Allemagne : le gouvernement Scholz face aux défis du changement

Le nouveau gouvernement allemand, qui prend le relais, sous la direction du chancelier Olaf Scholz, de l’équipe d’Angela Merkel, se dit déterminé à transformer le pays en profondeur. Il lui faut d’abord relever le défi de la pandémie, dont l’extension révèle des faiblesses systémiques à surmonter de toute urgence. Il lui faudra ensuite s’attaquer à deux grandes questions : la crise climatique et la relance de l’Europe. Les trois partenaires de la nouvelle coalition devront surmonter leurs divergences pour établir des consensus.

Olaf Scholz au congrès du SPD
AFP

Depuis le 8 décembre, l’Allemagne ose progresser davantage. En tout cas, c’est avec le slogan „Oser plus de progrès“, titre du contrat de coalition, que la nouvelle majorité au Bundestag, issue des elections législatives du 26 septembre, commence son travail. Elle se compose du Parti social-démocrate (SPD), qui a surpris en renaissant de ses cendres ; du parti „Alliance 90/Les Verts“, qui a obtenu son meilleur résultat sans en être vraiment satisfait, car il nourrissait des ambitions plus grandes encore ; et du Parti libéral des „démocrates libres“ (FDP), qui a changé de camp, en passant depuis 1982 du centre-droit, avec les chanceliers Kohl et Merkel, ou dans l’opposition, à une coalition de centre-gauche. Ce „ménage à trois“ est une nouveauté. Après seize ans d’Angela Merkel, l’Allemagne tourne la page. Et la nouvelle „coalition de progrès“ a déjà exprimé deux ambitions particulières : changer la façon de faire de la politique, changer de style. Et se faire réélire dans quatre ans. Les nouveaux maîtres du pays considèrent que la coalition ne doit pas se limiter à un programme de 4 ans mais mettre en oeuvre un projet à plus long terme : la modernisation du pays, une transformation en profondeur, le „progrès“ tout court pour la décennie en cours.

Ce gouvernement dirigé par Olaf Scholz se trouve devant de grands défis. Les Verts parlent d’un gouvernement de la dernière chance pour maîtriser le changement climatique ; le SPD se préoccupe de la cohésion sociale en raison des efforts considérables qui seront nécessaires pour transformer l’économie en une économie industrielle décarbonisée ; et le FDP veut accélérer les innovations technologiques pour rattraper avant tout le retard de l’Allemagne dans le domaine de l’informatique. Mais avant de pouvoir se lancer dans le travail pour la maîtrise de ces „thèmes du siècle“, le nouveau gouvernement doit relever ce qui se trouve le défi le plus urgent : la maîtrise de la pandémie.

Vaincre la pandémie

La vague d’infections est plus dramatique que jamais (avec une incidence bien au-dessus de 400 cas pour 100 000 habitants en moyenne nationale, au-dessus de 1000 dans le seul Etat de Saxe, et pas loin de 1000 en Thuringe et en Bavière), et plus importante aussi que dans beaucoup de pays voisins. Elle révèle des faiblesses systémiques qui sont à surmonter de toute urgence. Au-delà des questions sanitaires, il faut se demander pourquoi le taux de vaccination est resté bien en-dessous de ce qui serait nécessaire pour vaincre la pandémie. On doit se demander pourquoi une si grande partie de la population (20% des adultes) du pays où le vaccin contre le Covid 19 a été développé et où il est produit, entre autres, refuse toujours de faire confiance à ce moyen disponible à tous pour en finir avec la pandémie – le seul moyen d’après les experts en médecine. On constate qu‘une partie importante de la société n’a plus confiance, s’oppose même au „pouvoir“ – un danger imminent pour la cohésion de la société démocratique.

Il faut se poser des questions également sur le fonctionnement des administrations locales et régionales, du gouvernement fédéral aussi, car elles n’ont pas été à la hauteur, et ceci indépendamment des engagements forts pris par des individus. Les expériences des interminables conférences de la chancelière avec les chefs des gouvernements régionaux ; leurs jeux politiciens, surtout en temps de campagne électorale ; les hésitations, les fausses promesses et les voltes-faces répétées du ministre fédéral de la santé ; et surtout l’absence évidente de toute décision concernant la lutte contre la pandémie après les élections, alors que l’incidence montait déjà en flèche et que le gouvernement chargé des affaires courantes ne semblait plus se considérer comme étant en fonction, tandis que la nouvelle majorité ne l‘était pas encore, en train de négocier le programme et la formation du nouveau gouvernement - tout cela a contribué à la situation actuelle, où la confiance dans les mesures prises a atteint son niveau le plus bas.

