AKK aux commandes de la Bundeswehr : pour combien de temps ?

Présidente de la CDU depuis décembre 2018, Annegret Kramp-Karrenbauer est devenue en juillet 2019 ministre de la défense, en remplacement d’Ursula von der Leyen, élue présidente de la Commission européenne. Son ambition est de succéder dans deux ans à Angela Merkel à la tête du gouvernement allemand. Mais aura-t-elle deux ans pour s’imposer ? Rien n’est moins sûr. De nombreux obstacles se dressent devant elle, en particulier la fragilité de la coalition au pouvoir et l’incertitude de trois élections régionales à venir dans l’ancienne RDA.

Annegret Kramp-Karrenbauer
CDU

Angela Merkel aime les surprises. Avec la récente nomination d’Ursula von der Leyen à la tête de la Commission européenne, et maintenant, pour la remplacer comme ministre de la défense, celle d’Annegret Kramp-Karrenbauer (AKK), la nouvelle cheffe de la CDU, aux commandes de la Bundeswehr, la chancelière vient de démontrer qu’elle sait encore diriger. Personne n’avait imaginé, encore moins prévu, ces décisions. L’avantage politique pour les personnes concernées est évident – pas de spéculations ni de longues discussions qui dérangent avant la prise de décision. Le jeu préféré des accompagnateurs, des observateurs, ou des commentateurs politiques n’a pas eu lieu. Mais il y a aussi un désavantage : les spéculations sur les prochaines surprises ont commencé ; ainsi que sur la question de savoir si c’est vraiment Angela Merkel qui a été à l’origine des décisions prises.

En ce qui concerne le choix d’Ursula von der Leyen pour la présidence de la Commission européenne, la chancelière ne cache pas le fait qu’elle ne s’est tout simplement pas opposée à la proposition qu’a faite, apparemment, Emmanuel Macron, pour sortir l’Union européenne d’une impasse. En ce qui concerne le choix d’Annegret Kramp-Karrenbauer (AKK) comme ministre de la défense, il y a de fortes raisons de croire que la cheffe de la CDU s’est proposée elle-même - une idée que la chancelière ne pouvait pas refuser. Les deux propositions lui convenaient. Et les trois femmes ont su présenter leurs décisions comme une belle réussite de leur savoir-faire en politique. Il ne faut douter ni de leur sérieux ni de leur ténacité. Mais le contexte politique actuel en Allemagne est tel que d’autres surprises ne sont pas exclues, et ceci prochainement.

Le gouvernement ou le parti ?

C’est la faiblesse d’AKK comme cheffe de la CDU qui l’a poussée à prendre place au Cabinet (comme on appelle le Conseil des Ministres en Allemagne), bien que, quelques jours avant seulement, elle ait confirmé dans une interview qu’elle maintenait son choix, fait en 2017, d’abandonner un poste au gouvernement (elle était cheffe du gouvernement régional de la Sarre) pour un poste au parti (elle devenait secrétaire générale de la CDU au niveau fédéral), parce qu’il y avait beaucoup de travail à faire pour redresser la CDU en vue des prochaines échéances électorales. Mais depuis son élection de justesse (et aussi par surprise) à la tête de son parti en décembre dernier, elle n’a pas encore trouvé sa juste place.

Absente de la tribune parlementaire, sans visibilité ministérielle, AKK s’est trouvée contestée, après l’échec des élections européennes, au sein de son propre parti, où l’on s’est mis à douter de sa capacité à remplacer Angela Merkel comme chancelière, quand celle-ci déciderait de se retirer complètement de la scène politique. Le risque était que plus elle attendrait pour assumer un rôle plus prononcé, plus il y aurait de doutes sur elle et plus il y aurait de chances que quelqu’un d’autre cherche à être candidat à la chancellerie. Il lui fallait donc saisir l’occasion du remaniement nécessaire après la démission d’Ursula von der Leyen du gouvernement fédéral, à la veille de sa confirmation par le Parlement européen.

