Après la destitution de Dilma Rousseff, le combat continue

Destituée par un vote du Sénat, la présidente brésilienne, Dilma Rousseff, a perdu la partie. Mais au-delà de la bataille judiciaire la bataille politique entre le Parti des travailleurs et ses adversaires n’est pas terminée. Ceux qui ont voulu le départ de Dilma Rousseff ont choisi de censurer l’ensemble de sa politique, et non seulement les manipulations budgétaires dont ils l’ont accusée. Les prochaines élections – les municipales en octobre et surtout la présidentielle de 2018 – montreront si la gauche brésilienne est capable de se réinventer ou si ses treize années de pouvoir n’auront été qu’une parenthèse.

Dilma Rousseff avec Lula
Miguel Schincariol / AFP

La destitution de la présidente brésilienne, Dilma Rousseff, au profit de son vice-président, Michel Temer, est l’aboutissement d’un long combat mené par une opposition résolue, qui s’est mobilisée pendant de longs mois pour mettre fin aux treize années de règne du Parti des travailleurs, incarné par Lula de 2003 à 2011, puis par Dilma Rousseff, sa plus proche collaboratrice. Celle-ci s’est battue avec énergie pour rester au pouvoir, malgré les attaques de ses adversaires et le double jeu de son vice-président, avant d’être officiellement vaincue, au Sénat, par 61 voix contre 20, soit un nombre de suffrages nettement supérieur à la majorité des deux tiers requise pour l’écarter de la présidence.
La présidente sortante a adopté pendant ce procès une attitude combative, comme si elle s’adressait autant à l’opinion qu’à ses juges, qu’elle savait acquis à sa condamnation. Elle a tenu à défendre son image face à ceux qui l’associent à la fraude et à la corruption, alors que beaucoup d’entre eux sont le coup d’enquête judiciaires. Elle a dénoncé avec force, devant les sénateurs, le « coup d’Etat » dont elle n’a cessé de se dire la victime. Elle a appelé, en vain, ses opposants à respecter la volonté souveraine des Brésiliens qui l’ont portée deux fois à la présidence. Elle a rappelé sa lutte passée contre la dictature, au prix de la torture, se disant innocente du « crime de responsabilité » dont elle était accusée. Les sénateurs n’ont pas voulu l’entendre.

Une bataille politique

Dilma Rousseff a perdu son combat, face à des adversaires politiques qui voulaient son départ, mais elle a été fidèle à elle-même en livrant bataille, au milieu des passions, des larmes et des polémiques, entourée de ses amis et du premier d’entre eux, Lula, au moment où celui-ci est à son tour sous les feux de la justice. Ce combat, Dilma Rousseff l’a donc perdu au Sénat, mais il va continuer dans le pays au lendemain de sa destitution. Il n’est pas seulement judiciaire, même si les juges y ont joué leur rôle, il est aussi et surtout politique. Dans un régime présidentiel, où le Parlement ne peut pas renverser le gouvernement, la procédure de destitution est le seul moyen dont disposent les parlementaires pour abattre l’exécutif. On l’a vu naguère au Brésil quand Fernando Collor de Mello fut destitué en 1992 ou aux Etats-Unis quand Bill Clinton faillit l’être en 1998-1999. La même menace pèse aujourd’hui, au Venezuela, sur Nicolas Maduro.
En dépit de sa dimension judiciaire, le procès de Dilma Rousseff était avant tout une bataille pour le pouvoir. Le premier vaincu, au-delà de la présidente, est le Parti des travailleurs, ce parti né en 1980 de la résistance à la dictature militaire et principal artisan, sous la houlette de Lula, de la spectaculaire émergence du Brésil sur la scène internationale. C’est la politique conduite par le Parti des travailleurs qui a permis à une large partie de la population de sortir de la pauvreté et qui a contribué à l’extraordinaire popularité de son chef, malgré les déboires judiciaires qui l’attendent aujourd’hui. Dilma Rousseff n’a pas manqué d’accuser ses adversaire de vouloir remettre en cause cet acquis.