C’est à un moment particulièrement difficile que le nouveau gouvernement accède aux responsabilités, un gouvernement qui n’est pas une simple variante du précédent. Ce n’est qu’aujourd’hui que le nouveau chancelier vient d’installer une cellule de crise permanente à la chancellerie, avec un général à sa tête, qui doit s’occuper surtout des questions opérationnelles et logistiques de la gestion de la crise. Et ce n’est que maintenant que le nouveau chancelier a décidé de mettre en place une cellule scientifique permanente auprès de lui en remplacement de réunions ad-hoc avec des scientifiques sur invitations individuelles. Bref, avant d’attaquer les grands sujets comme le changement climatique, la digitalisation du pays, les défis internationaux, le gouvernement Scholz doit tout faire pour regagner la confiance des gens dans la capacité du gouvernement à gérer la crise sanitaire la plus grave depuis un siècle.

Atteindre les objectifs climatiques

En même temps, les „défis du siècle“ n’attendent pas et ils ne sont pas moindres. Il en est deux qui méritent une attention particulière : la crise climatique et le „bouleversement“ du monde.

Atteindre les objectifs de la COP 21 à Paris est „la priorité absolue“ pour ce gouvernement. Par conséquent, le vice-chancelier Robert Habeck (les Verts) sera une sorte de „chancelier du climat“. Son ministère de l’économie sera augmenté de la responsabilité pour „la protection du climat.“ Il n’aura pas, comme les Verts l’avaient demandé, un droit de veto au sein du conseil des ministres sur tout projet de loi ayant un impact sur le climat ; mais il disposera d’un droit d’examen pour toute action du gouvernement dans ce domaine. En outre, pour aider l’économie, qui doit rester une écnonomie industrielle, à se transformer dans le sens de la décarbonisation, il prévoit des investissments publics de l’ordre de 50 milliards d’€ par an supplémentaires, surtout dans l’infrastructure de la production et du transport des énergies renouveables. Selon Olaf Scholz, cette transformation de l’économie allemande sera la plus importante depuis 100 ans.

C’est ici que le nouveau ministre des finances, le chef du parti libéral, Christian Lindner, aura une responsabilité particulièrement lourde. Partisan d’une stabilité budgétaire stricte, il va devoir organiser le financement d’investissements supplémentaires tout en respectant les règles de la Constitution limitant le recours à l’endettement, suspendues jusqu’en 2022 pour soutenir l’économie pendant la crise du corona. Mais les libéraux veulent aussi accélérer les investissements dans l’infrastructure numérique du pays et comptent mobiliser, pour cela, davantage le capital privé. La modernisation du pays va se jouer en compétition permanente et de principe entre le parti libéral, qui prône la liberté du marché et qui contrôle le ministère des finances, et les Verts, qui misent sur des dépenses supplémentaires, demandent des règles plus strictes et des obligations pour imposer des transformations, et qui dirigent le ministère de l’économie – et de la transformation. A ceci s‘ajoute le souci majeur du SPD et du chancelier de maintenir, voire de rétablir la cohésion sociale, de rendre supportable aux classes moyennes les coûts et les contraintes que la transformation va produire, de l’organiser d’une manière „juste“.

Des controverses au sein de cette coaltion, il n‘en manquera pas. Ce sera le „nouveau style“ justement qui doit, selon le chancelier, rendre les résultats voulus. Les trois partis, aussi différents qu’ils soient, ont réussi, pendant leurs négociations, à se disputer vivement en interne avant d’arriver à un consensus qu’ils pouvaient défendre tous les trois. Cela a créé, selon les négociateurs, une confiance entre eux qui paraît assez solide pour porter le projet à long terme. Le nouveau chancelier ne sera pas, comme Angela Merkel, un médiateur. Il ne se contentera pas de dire, comme sa prédécesseure : „La politique c’est ce qui est possible.“ Il a l’ambition de rendre possible ce qu’il juge nécessaire pour le pays ; il encouragera son équipe à se disputer avant d’aboutir à un accord solide.

Construire un Etat fédéral européen

Un changement de style s’appliquera également dans le domaine des relations internationales ; changement de style, mais surtout de substance. Emmanuel Macron peut enfin trouver, dans le contrat de coalition, des réponses à ses avances de 2017 et après. Le nouveau gouvernement se prononce pour une „Union européenne sur des bases démocratiques solides, capable d’agir et en souveraineté stratégique.“ Cette souveraineté stratégique s’appliquerait à la capacité de l’UE d’agir dans un contexte global, voire dans les domaines de l’énergie, de la santé, des matières premières et de la technologie numérique. Le gouvernement se prononce pour un renforcement et un approfondissement de l’union monétaire, ainsi que pour l’abandon de la règle de l’unanimité en matière de politique européenne de sécurité et de défense (PESD) et pour un vrai ministre des affaires étrangères de l’UE.

