Au nom de l’Europe, les Européens votent Macron

Au lendemain du premier tour de l’élection présidentielle française, le commissaire européen Pierre Moscovici a donné, le lundi 24 avril, une conférence à la Maison de l’Allemagne à la Cité universitaire de Paris. Invité par les étudiants du master en affaires européennes de la Sorbonne et par la Maison Heinrich Heine, il a insisté sur le choix qui se présente pour les électeurs français : pour ou contre l’Union européenne, qui a besoin d’être réformée mais qui ne mérite pas qu’on la quitte.
Nous publions ci-dessous une synthèse des propos de Pierre Moscovici.

Le commissaire Pierre Moscovici
Dessin de Alain Brillon paru dans Libération

Ce n’est pas le moment de pousser un « ouf ! » de soulagement, après ce premier tour de toutes les incertitudes, dit Pierre Moscovici. « Nous sommes maintenant devant un choix clair entre deux projets déterminés. Emmanuel Macron est résolument pour l’Europe, Le Pen pour le repliement hexagonal fermé ; et nous avons, nous, la famille européenne, nous avons une chance de l’emporter, nous avons une chance d’arrêter la montée du populisme en Europe », affirme le commissaire européen.
Il reste cependant des sujets de préoccupation. D’abord la progression du Front national, importante et peut-être mal analysée. La France est divisée, géographiquement, socialement et politiquement. Elle est même écartelée entre quatre blocs, après les suffrages de dimanche : de l’extrême droite à l’extrême gauche avec une droite réactionnaire et un centre gauche mal défini. Comment rassembler la France ? L’image de la France en Europe est devenue illisible, brouillée par les attentats, le pessimisme économique, les tentations de « Frexit »…

Clarification

Le second tour au moins offre une chance de clarification politique, car il oppose deux projets déterminés. Choisir entre la société « nauséabonde » du FN, son programme mortel pour l’Europe et pour la France, notamment celle des plus faibles, et de l’autre côté le projet européen de Macron, une direction claire et un cap résolument optimiste, parce que « l’Europe, on l’aime ou la quitte »
« Je me méfie des referendums, dit aussi Pierre Moscovici, ils posent des questions simples pour traiter de problèmes compliqués, le oui doit être argumenté, le non se contente de passions. Mais le vrai referendum sur l’Europe, nous y sommes, c’est la présidentielle ! »
Le besoin de renouveau exprimé dans cette campagne, le besoin de changement, concernent non seulement les partis politiques français, mais il concerne aussi l’Europe. « Je suis loin de l’eurobéatitude , affirme le commissaire, on doit être lucide quand on est pro-européen ». Tout ne va pas pour le mieux dans le meilleur des mondes, il y a des valeurs que l’Europe ne partage pas assez, et il faut trouver sa place dans la mondialisation. Le « narratif » qui manque à l’Europe, c’est peut-être en reprenant le cap des débuts que nous allons le retrouver.

