coup la nature de la prochaine présidence française ! C’est un camouflet pour la France qui s’était enorgueillie d’avoir sorti l’Union de l’impasse institutionnelle après avoir elle-même contribué à l’y jeter. Avant tout autre chantier, la présidence française va donc être totalement hypothéquée par la recherche d’une solution à cette nouvelle crise. Dans ce nouveau contexte, Nicolas Sarkozy devra se montrer moins ambitieux et comprendre qu’à trop embrasser de dossiers il risque de n’en traiter aucun.

Comme si de rien n’était ?

Pour l’heure, Paris a choisi de faire le gros dos et, avec Berlin, d’appeler à la poursuite du processus de ratification du traité de Lisbonne. Nicolas Sarkozy et Angela Merkel nourrissent en effet le secret espoir que lorsque 26 pays auront donné leur aval aux nouvelles institutions par la voie parlementaire, il sera possible, moyennant quelques concessions faites à Dublin, de convaincre les Irlandais de retourner aux urnes et de bien voter cette fois comme ce fut déjà le cas après le traité de Nice !

Un tel raisonnement témoigne d’une conception bien étrange de la démocratie. Mais quand bien même le traité de Lisbonne finirait-il par être ratifié et entrer en vigueur après les élections européennes, au milieu de l’an prochain, le problème du fonctionnement de l’Europe demeurerait posé. Doter l’Europe de nouvelles institutions est indispensable. Mais cela ne servira à rien si l’Union n’affiche pas une ambition politique claire, simple et compréhensible, susceptible de mobiliser les énergies des citoyens et de les convaincre que la construction communautaire est une protection pour le présent et un gage pour l’avenir.

Tel est le double et difficile défi que Nicolas Sarkozy doit relever durant cette présidence de crise : sauver tant bien que mal la réforme institutionnelle et redonner un sens et une direction politiques à l’Union.