Brexit : Theresa May préfère la rupture au compromis

La première ministre britannique, qui est le premier chef de gouvernement étranger à avoir été reçu par Donald Trump depuis son arrivée à la Maison blanche, s’apprête à négocier l’avenir des relations de son pays avec l’Union européenne. Elle devra d’abord discuter avec son Parlement, en vertu de l’arrêt de la Cour suprême qui l’oblige à consulter les parlementaires sur le déclenchement de la procédure. Elle ouvrira ensuite les négociations avec ses partenaires de l’Union européenne. Son choix est fait. Dans son discours du 17 janvier, elle a annoncé son intention de rompre avec le marché unique afin de rendre possibles le contrôle de l’immigration intra-européenne et le rejet des décisions de la Cour de justice de l’UE.

Theresa May et Donald Trump à la Maison Blanche
Kevin Lamarque/Reuters

La première ministre britannique, Theresa May, n’est pas au bout de ses peines. Avant d’affronter les négociateurs de l’Union européenne pour fixer les conditions du Brexit puis pour définir les relations futures entre le Royaume-Uni et ses anciens partenaires, elle devra obtenir du Parlement britannique qu’il approuve le déclenchement de la procédure de séparation, avant le 31 mars, en application de l’article 50 du traité européen. La Cour suprême britannique a en effet jugé, par 8 voix contre 3, que le pouvoir exécutif n’avait pas le droit de mettre en œuvre directement, sans l’aval du Parlement, la décision des électeurs, adoptée par référendum le 23 juin, en faveur du Brexit. La première ministre britannique devra donc convaincre les parlementaires, dans les prochains jours ou les prochaines semaines, de lui apporter leur soutien avant de lancer le processus de rupture.

Une défaite politique

C’est une défaite politique pour Theresa May, qui s’est dite déçue par l’arrêt de la Cour. Même s’il apparaît peu probable que les parlementaires prennent le risque de désavouer le peuple, ils seront tentés de demander à la première ministre de les associer non seulement au déclenchement de la procédure mais aussi à la définition des objectifs que se fixe le gouvernement dans la perspective du Brexit, l’obligeant ainsi à abattre ses cartes avant même l’ouverture des négociations. Certains d’entre eux estiment que Theresa May ne dispose pas d’un mandat clair pour conduire les pourparlers à venir.
« Le vote de juin a choisi le départ, non la destination », affirme ainsi le leader des Libéraux Démocrates, Tim Farron, qui invite Theresa May à faire connaître en détail son plan. Du côté travailliste, on s’apprête aussi à mener une bataille d’amendements. L’ancien rival malheureux de Jeremy Corbyn pour la direction du parti, Owen Smith, va jusqu’à exiger de la première ministre qu’elle s’engage à organiser un nouveau référendum à l’issue de la négociation.

Theresa May n’aura donc pas les mains libres pour fixer les modalités de la rupture. La Cour suprême va permettre au Parlement de prendre date. Une fois le vote acquis sur l’application de l’article 50, avec ou sans amendements, la discussion portera en effet, dès le printemps, sur le « great repeal bill », c’et-à-dire la grande loi d’abrogation, qui aura pour mission de transposer dans le droit britannique tout ce qui relève aujourd’hui du droit européen et qui doit être rapatrié dans le droit national. La première ministre devra faire face à de nombreuses contestations qui mettront à l’épreuve son autorité.
En attendant, elle peut se réjouir que la Cour suprême ne lui impose pas de consulter les Parlements d’Ecosse, du Pays de Galles et d’Irlande du Nord avant de déclencher l’article 50. Le gouvernement britannique avait en effet plus à craindre des Parlements régionaux, en particulier celui d’Edimbourg, que du Parlement national. Mais s’il obtient satisfaction sur le plan juridique, il doit s’attendre, sur le plan politique, à une vive résistance de ses provinces rebelles.

