La condamnation à neuf ans et demi de prison, sous réserve du jugement en appel, de l’ancien président Lula pour blanchiment d’argent et corruption, le 12 juillet, accroît encore davantage le chaos politique qui affecte depuis plusieurs années le Brésil. Certes l’ex-chef de l’Etat n’est pas le premier à subir les foudres de la justice dans l’extraordinaire chaudron qu’est devenue la vie publique du puissant pays sud-américain depuis que l’affaire Petrobras a mis au jour des malversations et des prévarications de grande ampleur. Mais il représente à ce jour la plus belle prise du juge Sergio Moro, la plus lourde de conséquences politiquement, la plus forte symboliquement.
L’institution présidentielle affaiblie
D’abord parce que Lula, malgré ses nombreux ennemis, reste la personnalité la plus populaire du Brésil et que sa double présidence a marqué un moment important de l’histoire récente du pays, dont le souvenir demeure très présent à l’intérieur comme à l’extérieur de ses frontières. Ensuite parce que l’ancienne icône de la gauche tiers-mondiste apparaissait, avant la décision du juge Moro, comme le favori de l’élection présidentielle de 2018 et que sa condamnation, si elle est confirmée, va rebattre les cartes. Enfin parce que l’institution présidentielle est elle-même sérieusement affaiblie par ce nouveau rebondissement.
La peine infligée à Lula vient en effet après la destitution de Dilma Rousseff, qui lui a succédé à la présidence, alors même que Michel Temer, l’actuel président, est également dans le collimateur de la justice. Sans parler des soupçons qui pèsent sur le prédécesseur de Lula, Fernando Henrique Cardoso. Le juge Moro explique, pour justifier le maintien en liberté de Lula jusqu’au résultat de son appel, que l’emprisonnement d’un ex-président créerait « un certain traumatisme ». C’est le moins que l’on puisse dire. L’action persévérante du juge Moro fragilise un système miné par la corruption, sous la gauche comme sous la droite. La politique brésilienne ressemble désormais à un champ de ruines.
Acharnement judiciaire ?
La justice reproche notamment à Lula d’avoir accepté un somptueux appartement dans une station balnéaire en échange de son intervention auprès de la compagnie Petrobras, qui est au cœur du scandale, pour l’attribution de contrats. L’ancien président, qui réfute ces accusations, est également visé par d’autres enquêtes en cours. Son parti, le Parti des travailleurs, dénonce une manœuvre politique et un procès truqué. Le tribunal de Porto Alegre tranchera. En attendant, la tension monte entre ceux qui rendent hommage au travail du juge Moro et ceux qui doutent publiquement de son impartialité. Les partisans de Lula parlent d’acharnement judiciaire, ses adversaires rappellent que l’ancien président n’est qu’une des nombreuses cibles de la justice et que des dizaines de personnes – chefs d’entreprise ou hommes politiques – sont déjà sous les verrous.
La personnalité de Lula, adoré par les uns, honni par les autres, aiguise les passions et les controverses suscitées par cet interminable scandale. Mais au-delà de ces polémiques, dans lesquelles chacun défend son camp et accuse l’autre de mensonge, certains s’inquiètent des effets de ce vaste jeu de massacre sur la démocratie brésilienne. Depuis que la justice a entrepris d’enquêter sur les affaires de pots-de-vin et de détournement de fonds qui sont l’ordinaire de la politique brésilienne et qui impliquent, avec le concours du groupe Petrobras, la quasi-totalité des partis, le système est proche de l’explosion. La corruption est si profondément enracinée dans les batailles de pouvoir au Brésil que la volonté de l’éradiquer risque d’ébranler tous les piliers de l’Etat. Mais il est trop tard pour faire machine arrière. Beaucoup se demandent ce qui sortira de cette grande lessive.
L’avenir de la gauche
Une autre interrogation porte sur l’avenir de la gauche brésilienne. Prenant acte de la fin du communisme et de l’essoufflement de la social-démocratie classique, le Parti des travailleurs a porté pendant deux décennies l’espoir d’un progressisme rénové, nourri par les mouvements sociaux et offrant un nouveau modèle de développement. Cette période se termine dans l’échec et la confusion alors que la gauche est en recul dans la plupart des pays d’Amérique latine et qu’au Brésil le temps semble venu du vide et de la fragmentation. Les compromissions du Parti des travailleurs et les affaires de corruption dans lesquelles il s’est noyé sonnent la fin d’un cycle historique. Sur ces décombres la gauche va tenter de se reconstruire. Certains se tournent vers l’ancienne candidate écologiste à l’élection présidentielle Marina Silva, qui se prépare pour l’échéance de 2018. D’autres noms circulent. Sauf coup de théâtre, l’ère Lula est en train de se clore.