La bataille se durcit en Pologne entre les nationalistes conservateurs du parti Droit et Justice (PiS), dont le chef de file, Jaroslaw Kaczynski, inspire, en coulisse, le gouvernement dirigé par Beata Szydlo, et les démocrates libéraux de la Plate-forme civique (PO), représentés à Bruxelles par l’ancien premier ministre Donald Tusk, devenu président du Conseil européen, et à Varsovie par l’ancien ministre (de l’intérieur puis des affaires étrangères) Grzegorz Schetyna. Ces deux droites s’affrontent depuis une douzaine d’années sur la scène politique, la gauche ayant pratiquement disparu du paysage après le double mandat présidentiel d’Aleksander Kwasniewski de 1995 à 2005.
En 2005, ce sont les conservateurs qui l’emportent quand le parti Droit et Justice des frères Kaczynski gagne les élections. Les deux frères accèdent au pouvoir, l’un, Lech, à la présidence de la République, l’autre, Jaroslaw, l’année suivante, à la tête du gouvernement. Mais les libéraux vont prendre leur revanche : d’abord en 2007, quand la Plate-forme civique arrive en tête du scrutin et que Donald Tusk devient premier ministre ; puis en 2010, après la mort accidentelle de Lech Kaczynski, quand son frère Jaroslaw est battu à l’élection présidentielle par le candidat de la Plate-forme civique, Bronislaw Komorowski.
Du communisme à la démocratie
Nouveau rebondissement en 2015 : le parti Droit et Justice (PiS) revient à la tête de l’Etat, avec Andrzej Duda, puis à celle du gouvernement, avec Beata Szydlo. Mais le vrai patron demeure Jaroslaw Kaczynski, président du PiS. De retour aux commandes, celui-ci va tenter d’imposer sa propre conception de l’Etat en tournant la page de l’orientation libérale et pro-européenne des gouvernements précédents. Alors que Donald Tusk est renouvelé, contre l’avis de Varsovie, dans sa fonction de président du Conseil européen, Jaroslaw Kaczynski remet en cause les conditions de la transition démocratique qui a conduit la Pologne, comme les autres pays placés naguère sous la tutelle soviétique, du communisme à la démocratie.
Le nouveau pouvoir affirme, contre Bruxelles, ses convictions souverainistes. S’il n’envisage pas que la Pologne, largement bénéficiaire des fonds européens, quitte l’Union, il ne prévoit pas qu’elle entre dans la zone euro et il combat plusieurs des politiques européennes, refusant notamment de s’associer à l’accueil des immigrés. Surtout, Varsovie récuse le modèle de la démocratisation mis en place, avec l’accord et même les encouragements de Bruxelles, par les libéraux sous la houlette de Donald Tusk. Les nouveaux dirigeants rejettent en particulier le principe de la séparation des pouvoirs, qui fait partie de l’acquis démocratique européen.
Attaques contre les institutions judiciaires
Ils s’en prennent avec force aux contre-pouvoirs qui ont pour vocation de contrôler l’exécutif, à commencer par la justice, qui fait l’objet d’attaques en règle. Tour à tour, le Tribunal constitutionnel, le Conseil national de la magistrature, la Cour suprême, les tribunaux ordinaires (Cours d’appel, tribunaux régionaux, tribunaux d’arrondissement) sont la cible du gouvernement, qui cherche à affaiblir toutes les institutions judiciaires en les soumettant à l’autorité politique, via le parti gouvernemental Droit et justice. La voie de cet « illibéralisme » anti-démocratique a été tracée par la Hongrie de Viktor Orban. Une partie de la population s’est mobilisée pour protester contre la dérive autoritaire de la Pologne. Même le président de la République, Andrzej Duda, pourtant proche de Jaroslaw Kaczynski et membre du parti Droit et Justice (PiS), a critiqué ces réformes. Il a annoncé qu’il opposerait son veto à une partie d’entre elles.
L’Union européenne est directement interpelée par ces atteintes à l’Etat de droit. C’est en effet au nom de la démocratie qu’elle a accueilli en 2004 et 2007 les anciens pays communistes, une démocratie dont elle s’est portée garante après l’effondrement des dictatures et qu’elle continue de brandir comme le symbole des valeurs européennes. Face à la régression démocratique en Pologne, qui rompt avec les engagements pris à l’égard de l’UE, que peut faire celle-ci pour contraindre Varsovie à revenir sur le bon chemin ? Après plusieurs avertissements, la Commission a menacé de déclencher l’article 7 du traité sur l’Union européenne, dont l’application entraîne, en cas de violation « grave et persistante » de l’Etat de droit par un pays membre, la privation des droits de vote de ce pays au Conseil de l’UE.
Quelles sanctions européennes ?
Selon le vice-président de la Commission chargé des droits fondamentaux, l’ancien ministre néerlandais des affaires étrangères Frans Timmermans, les réformes voulues par Varsovie portent bien atteinte à l’Etat de droit puisqu’elles reviennent à « supprimer l’indépendance du pouvoir judiciaire ». Mais la sanction suprême prévue par l’article 7 doit être adoptée à l’unanimité. La Hongrie a déjà fait savoir qu’elle s’y opposerait, ce qui rend cette solution très problématique. Rien n’autoriserait non plus Bruxelles à infliger à la Pologne des sanctions financières en la privant, par exemple, des fonds européens auxquels elle a droit.
Sans aller jusqu’à ces extrémités, la Commission peut toutefois continuer d’adresser à Varsovie des mises en garde sévères en jouant sur les divisions d’une opinion publique qui reste majoritairement pro-européenne. Le veto opposé par le président de la République à plusieurs des mesures annoncées n’est sans doute pas sans lien avec les pressions européennes. Certes Bruxelles risque de paraître sortir de son rôle en donnant l’impression de soutenir l’opposition polonaise, comme l’en accuse déjà le gouvernement en dénonçant l’ingérence des institutions européennes dans les affaires intérieures du pays. Mais si la réponse aux provocations de Jaroslaw Kaczynski ne peut venir que des Polonais eux-mêmes, il n’est pas inutile que l’Europe manifeste sa solidarité à l’égard de ceux d’entre eux qui lui restent fidèles.