Angela Merkel et les quatre coalitions

Un mois avant le scrutin législatif du 24 septembre, l’Union chrétienne-démocrate (CDU-CSU) est créditée de 40% des voix dans les sondages, loin devant le Parti social-démocrate (SPD) qui recueillerait entre 24 et 25% des suffrages si le vote avait lieu dimanche prochain. Quatre autres partis tournent autour de 8% des intentions de vote – la gauche radicale Die Linke, les Verts, le Parti libéral (FDP), qui devrait ainsi faire son retour au Parlement, et l’extrême-droite AfD (Alternative für Deutschland), qui devrait entrer pour la première fois au Bundestag.
Si, comme il est probable, aucun parti n’a la majorité absolue et si, comme semble l’indiquer les sondages, la CDU-CSU est le parti le plus puissant, Angela Merkel devra former une coalition. En fonction des résultats, elle aura le choix entre quatre formules, ce qui la place en position de force.

Au Schleswig-Holstein, une affiche de campagne aux couleurs de la Jamaîque

Après la surprise du Brexit, l’élection inattendue de Donald Trump, et la victoire improbable d’Emmanuel Macron, la prudence est certes de mise. Mais en Allemagne, toutes les études d’opinion vont dans le même sens : même si les élections législatives du 24 septembre ne sont pas encore jouées, tout laisse à penser qu’un succès de la CDU-CSU offrira à Angela Merkel son quatrième mandat de chancelière.

Martin Schulz à l’offensive

Le candidat-chancelier du SPD, l’ancien président du Parlement européen Martin Schulz, après un départ fulgurant à la fin de l’année dernière, peine à sortir son parti de l’ornière où il se trouve depuis des années. Ni la cure d’opposition entre 2009 et 2013, ni la participation à une grande coalition avec la démocratie chrétienne (2005-2009 puis 2013-2017) ne lui ont permis d’attirer plus du quart des électeurs allemands. Martin Schulz a décidé de durcir le ton contre Angela Merkel dans la dernière ligne droite de la campagne mais rien ne parait atteindre la popularité de la chancelière.
Sans doute Angela Merkel ne côtoie plus les sommets, sa cote est même tombée de dix points dans les dernières semaines, mais elle reste appréciée par une majorité de ses concitoyens. Le score promis à la CDU-CSU par les sondages en témoigne. Elle devrait faire aussi bien qu’il y a quatre ans.
Toutefois elle n’aura pas la majorité absolue au Bundestag. Ce n’est d’ailleurs arrivé qu’une seule fois dans l’histoire de la République fédérale. En 1957, Konrad Adenauer pouvait se passer d’alliés. Il fit pourtant alliance avec le petit parti DP (Deutsche Partei) qui passa dans l’opposition en 1960 et laissa donc la CDU-CSU gouverner seule jusqu’au scrutin de 1961. Cette année mise à part, aucun parti n’a jamais gouverné seul depuis.

L’embarras du choix

Au lendemain du 24 septembre, Angela Merkel devra donc, selon toute vraisemblance, former un gouvernement de coalition. Elle devrait avoir l’embarras du choix. Après avoir exclu die Linke, à gauche, et l’AfD, à droite, qui ni l’une ni l’autre ne sont acceptables pour la démocratie-chrétienne, il lui restera quatre possibilités : une nouvelle grande coalition avec le SPD, une coalition « bourgeoise » avec les libéraux, une alliance dite « noire-verte » avec les écologistes, ou enfin une coalition à trois avec les libéraux et les Verts.
Les deux dernières combinaisons sont inédites. Tout dépendra en définitive du rapport des forces. Si un gouvernement des démocrates-chrétiens et des libéraux peut avoir une majorité au Bundestag, c’est la formule la plus classique et peut-être la plus confortable pour Angela Merkel. Apparemment seulement si l’on se souvient du dernier gouvernement CDU-CSU-FDP (2009-2013) qui n’a laissé de bons souvenirs à aucun des partenaires.
Cette fois, les libéraux voudraient bien revenir au pouvoir mais certains observateurs doutent de leur compétence. Après leur défaite de 2013 qui les a chassés du Bundestag, leurs dirigeants ont été profondément renouvelés et aucun ne possède d’expérience gouvernementale. Leur président, Christian Lindner, vient de se distinguer en proposant de passer l’annexion de la Crimée par profits et pertes, une position diamétralement opposée à la ligne officielle de l’Allemagne et des Occidentaux. Traditionnellement, le chef de la deuxième composante de la coalition est vice-chancelier et ministre des affaires étrangères. On voit mal comment Christian Lindner pourrait occuper ce poste après ses déclarations.

