En remportant les élections fédérales allemandes avec les chrétiens-démocrates devant son rival du Parti socialiste, Angela Merkel accomplit un exploit devenu rare dans les démocraties parlementaires : obtenir un quatrième mandat. La confiance réaffirmée des Allemands envers une chancelière certes populaire mais aussi parfois très critiquée, notamment dans les Länder de l’Est, ne repose pas seulement sur la prospérité de l’économie et l’incapacité de ses rivaux à offrir une perspective mobilisatrice.
Grandie à l’Est
L’Allemagne, « le pays où il fait bon vivre » selon le slogan de la CDU, ne l’est pas pour tous et la pauvreté y touche un nombre d’habitants plus élevé qu’en France. Quant aux projets sociaux du SPD, une partie d’entre eux (comme l’instauration d’un salaire minimum par exemple) ont été réalisés par la coalition dirigée par la droite. Martin Schulz n’a pas su faire valoir devant les électeurs ses victoires sociales par adversaire interposé. C’est justement là que réside un des secrets d’Angela Merkel.
Elle avance couverte.
Dans son livre, Angela Merkel, OVNI politique, Marion van Renterghem insiste sur l’énigme de son arrivée au pouvoir. Angela Merkel est différente de ses prédécesseurs à la tête des gouvernements allemands, en particulier parce qu’elle a fait des études scientifiques – elle est docteur en chimie — et non juridiques ou historiques, comme beaucoup d’hommes politiques allemands. Cette formation expliquerait son pragmatisme tant vanté. Et surtout parce qu’elle vient de l’Est. Avoir grandi sous un régime totalitaire lui a donné des armes : non seulement en la « privant » de la naïveté de beaucoup de politiques devant les déclarations idéologiques de ses interlocuteurs, sur la scène internationale en particulier, mais aussi parce qu’elle-même, fille de pasteur dans une société dite athée et égalitaire, y a appris à louvoyer sous les vents contraires, à composer, à convaincre et à vaincre, et surtout à se taire.
Kohl, ou comment tuer le père
Après son entrée en politique, au lendemain de la chute du mur de Berlin, son parcours politique n’est pas tellement exceptionnel. Elle a commencé à militer modestement, entrant comme par hasard dans une petite formation démocratique de la RDA finissante qui se fondra ensuite dans la démocratie-chrétienne. Elle devient ministre fédérale parce que Helmut Kohl a besoin de femmes et de représentants de l’Est dans son gouvernement après la réunification.
Elle sait se faire apprécier et gagner la confiance de Kohl, qu’elle n’hésitera pas à écarter quand après la défaite de 1998 l’ancien chancelier sera mis en cause dans l’affaire des caisses noires de la CDU. Elue présidente du parti, elle devient tout naturellement chancelière quand la CDU-CSU gagne, de justesse, les élections de 2005 contre Gerhard Schröder. Bien sûr, elle a eu de la chance. Mis elle a su la saisir. Comme tous les vainqueurs.
Un épisode important dans l’histoire européenne est toujours mis en avant pour tenter d’analyser sa politique : l’accueil des réfugiés. La magnanimité de l’accueil des flux immenses arrivant en Allemagne par la route des Balkans, la foule chaleureuse venue en septembre 2015 les accueillir à la gare de Munich avec des pancartes leur souhaitant la bienvenue a permis à beaucoup de considérer Angela Merkel comme l’honneur de l’Europe alors que tout à droite dénonçait un « appel d’air » créé par l’ouverture des frontières. Non, proteste Stefan Kornelius, Angela Merkel n’a pas pris la décision d’ouvrir les frontières, elles étaient ouvertes. Elle n’a pas pris la décision de les fermer, parce que c’était impossible. Le pragmatisme et … l’histoire de l’Allemagne l’interdisaient.
En mars 2016 Angela Merkel signait avec le président turc Erdogan un accord qui allait engager l’Europe pour qu’il retienne les réfugiés moyennant une aide de 6 milliards d’euros. Un accord que beaucoup ont jugé honteux. Il y a deux Merkel, dit Marion van Renterghem, l’humaniste et la calculatrice, en espérant qu’un quatrième et selon toute vraisemblance dernier mandat libérera la première des contraintes de la seconde.
La chancelière a reconnu qu’elle aurait dû agir beaucoup plus tôt pour résoudre le problème des flux migratoires, dès 2014. L’Allemagne est un pays fragile, dit Stefan Kornelius. Sous son air de forteresse prospère elle cache une société à deux vitesses où s’accroissent les inégalités. Or Angela Merkel (y compris en faisant parfois la politique du SPD) a élargi le centre mais ouvert un champ nouveau aux extrêmes. Autrefois la CSU (partenaire bavaroise de la CDU) se vantait de n’avoir personne à sa droite. Désormais l’AfD s’y est installée et nourrit le populisme qui menace également ailleurs en Europe.
Pendant la campagne électorale présidentielle française, les Allemands craignaient beaucoup une victoire de Marine Le Pen. Ils ont été très soulagés par la victoire de « l’européïste » Emmanuel Macron. La conjonction des efforts d’un président français en début de mandat décidé à rendre vie à l’Europe politique et d’une chancelière allemande libérée des soucis électoraux pourrait être une conjonction favorable qui redonne de l’optimisme aux Européens.