Un accent social

Revenir aux fondamentaux. Il faut une Europe sociale. On ne peut pas promettre la lune, mais il faut une lutte acharnée contre toutes les dérives, contre la directive sur les travailleurs déplacés, par exemple. La démocratisation des institutions aussi est nécessaire, par le contrôle parlementaire notamment. S’il y a une leçon à tirer du Brexit, c’est bien celle-là : « Take back control ! » il faut reprendre le contrôle sur les institutions européennes. Et enfin, il faut réformer le cœur, la zone euro." L’euro protège, mais ne dynamise pas », disait Jacques Delors, il protège contre les fluctuations, contre la spéculation, mais pour que les excédents soient mieux répartis, il faut une politique active. Il faut réduire les divergences entre nos économies, la part du produit qui revient à l’économie allemande est excessive.
« Je crois que Macron sera président, et je le souhaite. Je lui apporterai ma voix. » Pierre Moscovici n’est pas seul à Bruxelles à vouloir la victoire d’Emmanuel Macron. « Jean-Claude Juncker [le président de la Commission] lui a envoyé un message de sympathie comme beaucoup d’autres ».
Les insatisfactions cependant n’ont pas disparu, qui ont porté le Pen au second tour. « Une élection n’est pas gagnée avant le dernier soir ». « Je souhaite la défaite nette et sans appel de toute la famille Le Pen, le pire des nationalismes et des populismes », dit Pierre Moscovici. Pour que l’Europe réponde aux attentes des citoyens, il faut une nouvelle relance ; or une fenêtre d’opportunité s’ouvre avec les élections en France et en Allemagne, qui vont apporter deux gouvernements « frais » - soit nouveaux, soit relégitimés. Martin Schulz et Angela Merkel sont des pro-européens convaincus. La dynamique de cette renaissance européenne passe par l’approfondissement de la zone euro.
S’il est difficile de réformer pendant les « travaux électoraux », on peut réfléchir. Le Livre blanc préparé par Jean-Claude Juncker permet d’analyser les forces et les faiblesses de l’Europe. Celle-ci a été construite pour la réconciliation et la paix, c’est un souvenir historique qu’il faut transmettre. Elle nous apporte la prospérité, la libre circulation, Erasmus, la sécurité… et la bonne monnaie – l’euro est la deuxième monnaie du monde. Mais l’amour est quelque chose qu’il faut créer chaque jour.
L’Europe a des faiblesses aussi, qu’il faut corriger. Pour le numérique, par exemple, il faut mettre en place des champions européens. L’harmonisation fiscale est nécessaire, elle est lente à cause de l’unanimité nécessaire ; mais les scandales montrent qu’il faut aller plus loin dans la lutte contre la fraude et permettre à la compétitivité des entreprises de s’améliorer ; la France n’a rien à y perdre.

Cinq scenarii

On reproche aux institutions européennes une bureaucratie excessive et tatillonne. Si la « débureaucratisation » est nécessaire, il ne faut cependant pas renoncer à des règles qui permettent d’assurer un modèle social, sanitaire, etc. « Je ne regrette pas l’élargissement », dit Pierre Moscovici, mais nous aurions dû créer une communauté culturelle plus forte, qui évite le clivage avec les Orban et les Kaczynski tout comme le clivage Nord/Sud, qui nourrissent les populismes. L’intégration doit être plus forte, fiscale bien sûr, mais d’abord économique et sociale.
Le livre blanc propose cinq hypothèses pour l’avenir de l’Europe :
1. On continue comme avant
2. On se recentre sur le cœur du métier (le marché intérieur)
3. La géométrie variable
4. Les renationalisations
5. Faire la même chose en mieux, et d’autres choses en plus.
« Je suis hostile à une Europe à deux vitesses, qui permettrait aux uns de se dire plus européens que les autres, affirme Pierre Moscovici, mais je suis pour des coalitions de volontés, pour une « hypothèse 5 bis » en quelque sorte. Je ne suis pas pour le scenario 4 mais s’il y a des choses que nous faisons mal, il vaut mieux en rapatrier les compétences. « J’étais fédéraliste, dit-il, mais je suis obligé de constater que le temps du fédéralisme (à 27) est dépassé … ou qu’il n’est pas encore arrivé. » On retrouve Jean Monnet : commencer par la coopération concrète. C’est une ambition pragmatique. L’UE est aussi engagée dans la lutte contre le changement climatique. Nous défendons les accords de Paris de la COB 21.

Le dilemme posé par Erdogan

L’Europe doit-elle continuer à négocier avec la Turquie de Recep Tayyip Erdogan après le referendum contesté du 16 avril, par lequel le président veut consolider son hyper-pouvoir en affaiblissant la démocratie turque ? Pierre Moscovici, qui déclare avoir été un partisan convaincu de l’adhésion de la Turquie à l’UE, est désormais plus réservé : « Erdogan est un national populiste » dit le commissaire européen, mais le referendum contesté a cependant montré qu’au moins 49% des Turcs ne voulaient pas de cette dérive. Il faut que l’Europe garde le contact avec eux. Il ne faut donc pas rompre toute négociation, pour garder le fil. Mais on est sur le fil.