Une occasion manquée

Encore faudrait-il que l’addition des sièges de la CDU-CSU et du FDP dépasse la moitié des membres du Bundestag. Ce n’est pas le cas selon les sondages actuels. Il en va de même pour une éventuelle coalition « noire-verte ». En 2013, l’arithmétique parlementaire l’aurait permise. Quelques Verts célèbres, comme Daniel Cohn-Bendit et le politologue Claus Leggewie, militaient pour une alliance avec la démocratie-chrétienne, seule capable à leurs yeux d’impulser les réformes nécessaires à la société allemande. Mais la CSU bavaroise était contre, ainsi qu’une majorité des Verts. Angela Merkel a alors préféré le confort relatif d’une grande coalition à un saut dans l’inconnu. Au nom d’un vieux principe cher à Adenauer : « pas d’expérimentation ».
La chancelière avait pourtant levé un obstacle rédhibitoire à un accord avec les écologistes. En 2011, à la suite de l’émotion soulevée par le drame de Fukushima, elle avait annoncé la sortie de l’Allemagne du nucléaire pour 2020. En 2015, elle a ouvert les portes à un million de réfugiés en une action humanitaire qui lui a valu des soutiens à gauche.
Cette année, la voie est encore plus dégagée. D’autres sujets potentiels de friction ont été réglés. La légalisation du mariage homosexuel et les interrogations pesant sur l’avenir des moteurs à explosion témoignent d’un rapprochement avec les thèses des Verts.
Sur ces deux questions, Angela Merkel a appliqué la méthode qui a fait sa fortune politique. Elle a fait en sorte de donner satisfaction aux thèses progressistes sans braquer ses électeurs conservateurs. Elle a ouvert la voie au vote sur le mariage pour tous au Bundestag mais elle a elle-même voté contre. Elle ne condamne pas l’industrie automobile, un des fleurons des exportations allemandes, mais elle profite du scandale provoqué par les tricheries aux moteurs diesel pratiquées sans vergogne par les grands constructeurs allemands pour appeler à réfléchir sur l’avenir de la voiture électrique.

« Jamaïca »

Si une alliance « noire-verte » manquait la majorité au Bundestag, la chancelière a encore une carte dans sa poche : la coalition « jamaïcaine », noire-verte-jaune (le jaune symbolise le FDP), nommée ainsi car ce sont les couleurs du drapeau de la Jamaïque. Là encore, ce serait une première en Allemagne, au moins au niveau fédéral. Car une telle constellation existe actuellement au gouvernement régional du Schleswig-Holstein et elle a brièvement gouverné le petit Land de Sarre. La garde montante de la démocratie-chrétienne, au premier rang de laquelle, le ministre-président du Schleswig-Holstein, Daniel Günther, plaide pour cette solution.
Reste enfin un dernier choix pour Angela Merkel : la reconduction de la grande coalition avec le SPD, si les autres combinaisons n’atteignent pas la majorité ou si elles échouent sur des désaccords programmatiques. Les sociaux-démocrates ont plus à y perdre que la CDU-CSU. Il n’est donc pas sûr que l’attrait du pouvoir l’emporte chez eux sur la nécessité d’une cure d’opposition. Celle-ci leur permettrait de se dissocier enfin d’une politique qu’ils ont imprégnée sans en tirer profit et de réfléchir à un nouveau corpus idéologique qui les distingue d’un centrisme mou.

Pas de solution « à gauche toute ! »

Certains sociaux-démocrates caressent le rêve d’une coalition « de gauche », avec les Verts et Die Linke. Elle aurait eu une majorité d’une voix dans le Bundestag sortant. Toutefois les obstacles traditionnels demeurent. La gauche radicale, opposée notamment au consensus de politique étrangère des grands partis allemands depuis les années 1990, Verts y compris, peut être une alliée au niveau régional mais pas un partenaire d’un gouvernement fédéral.
Au début de sa campagne, Martin Schulz a laissé entendre qu’il n’était pas contre une coalition « rouge-rouge-verte ». C’était une manière de se libérer du poids de la coopération passée avec la CDU-CSU. Mais il s’est fait ensuite plus discret pour ne pas effrayer les électeurs centristes. Cette voie reste bouchée.
Autant les options de Martin Schulz sont limitées, autant celles d’Angela Merkel sont ouvertes. La chancelière se gardera bien de se prononcer sur sa coalition préférée avant le scrutin du 24 septembre. Elle répétera un principe largement partagé : tous les partis démocratiques sont éligibles pour des coalitions, sous-entendu sauf la gauche radicale et l’extrême-droite. Il sera bien temps de négocier après, en fonction du résultat des urnes. Angela Merkel a quatre atouts dans sa manche, face à des interlocuteurs qui n’auront que le choix entre accepter ses conditions ou retourner dans l’opposition. Se soumettre ou se démettre.