Dans ses premières déclarations comme ministre de la défense, AKK a bien insisté sur l’idée que si la présidente de la CDU assumait cette responsabilité ministérielle, les questions de défense et de sécurité internationale prendraient plus d’importance au sein du gouvernement – comme si elles n’en avaient pas eues assez jusqu’à présent. Ce qu’elle n’a pas dit, mais ce qui fait débat à Berlin, c’est que s’occuper des questions de sécurité internationale et de défense, avec le budget important qui les accompagne, lui donnerait la visibilité ministérielle qui lui manquait et une présence internationale qui serait importante pour l’exercice de responsabilités futures.

Voilà donc le reproche le plus important qui lui est adressé – qu’elle ait changé d’avis sur sa présence au gouvernement fédéral dirigé par Angela Merkel seulement pour démontrer qu’elle saura le diriger elle-même. Le fait est que, dans le meilleur des cas, elle resterait aux commandes de la Bundeswehr jusqu’aux prochaines élections législatives prévues dans deux ans. Angela Merkel ayant répété récemment qu’elle se retirerait définitivement de la vie politique en 2021 au plus tard, ce sera à la présidente de la CDU, AKK, de briguer le mandat de chancelière et de quitter le poste qu’elle vient d’assumer.

Redresser les forces armées

Deux ans à la tête des forces armées, cela suffira-t-il pour redresser l’état d’une armée qui se trouve toujours confrontée à une multitude de problèmes avec la fourniture et le maintien d’un équipement qui fonctionne mal, avec des problèmes de formation et d’éducation des soldats, avec de nouveaux défis internationaux, que ce soient les bouleversements du système international, les défis de l’OTAN, le rôle des Etats-Unis, ou celui de l’Europe dans le monde ? On ne peut qu’espérer qu’elle n’oubliera pas, si la CDU gagne les prochaines élections et si elle-même est élue chancelière, ce qu’elle aura entamé, en tant que ministre, pour mettre la défense en ordre.

Mais aura-t-elle deux ans ? Ce n’est pas sûr du tout. Et gagnera-t-elle les prochaines élections ? Ce n’est pas sûr non plus. Actuellement, les chances que le gouvernement de coalition d’Angela Merkel survive après 2019 peuvent être évaluées à 50%. La recherche, en cours, d’un nouveau président ou d’une nouvelle présidente du SPD, partenaire de la coalition, semble favoriser celles et ceux qui veulent en finir avec cette coalition, jugée être un désastre pour le plus ancien parti politique de l’Allemagne. Un congrès du parti est prévu pour le mois de décembre – pour faire un bilan du travail de la coalition après la première moitié de la période législative, comme prévu dans le contrat de coalition ; et pour élire formellement la nouvelle direction du parti après un vote par internet des militants. Il est bien possible que le gouvernement Merkel IV trouve sa fin à ce moment là.

Si cela était le cas, AKK doit être prête à assumer la charge de former un nouveau gouvernement – soit en formant une autre majorité sur la base de la composition actuelle du Bundestag, avec, par exemple, les Verts, qui étaient prêts déjà en 2017, et les libéraux, qui ne voulaient pas d‘Angela Merkel en 2017, mais qui accepteraient AKK ; soit en menant campagne, peut-être, après le départ du SPD, comme vice-chancelière, pour des élections législatives anticipées en 2020 (difficiles à obtenir du président fédéral qui, seul, a le droit de dissolution et ceci seulement s’il n’y a pas de majorité en vue pour élire un/e chancelier/e). Il n’est donc pas du tout exclu qu’elle ne passe que quelques mois au „Bendlerblock“, siège du ministère de la défense à Berlin.

