Brexit : Theresa May veut asseoir son pouvoir avant l’ouverture des négociations

La première ministre britannique vient d’annoncer l’organisation d’élections législatives anticipées, qui auront lieu le 8 juin. Portée à la tête du gouvernement il y a neuf mois sans avoir reçu l’onction populaire, elle tente de renforcer sa légitimité au moment où s’ouvrent les négociations entre le Royaume-Uni et l’UE sur le Brexit. Theresa May espère obtenir à la Chambre des communes une majorité qui la soutienne sans restrictions alors que les pourparlers sur l’avenir du pays promettent d’être difficiles.

Le Parlement de Westminster lors du vote final sur le déclenchement du Brexit

La première ministre britannique, Theresa May, a pris un double risque en convoquant des élections générales le 8 juin prochain, trois ans avant la date normale, celui du parjure et celui de l’échec. Le parjure puisqu’elle avait affirmé à plusieurs reprises que les élections générales auraient bien lieu, comme prévu, en 2020 et qu’il était hors de question d’organiser des élections anticipées. L’échec puisque, même si les sondages lui sont aujourd’hui favorables en donnant aux conservateurs une confortable avance sur leurs adversaires travaillistes, une mauvaise surprise est toujours possible.

Ce double risque, Theresa May a donc choisi de le prendre malgré les critiques de ceux qui, comme le quotidien The Guardian (centre gauche), lui objectent que la Grande-Bretagne n’a pas besoin de ces élections, que le peuple ne les demande pas et que la situation politique ne les justifie pas.

L’onction populaire

Si la première ministre britannique a décidé de faire fi de ces protestations, c’est parce qu’elle entend aborder les difficiles négociations du Brexit dans une position de force et que la fragile majorité de 17 sièges dont elle bénéficie à la Chambre des communes depuis la victoire de David Cameron aux élections de 2015 ne lui paraît pas suffisante pour lui permettre d’imposer son autorité face à ses partenaires européens. Theresa May dirige le gouvernement depuis le retrait de David Cameron, en juillet 2016, sans avoir reçu l’onction populaire.

Elle estime aujourd’hui que le vote des électeurs lui est nécessaire pour asseoir son pouvoir et renforcer sa légitimité au moment où vont s’ouvrir avec les institutions européennes des pourparlers dont l’issue engagera l’avenir de son pays. Comme l’écrit encore The Guardian, qui va jusqu’à la comparer au président turc Recep Tayyip Erdogan, elle ne veut pas que le Parlement la gêne dans la conduite des négociations.

Ces discussions doivent en principe commencer après la réunion des vingt-sept chefs d’Etat et de gouvernement le 29 avril, qui fixera le mandat des négociateurs, en réponse à la lettre adressée par Theresa May le 29 mars à Donald Tusk, président du Conseil européen. Celui-ci a d’ores et déjà fait connaître les orientations qu’il proposera aux Vingt-Sept. Le devoir des Européens, souligne-t-il, est de « réduire au maximum l’incertitude et les bouleversements » que provoque la décision britannique, autrement dit de « limiter les dégâts ».

Trois questions-clés

Dans une première phase, dit-il, il s’agira de préparer les conditions de la sortie du Royaume-Uni, en réglant trois questions-clés : le statut des citoyens européens « qui vivent, travaillent et étudient au Royaume-Uni » dont les droits devront être garantis ; l’assurance que « le Royaume-Uni honorera tous les engagements qu’il a pris et les obligations qui lui incombent sur le plan financier en tant qu’Etat membre » ; la recherche d’une solution « pour éviter qu’une frontière physique soit érigée entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande ».

Dans une seconde phase, « une fois, et une fois seulement que les progrès sur le retrait seront suffisants, nous pourrons aborder le cadre de nos relations futures », explique Donald Tusk, qui exclut d’entamer des discussions « parallèles » sur les conditions du retrait et sur les relations futures entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. Ces relations devront, selon lui, consister en des « liens forts » allant au-delà du seul volet économique et incluant notamment la coopération en matière de sécurité.