Un point de non-retour

Sur le fond, Theresa May a tranché. A en croire Charles Grant, directeur du Centre for European Reform, un think tank britannique pro-européen, elle a choisi la voie du « hard Brexit » (Brexit dur), préférant la souveraineté à l’économie. Jusqu’à présent, elle avait évité de tirer les conséquences du postulat selon lequel « plus le Royaume-Uni restaure sa souveraineté, plus les coûts économiques augmentent ». Son discours du 17 janvier met fin à ses hésitations.
Elle a décidé que le Royaume-Uni sortirait du marché unique afin de conserver le contrôle de son immigration européenne et de se soustraire à l’autorité de la Cour de justice, c’est-à-dire du droit européen. Elle cherchera donc à mettre en place des accords de libre échange entre le Royaume-Uni et l’Union européenne, secteur par secteur.
En clarifiant sa position, Theresa May justifie l’une de ses déclarations précédentes, selon laquelle « Brexit means Brexit », autrement dit le Brexit signifie bel et bien la sortie de l’Union européenne. David Davis, ministre chargé du Brexit, a parlé d’un « point de non-retour ». « Hard Brexit ? » Les partisans du Brexit préfèrent évoquer un « Brexit clair ».

La première ministre britannique avait-elle vraiment le choix ? Plusieurs experts soulignent que toute formule de compromis serait pire pour le Royaume-Uni qu’une rupture franche. Nicolas Baverez est de ceux-là. Auditionné par le groupe de suivi sur le retrait du Royaume-Uni et la refondation de l’Union européenne mis en place par le Sénat, l’essayiste a estimé que le maintien de liens étroits entre Londres et Bruxelles serait de toute façon moins intéressant pour les Britanniques que ne l’était la situation du Royaume-Uni avant le Brexit.
« Les Britanniques ont beau avoir la meilleure diplomatie du monde, a-t-il dit, ils ne peuvent avoir de meilleurs accords que ceux dont ils disposaient : ils étaient dans le grand marché, en opt out sur Schengen et sur l’euro (…), ils avaient pris le pouvoir politique et intellectuel, et ils ne payaient que la moitié de la cotisation au club ». En conséquence, a expliqué Nicolas Baverez, « ils ne pourront jamais retrouver l’équivalent ». Dans ces conditions, plutôt qu’un statu quo mal dissimulé et contraire au vote des électeurs, mieux vaut assumer la rupture, dans le respect de la volonté populaire, et tenter d’en limiter autant que possible les effets négatifs.

Défense et sécurité communes

Cette rupture ne sera pas totale. Non seulement parce que les Britanniques promettent de rester « des partenaires fiables, des alliés de bonne volonté et des amis proches » mais aussi parce que la première ministre britannique se dit attachée à la coopération européenne en matière de défense et de sécurité. Même si le Royaume-Uni demeure méfiant à l’égard d’une défense européenne qui ferai fi des souverainetés nationales, Theresa May sait qu’elle aura besoin de ses voisins européens pour continuer de jouer un rôle dans le monde et rester fidèle à son histoire et sa culture « internationalistes ».
Elle affirme que le vote du 23 juin « n’est pas le résultat d’une volonté de repli sur soi du Royaume-Uni ». Son pays, dit-elle, entend contribuer à la sécurité du continent. « A l’heure ou nous faisons tous face à une menace sérieuse de la part de nos ennemis, les capacités en matière de renseignement du Royaume-Uni continueront à aider l’Europe à protéger les peuples européens contre le terrorisme », déclare-t-elle, avant d’ajouter : « A l’heure où l’inquiétude grandit concernant la sécurité européenne, les militaires britanniques basés en Europe, en particulier en Estonie, en Pologne et en Roumanie, continueront à remplir leurs missions ». Contrairement à Donald Trump, Theresa May ne défend pas une politique isolationniste. Sa profession de foi laisse largement ouverte la voie d’une politique de défense européenne.