Le gouvernement Scholz s’engage aussi à „défendre les intérêts de l’Allemagne à la lumière des intérêts européens“ et se déclare être „au service de l’UE en tant que telle.“ Non pas seulement, il soutient la conférence sur l’avenir de l’Europe, lancée par le président francais, mais il se déclare prêt aux modifications des traités si telle est la proposition de la conférence ; il est favorable à la réunion d‘une Convention constitutionnelle à la suite de la conférence ; il veut même poursuivre la construction d’un Etat fédéral européen décentralisé, sur la base de la Charte des droits des citoyens. Il veut renforcer les pouvoirs du Parlement européen en lui donnant le droit d’initiative pour la législation européenne, adopter la proposition d’Emmanuel Macron pour la constitution de listes transnationales aux élections européennes et rendre transparentes les délibérations du Conseil. Il se déclare prêt également à aller de l’avant avec les Etats membres qui y seraient prêts. On peut ajouter la confirmation d’un „partenariat fort avec la France“ sur la base du Traité d’Aix-la-Chapelle et dans le cadre de l’Assemblée parlementaire franco-allemande, un assemblée unique au monde qui réunit 50 députés de chaque côté pour débattre de tous les sujets qui touchent au „franco-allemand.“

Voilà les engagements pris, aux termes du contrat de coalition dans le domaine de la politique européenne. Ont-ils une chance d’être réalisés ? Evidemment, cela ne dépend pas seulement de Berlin. Mais il y a maintenant des idées sur la table et, selon le style Scholz, on va pouvoir en débattre, vivement, s’il faut. Faut-il rappeler que c’était le ministre des finances Scholz qui a mis sur pied l’année dernière, avec le ministre français Bruno Le Maire, le fonds de relance européen ?

La nouvelle ministre des affaires étrangères, Annalena Baerbock (les Verts), va aussi manifester des changements de style et de substance. Comme le chancelier et comme le ministre des finances, son premier voyage à l’étranger la conduira à Paris, comme c’est devenu l’habitude, mais elle avait annoncé dans un premier temps qu’elle se rendrait d’abord à Bruxelles. Sur les affaires européennes, elle a déjà exprimé des positions plus dures pour le respect de l’état de droit en Pologne et en Hongrie, mais aussi par rapport aux pouvoirs autoritaires à Moscou et à Pékin. Elle va sans doute aussi garder plus de distance avec Paris en ce qui concerne les questions de défense quand il s’agit de la défense nucléaire, alors que la nouvelle coalition continue à adhérer au principe du „partage nucléaire“ au sein de l’Otan.

La nouvelle ministre de la défense, Christine Lambrecht, une professionnelle proche d’Olaf Scholz, ancienne ministre de la justice, va faire en sorte que l’approche plus pragmatique du chancelier trouve sa place. En tout cas, toutes les questions de défense et celle du rôle de l’Allemagne dans ce domaine restent un sujet controversé, particulièrement au sein des deux partis du SPD et des Verts et surtout de leurs groupes parlementaires. La gauche au sein du groupe SPD n’est pas à sous-estimer ; un quart du groupe vient des „Jeunes socialistes“, plutôt anti-militaires.

Les défis sont grands pour ce nouveau gouvernement. Ses ambitions le sont aussi. Il ne bénéficiera pas des 100 jours de grâce, comme on avait l’habitude de dire. Des décisions lourdes de conséquences vont être prises pendant la première année de son mandat. C’est ce qu’a annoncé Olaf Scholz dans une interview à l’hebdomadaire „Die Zeit“. Pour vaincre le virus, pour mettre le pays sur la piste de la réalisation des engagements pris à Paris (1,5°), pour faire face aux menaces qui découlent de la concurrence aggravée des grandes puissances, ce nouveau gouvernement n’a pas de temps à perdre.

Les partis soutenant ce gouvernement ont ratifié le contrat de la „coalition aux feux tricolore“ avec des majorités écrasantes : les délégués du SPD réunis en congrès extraordinaire en format hybride avec presque 99% ; les délégués du FDP, réunis également en format hybride, avec 92% ; chez les Verts, tous les adhérents ont été invités à se prononcer par voie électronique ou postale ; 86% des votants se sont prononcés pour ce contrat. Le nouveau gouvernement a toutes les chances pour réussir.