Le négociateur en chef de l’Union européenne, Michel Barnier, souhaite une négociation transparente. Il reprend à son compte les trois objectifs de la première phase définis par Donald Tusk. « Pour les citoyens européens au Royaume-Uni et vice versa : la continuité et la réciprocité des droits dont ils disposent actuellement, qui devront être garantis effectivement et sans discrimination. Pour le budget : un règlement financier unique, couvrant l’ensemble des engagements pris par le Royaume-Uni en tant qu’Etat membre. Pour les frontières, notamment en Irlande : des arrangements qui ne remettent pas en cause les équilibres existants, comme le Good Friday Agreement, tout en étant compatibles avec le droit de l’Union ».

Une relation de confiance

Comme Donald Tusk, Michel Barnier affirme aussi que les choses doivent être faites « dans le bon ordre » et que la seconde phase ne pourra s’ouvrir qu’une fois achevées les discussions de la première. Autrement dit, « le plus tôt nous nous mettons d’accord sur les principes d’un retrait ordonné, le plus tôt nous pourrons préparer notre relation future ». Selon lui, le respect de ce calendrier doit permettre de « maximiser » les chances d’atteindre un accord d’ici à deux ans et de « bâtir une relation de confiance » avant d’entamer la seconde phase des négociations qui fixera les contours des relations futures et les arrangements transitoires.

L’intérêt de Theresa May est, au contraire, de mener simultanément les deux séries de discussions sur les conditions de la sortie et sur la définition des relations futures. Elle y revient plusieurs fois dans sa lettre à Donald Tusk. Pour construire un « partenariat spécial » entre le Royaume-Uni et l’UE, écrit-elle, « nous jugeons nécessaire de nous entendre sur les conditions de notre futur partenariat en même temps que sur celles de notre retrait de l’UE ». La première ministre britannique sait que les Vingt-Sept sont particulièrement attentifs aux modalités du divorce, en particulier au statut des Européens installés en Grande-Bretagne et à la facture que celle-ci devra payer.

En inscrivant ce double contentieux dans la négociation générale, elle met la pression sur ses partenaires et améliore ses chances d’obtenir un bon accord. De part et d’autre, le temps des concessions n’est pas venu mais des solutions de compromis sont envisageables. Angela Merkel a rappelé la volonté des Vingt-Sept de « clarifier », dans un premier temps, les « étroites imbrications » entre le Royaume-Uni et l’UE avant de parler, « si possible assez vite » de leurs relations futures. Donald Tusk a souligné que la seconde phase pourrait commencer si des progrès suffisants ont été accomplis dans la première. Tout dépendra de l’appréciation qui sera faite par chacune des parties.

Commerce et sécurité

L’autre carte qu’entend jouer Theresa May dans la négociation, « sa carte la plus forte », selon Charles Grant, directeur du Centre for European Reform, un important think tank britannique, est la contribution du Royaume-Uni à la sécurité européenne. Dans sa lettre,
le première ministre britannique souligne que le « partenariat spécial » auquel elle aspire ne se limite pas aux questions économiques mais inclut les questions de sécurité. Elle laisse entendre qu’en cas de désaccord sur les premières la collaboration entre le Royaume-Uni et l’UE deviendrait problématique. « L’impossibilité de parvenir à un accord affaiblirait notre coopération dans la lutte contre la délinquance et le terrorisme », écrit-elle notamment.

Plusieurs députés britanniques anti-Brexit ont aussitôt dénoncé ce chantage, s’indignant du lien établi par Theresa May entre commerce et sécurité. Mais la première ministre n’est pas prête à abandonner cette monnaie d’échange pour atteindre son but : un accord « ambitieux » de libre échange entre son pays et l’Union européenne. Voilà pourquoi elle a besoin, pense-t-elle, d’une majorité à sa main à la Chambre des communes, qui la soutienne sans réserves et approuve sans état d’âme la rupture entre le Royaume-Uni et l’UE, alors que, dans le Parlement sortant, notamment parmi les conservateurs, les anti-Brexit sont plus nombreux que les pro-Brexit. Theresa May joue son avenir, avec audace et détermination.