Berlin adopte le mariage gay grâce à Angela Merkel mais sans elle

Le Bundestag a adopté, le vendredi 30 juin, un projet de loi légalisant le mariage entre personnes du même sexe, par 393 voix contre 226. Ce vote est intervenu par surprise après des années d’opposition de la part de la démocratie chrétienne, à la suite d’une déclaration d’Angela Merkel devant un parterre de lecteurs et lectrices du magazine féminin « Brigitte ». Le mariage pour tous est une « question de conscience individuelle », a dit la chancelière. Ses alliés socio-démocrates au sein de la Grande coalition l’ont prise au mot. Avec l’aide de l’opposition composée des Verts et de la gauche radicale, ils ont imposé le projet de loi à l’ordre du jour de la dernière session du Parlement allemand avant la pause d’été.

Le député vert Volker Beck après le vote du mariage pour tous

Est-ce une bévue ou un coup politique bien calculé ? Le lundi 26 juin, Angela Merkel répond lors d’un forum organisé par le magazine féminin Brigitte à une question sur le mariage homosexuel. C’est une « question de conscience individuelle », répond la chancelière. Pensait-elle que ces quelques mots déclencherait une brève bataille politique dont son parti sortirait apparemment vaincu ?
La démocratie chrétienne s’opposait depuis des années à des propositions de loi présentées par les autres groupes parlementaires. A l’initiative du gouvernement de Rhénanie-Palatinat, le Bundesrat, la Chambre des Länder, avait adopté en 2005 un projet de loi en faveur du mariage entre personnes de même sexe. Plusieurs dizaines de fois, la CDU-CSU s’était opposée à la Commission des lois à ce que le projet soit mis à l’ordre du jour du Bundestag. En laissant entendre que chacun pouvait décider selon sa conscience, Angela Merkel a ouvert la voie à un vote des députés libérés des consignes de leur groupe parlementaire.

Une occasion pour le SPD

Les socio-démocrates se sont engouffrés dans la brèche. Le sujet n’était pas présent dans le contrat de coalition qu’ils avaient adopté avec les démocrates chrétiens en 2013. Il était réservé pour la prochaine législature. Mais en période électorale, le SPD a trouvé une majorité avec l’aide de l’opposition des Verts et de la gauche radicale pour l’imposer. Avec le vote du Bundestag, le SPD a certainement marqué un point.
Mais Angela Merkel n’a pas pour autant perdu. Elle peut jouer sur les deux tableaux. En permettant le vote au Bundestag, elle peut se targuer d’avoir eu un rôle dans une réforme soutenue par près des trois quarts de l’opinion allemande. Lors du vote de vendredi, quelque 90 députés chrétiens démocrates se sont prononcés en faveur du mariage pour tous. Mais elle-même a voté contre, ce qui devrait plaire à la fraction la plus conservatrice de la droite.
La CSU, le parti frère bavarois de la CDU, reste farouchement opposé à cette réforme que condamne aussi l’Eglise catholique. La conférence des évêques a condamné le mariage pour tous comme contraire à l’institution familiale. L’Eglise évangélique allemande (EKD) est plus ouverte mais regrette la hâte avec laquelle la décision a été prise.
Depuis 2001, l’Allemagne avait adopté une sorte de PACS, le « partenariat de vie enregistré » (eingetragene Lebenspartnerschaft), qui donnait quasiment les mêmes droits que le mariage traditionnel, sauf l’adoption. Les partenaires peuvent porter le même nom ou garder leur nom respectif. Ils ont le droit de refuser de témoigner l’un contre l’autre devant les tribunaux. Ils ont le même statut fiscal que les couples hétéros.
Mais ils ne peuvent pas adopter ensemble des enfants. Depuis 2014 cependant, « l’adoption successive » a été votée : un des deux partenaires adopte un enfant ; l’autre partenaire peut ensuite l’adopter. Un des deux partenaires peut aussi adopter l’enfant naturel de l’autre.

"Démobilisation asymétrique"

L’article 6 de la Constitution « protège le mariage et la famille ». Les opposants au mariage pour tous s’y réfèrent pour justifier une éventuelle plainte devant le Tribunal constitutionnel de Karlsruhe mais les juristes vont remarquer que si la Loi fondamentale protège « la famille », elle ne la définit pas. Une plainte devrait donc avoir peu de chances d’être acceptée par les juges suprêmes.
Sciemment ou involontairement, Angela Merkel a ainsi poursuivi sa tactique de « démobilisation asymétrique », appelée aussi « triangulation », ou l’art de faire sienne les propositions des adversaires politiques afin de les priver d’arguments de bataille. A moins de trois mois des élections générales du 24 septembre, ça ne peut pas lui nuire.