Trois élections régionales dangereuses

Mais avant même que le SPD se décide à la fin de l’année, la présidente de la CDU peut se trouver en difficulté déjà après les élections régionales du 1er septembre en Saxe et dans le Brandebourg, ainsi que le 27 octobre en Thuringe – trois Etats de l’ancienne RDA où l’extrême droite de l’AfD se trouve toujours en deuxième sinon en première position dans les sondages. Là, c’est dans sa capacité de cheffe de la CDU qu’elle doit faire ses preuves. Alors qu’elle a exclu formellement et définitivement toute coopération de la CDU avec l’AfD, la formation de gouvernements régionaux pourrait s’avérer extrêmement difficile. L’AfD dans ces trois „Länder“ étant encore plus à droite que dans le reste du pays, la CDU sera coincée entre l’interdiction formelle de former une coalition avec l’AfD et le refus de coopérer avec le parti Die Linke („La Gauche“), héritier de l’ancien parti communiste de la RDA, où il est toujours fortement implanté. En tout cas, une coopération avec le SPD ne suffira plus pour former une majorité. Dans quelle situation politique se trouvera donc AKK début novembre ? Personne ne le sait. Est-ce qu’il y aura d’autres surprises ? Ce ne serait pas une surprise s’íl y en avait une !

A côté de cela, AKK devra encore affronter les défis dans le domaine de la défense. Avec sa première déclaration politique devant le Bundestag, lors de sa prestation de serment le 24 juillet, elle a fait passer trois messages aux amis et alliés de l’Allemagne : Premièrement, la Bundeswehr est l’armée du parlement. Ce message, AKK l’a placé au début et à la fin de son discours. Ainsi a-t-elle rassuré les députés : toute mission que les forces armées allemandes sont ou seront appelées à assumer a besoin d’un mandat, défini et voté par le Bundestag. Il était bon de le rappeler au moment où on discute d’une défense européenne. Et quand les Etats-Unis et le Royaume Uni demandent à l’Allemagne de participer à une mission militaire de protection du trafic maritime contre l’Iran dans le golfe d’Oman.

Un partenaire fiable

Deuxième message : L’Allemagne reconnait sa part de responsabilité dans le maintien d’un système international où la force du droit prime sur les droits que réclament pour eux les plus forts. Cela implique, selon la ministre, „une Europe plus forte“, ancrée solidement dans l’Alliance atlantique. Elle confirme que l’Allemagne est un partenaire fiable et prêt à participer à la maîtrise des défis communs. Mais rien de plus concret, ni de vraiment nouveau. Les incertitudes habituelles, dues aux désaccords au sein du gouvernement, et la retenue traditionnelle de l’Allemagne demeurent.

Troisièmement, la nouvelle ministre confirme son intention d’augmenter les dépenses militaires pour arriver à un chiffre correspondant aux 2% du PIB (cela supposerait presque le doublement du budget de défense actuel), comme prévu dans la déclaration du Sommet de l’OTAN au Pays de Galles en 2014 – mais ceci non pas pour 2024, comme le dit le communiqué, mais pour plus tard. Pour 2024 elle envisage, comme l’a fait la chancelière, un chiffre correspondant à 1,5 % du PIB, ce qui serait toujours une augmentation nette, mais en contradiction avec la programmation budgétaire pluriannuelle présentée cet été par le ministre des finances Olaf Scholz du SPD. Le refus clair et net de ce projet par le chef du groupe parlementaire du SPD, en réponse au discours d’AKK au Bundestag, ne s’est pas fait attendre. Ce conflit entre les partenaires de la coalition sur les 2% va s’aggraver au fur et à mesure que le divorce s’accentuera au sein de la coalition.

Bref, Annegret Kramp-Karrenbauer, présidente de la CDU, en attendant d’assurer la succession d’Angela Merkel à la chancellerie, vient de prendre en charge ce grand ministère dans une situation politique, nationale et internationale, qui présente beaucoup de risques et réserve beaucoup de surprises. Dans un sondage récent, plus de 70% des sondés ont exprimé une opinion négative sur sa décision de devenir ministre de la défense ; 15% seulement ont exprimé une opinion positive. L’optimiste qu’elle est va se dire que si elle surmonte tous ces obstacles, elle sera bien préparée pour la charge suprême. Mais il lui faut arriver jusque là, sans autres surprises.