« Un sabotage intense et permanent »

« Ce qui est en jeu, disait-elle en mai, lorsqu’elle fut suspendue de la présidence, ce sont les réalisations de ces treize dernières années, les gains qu’en ont retirés les plus pauvres, mais aussi la classe moyenne. C’est la protection des enfants, l’accès des jeunes aux universités et aux écoles techniques. C’est la valeur du salaire minimum, ce sont les médecins qui s’occupent de la population. C’est la réalisation du rêve de posséder sa maison avec « Minha Casa, Minha Vida ». Ce qui est en jeu, c’est l’avenir de notre pays, ses possibilités de progresser toujours plus ». Elle accusait ses opposants de soumettre son gouvernement à un « sabotage intense et permanent », ajoutant : « Ces gens ont plongé le pays dans un état permanent d’instabilité politique, ont tout fait pour empêcher son redressement économique, dans le seul but de s’emparer de force de ce qu’ils n’avaient pu obtenir par les urnes ».
Les adversaires de la présidente destituée ont eu beau jeu de lui répondre que sa politique avait eu pour résultats l’approfondissement de la récession et l’augmentation du chômage, qui ont replongé dans la pauvreté ceux qui en étaient sortis. Dilma Rousseff doit être tenue pour responsable, disent-ils, de l’aggravation de la crise économique. On est loin de la seule accusation de maquillage des comptes publics qui a motivé son procès. C’est toute son action à la tête de l’Etat qui est critiquée et censurée par ses opposants. « Dans quelle mesure vous-même et votre gouvernement vous sentez-vous sincèrement responsables de la récession, des douze millions de chômeurs au Brésil, des soixante millions de Brésiliens dont les factures sont en retard et d’une perte moyenne de 5 % du revenu des travailleurs brésiliens ? », lui a ainsi lancé Aécio Neves, qui fut son rival malheureux au second tour de l’élection présidentielle de 2014 et qui pourrait être de nouveau candidat en 2018 au nom du Parti social-démocrate brésilien.

Un test pour Michel Temer

Avant l’élection présidentielle de 2018, les élections municipales donneront, dans quelques semaines, des indications sur le rapport des forces politiques au lendemain de la destitution. Elles permettront notamment de savoir si le Parti des travailleurs, affaibli par l’échec de Dilma Rousseff et les poursuites contre Lula, garde assez d’influence pour être capable de se reconstruire en vue de l’élection présidentielle. Elles seront aussi un test pour le nouveau président, Michel Temer, dont l’impopularité est grande (il fut hué à l’ouverture des Jeux olympiques et renonça à assister, trois semaines plus tard, à la cérémonie de clôture) et dont la réputation est ternie, comme celle de tant d’autres hommes politiques brésiliens, par des soupçons d’affairisme et de corruption.
Le successeur de Dilma Rousseff va devoir affronter la grave situation économique de son pays. Il sera conduit à réexaminer les programmes sociaux auxquels Lula et le Parti des travailleurs ont attaché leurs noms. Il a promis de s’attaquer ensuite à la réforme des retraites et à celle du droit du travail. En même temps, il doit laisser la justice faire son travail dans l’affaire Petrobras alors même que certains de ceux qui souhaitaient la destitution de la présidente y voyaient le moyen de donner un coup d’arrêt aux enquêtes. Il lui faudra également rassembler une coalition qui soutienne son action, ce qui ne sera pas facile, compte tenu des divisions et des rivalités au sein d’une opposition devenue aujourd’hui majorité. Les scrutins à venir montreront si les treize années dominées par le Parti des travailleurs n’auront été qu’une parenthèse dans la vie politique du Brésil ou si la formation de Lula est capable de se réinventer pour se projeter dans l’avenir.