Antiterrorisme : le difficile partage du renseignement

Les gouvernements européens se mobilisent pour relancer leur coopération dans la lutte contre le terrorisme et pour tenter de mieux coordonner leurs efforts. L’un de leurs principaux objectifs est d’assurer un meilleur échange d’informations entre les services des différents Etats afin de détecter les menaces avant qu’il ne soit trop tard et de repérer en particulier les combattants étrangers de retour du djihad.

Au lendemain des attentats terroristes qui ont tué dix-sept personnes à Paris, dont plusieurs collaborateurs de Charlie-Hebdo, les représentants de onze Etats européens, membres du groupe improprement nommé G10, ont décidé d’intensifier leur coopération en matière de lutte antiterroriste. Cette coopération passe d’abord, ont-ils dit, par la mise en commun de toutes les informations disponibles sur ceux qui sont susceptibles de commettre des actes de terrorisme. Selon Le Monde, qui cite une source proche de l’enquête, « la documentation des services n’était pas à jour » sur les auteurs des attentats. Pour une raison ou pour une autre, la surveillance dont ils étaient l’objet n’a pas été suffisante pour permettre de déjouer leurs entreprises. Les enquêteurs considèrent que certaines des « failles » reconnues par le premier ministre, Manuel Valls, auraient pu être comblées avec l’aide des partenaires européens de la France.

Aussi les Onze, auxquels s’étaient joints le commissaire européen chargé des affaires intérieures et le coordinateur européen pour la lutte contre le terrorisme, ainsi que des délégués des Etats-Unis et du Canada, se sont-ils dits « déterminés à mettre en œuvre toutes les mesures utiles visant au partage du renseignement sur les différentes formes de la menace, et notamment les combattants étrangers terroristes, à la connaissance de leurs déplacements et des soutiens dont ils bénéficient, où qu’ils se situent ». Les onze pays représentés sont ceux qui sont les plus touchés par le phénomène des combattants étrangers : Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, France, Italie, Pays-Bas, Pologne, Royaume-Uni, Suède. Le ministre français de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, qui présidait leur réunion dimanche 11 janvier à Paris, avant les grands rassemblements populaires de l’après-midi, a développé le même discours devant la presse. « Nous devons mieux encore partager entre nous les informations relatives aux combattants étrangers mais aussi aux réseaux et aux filières terroristes », a-t-il déclaré, en fixant deux grands objectifs : contrecarrer les déplacements des combattants étrangers et lutter contre les facteurs de radicalisation, notamment sur Internet

Le renforcement des contrôles aux frontières extérieures et la mise en place d’un « PNR » européen (Passenger Name Record, c’est-à-dire, en français, l’enregistrement des données personnelles des passagers aériens en Europe, un projet bloqué depuis quelques années par le Parlement européen au nom de la défense des libertés), deux dispositions demandées par les Onze, participent de la même volonté de repérer avant qu’il ne soit trop tard, dans l’espace européen, les individus dangereux. Dans le même esprit, Alain Chouet, ancien chef du service de renseignement de sécurité à la DGSE, recommande, dans un texte publié par la Fondation Robert-Schuman, « une réelle coopération multilatérale pour l’identification, la surveillance, le suivi et, le cas échéant, la neutralisation des personnes et milieux à risques » ainsi qu’ « une véritable coopération judiciaire et policière destinée à déceler le plus en amont possible et prévenir les dévastations de la propagande salafiste sur les citoyens les plus fragiles ». Il souligne notamment qu’en raison de la liberté de mouvement instituée dans l’espace Schengen « il ne sert pas à grand chose d’identifier à l’échelon national les sujets à risques si les partenaires de l’espace n’en sont pas informés ».

« Les instruments sont disponibles »

La coopération judiciaire et policière fait partie des « compétences partagées » entre l’Union européenne et les Etats membres mais, comme le rappelle la Commission, elle « reste principalement une compétence nationale ». L’Union européenne « soutient les efforts » des gouvernements mais en aucun cas ne se substitue à eux. Elle a mis en place des instruments dont les Etats membres sont invités à se servir pour renforcer leur coopération et mieux coordonner leurs actions. « Les instruments sont disponibles, rappelle la Commission. Il revient aux Etats membres de les utiliser ». L’un de ces outils est le Système d’information Schengen (SIS), qui rassemble les noms de toutes les personnes recherchées mais signale aussi les voitures volées ou les armes détournées. Les agences européennes Europol et Eurojust, chargées de faciliter la coopération policière et judiciaire, ont aussi pour fonction d’assurer la circulation des informations entre les Etats membres. La difficulté, dans ces domaines ultrasensibles, est que les Etats membres hésitent souvent à partager toutes leurs informations avec leurs partenaires par crainte de fuites et d’indiscrétions. La collaboration entre les services des divers pays européens se heurte aux réticences de leurs responsables qui préfèrent garder pour eux les renseignements dont ils disposent ou ne les échanger qu’avec quelques interlocuteurs choisis qui bénéficient de leur confiance. Les nouvelles initiatives que l’Europe s’apprête à lancer visent notamment à surmonter ces obstacles.