Qui aurait cru, il y a quelques mois encore, quand la tension montait dangereusement entre Séoul et Pyongyang, que les dirigeants des deux Corées bavarderaient un jour tranquillement, le long de la ligne de démarcation, sur l’avenir de la péninsule et les perspectives d’une paix durable ? C’est pourtant ce qui s’est produit le 27 avril lorsque Kim Jong-un, venu du Nord, et Moon Jae-in, venu du Sud, se sont rencontrés à Panmunjom, au cœur de la zone démilitarisée, pour manifester leur volonté de réconciliation, 65 ans après l’armistice qui a conclu la meurtrière guerre de Corée (1950-1953).
Un événement historique ?
Les deux présidents ont soigneusement mis en scène leurs retrouvailles, conscients de l’importance de la communication pour célébrer un événement qui pourrait être historique. Symboliquement chacun d’eux a franchi de quelques pas la frontière entre les deux Corées, dans un sens puis dans l’autre, Kim Jong-un rejoignant son homologue sud-cohérent dans la partie sud avant que les deux hommes ne gagnent ensemble la partie nord. « Au moment où le dirigeant Kim a franchi la ligne de démarcation militaire, Panmunjom est devenu un symbole de paix et non plus un symbole de division », a déclaré le président Moon.
Ces gestes d’apaisement ont été complétés par un texte commun. La déclaration de Panmunjom, signée par les deux dirigeants, affiche leur objectif d’aller vers une « dénucléarisation totale » de la péninsule, avec le « soutien » et la « coopération » de la communauté internationale. Elle exprime leur souhait d’établir « un régime de paix permanent et solide » afin que commence « une nouvelle ère de paix ». « Il n’y aura plus de guerre sur la péninsule coréenne », affirment-ils avant d’annoncer un désarmement par étapes, à mesure que se renforcera leur « confiance mutuelle », et d’appeler à « l’unification de la péninsule coréenne ».
« La confiance, c’est bien, le contrôle, c’est mieux »
Si ces belles promesses sont tenues, la nouvelle diplomatie de Kim Jong-un aura porté ses fruits. Le dictateur nord-coréen, que l’on disait imprévisible, sait apparemment où il va. Il a d’abord montré sa force en procédant à des essais nucléaires puis en lançant plusieurs missiles intercontinentaux. Il s’est ensuite assuré le soutien de Pékin en se rendant il y a un mois en Chine. Il s’apprête à rencontrer Donald Trump dans quelques semaines pour préparer la grande négociation à venir. Le sommet intercoréen de Panmumjom était une étape nécessaire dans la mise en œuvre de ce vaste processus qui pourrait bouleverser, en cas de succès, le paysage géostratégique de l’Asie.
La question est de savoir si les engagements auxquels souscrit le président nord-coréen doivent être pris au sérieux ou s’ils ne sont que poudre aux yeux en échange de l’assistance économique dont Pyongyang a plus besoin que jamais pour faire face aux sanctions internationales. Le Financial Times conseille à la Corée du Sud de rester méfiante. « Les expériences du passé nous enseignent que la Corée du Sud aurait tort de débloquer des aides économiques sur la seule base de concessions sur la question nucléaire », écrit le quotidien britannique, qui souligne la difficulté de vérifier les éventuelles mesures de démilitarisation en Corée du Nord. « La confiance, c’est bien, le contrôle, c’est mieux », ajoute-t-il.
La question-clé de la vérification
Ce n’est pas la première fois que les dirigeants des deux pays se rencontrent. Deux sommets intercoréens ont eu lieu en 2000 et 2007. Il n’en est rien sorti de concret. Pourquoi en irait-il autrement cette fois-ci ? Il est vrai que la déclaration de Panmunjom reste floue sur de nombreux points, qu’elle est susceptible d’interprétations contradictoires sur d’autres et que la question-clé de la vérification demeure irrésolue. Kim Jong-un est-il prêt à abandonner son armement nucléaire alors même que celui-ci est son principal atout sur la scène internationale ? Il est permis d’en douter. Acceptera-t-il une ingérence de la communauté internationale pour s’assurer de son démantèlement ? C’est difficile à croire.
La déclaration de Panmunjom doit donc être appréciée avec prudence. Si son intention générale est louable, les détails d’exécution y sont largement négligés. En même temps, les pourparlers n’en sont qu’à leur début. Les rencontres ultérieures apporteront probablement quelques-unes des précisions nécessaires. On saura alors si le fantasque Kim Jong-un veut vraiment le retour de la paix ou si sa nouvelle rhétorique n’est qu’une ruse pour obtenir de ses interlocuteurs la coopération économique qui assurera le maintien de son régime. Sans être exagérément optimiste, on peut au moins reconnaître qu’un espoir se lève sur la péninsule coréenne.