C’est l’heure de l’Europe ! mais quelle Europe ?

La Paris School of International Affairs (PSIA) de Sciences-Po a organisé, le mercredi 9 novembre, un débat entre anciens ministres des affaires étrangères de plusieurs pays européens sur le thème : « The New US President – A New Foreign Policy ? ». Bien qu’a posteriori, certains peuvent penser que la victoire de Donald Trump « n’était pas forcément une surprise », c’est la perplexité qui domine quant aux intentions réelles du futur président américain. Comme l’a dit Bruno Stagno-Ugarte, ancien chef de la diplomatie du Costa Rica et actuel directeur adjoint de Human Rights Watch, « je regrette qu’avec Obama la réalité n’ait pas été au niveau de la rhétorique. Avec Trump, j’espère que la réalité ne sera pas au niveau de la rhétorique ». Tous les intervenants sont tombés d’accord pour souhaiter que l’Europe prenne ses affaires en mains sans attendre les premières décisions du nouveau chef de la Maison blanche.

Chapatte

Qu’on l’appelle isolationnisme ou pas, il est probable que les Etats-Unis vont, dans un premier temps au moins, se montrer plus prudents dans leurs interventions à travers le monde. C’était déjà le cas avec Barack Obama, ce le sera encore plus avec Donald Trump. Hubert Védrine se réjouit de l’enterrement du « wilsonisme », cette doctrine portée aussi bien par la gauche internationaliste que par les néoconservateurs visant à promouvoir la démocratie et les droits de l’homme sur la planète.

Ne pas rester passif

Comme son collègue espagnol Miguel-Angel Moratinos et l’ancienne ministre des affaires étrangères d’Autriche Ursula Plassnik, il estime que la pire des choses pour les Européens serait d’attendre passivement que la prochaine administration américaine redéfinisse ses relations avec ses alliés, fasse des propositions pour une réforme de l’OTAN par exemple, ou sabote quelques accords internationaux (nucléaire iranien ou COP21). Déjà les Russes, les Chinois, les Arabes se demandent comment jouer avec Donald Trump ; comment profiter de la période de transition pour avancer des pions et marquer des points pendant que les Etats-Unis seront occupés avec eux-mêmes. En bref, cesser de se lamenter sur une possible réduction de l’engagement américain mais définir les priorités et les intérêts européens, se mettre d’accord à vingt-sept pour surmonter les divergences en matière de politique étrangère et de sécurité, et les défendre ensemble pour peser dans le système international.

Des enfants gâtés

Ursula Plassnik a rappelé que dans les années 1990, dans les Balkans, les Européens avaient déjà tenté d’assumer eux-mêmes la sécurité du Vieux continent. « C’est l’heure de l’Europe ! », avait proclamé un ministre luxembourgeois à l’aube de la dislocation de la Yougoslavie. Mais les Européens se sont arrêtés en chemin, du fait de leurs divisions, et de leur crainte de s’aventurer sans le soutien des Etats-Unis. « Nous avons été gâtés (spoilt) par la protection américaine », a jugé Ursula Plassnik. La fin de la guerre froide, ajoutée à la présence, même réduite, des forces américaines a donné aux Européens un sentiment de sécurité qui les a conduits à diminuer leurs efforts de défense (sauf rares exceptions). Dans un monde devenu plus instable et plus dangereux, l’Europe se trouve démunie.
Comment ne pas recommencer sans cesse les mêmes erreurs, entre la volonté de certains de s’émanciper et la crainte d’autres de se priver de la réassurance américaine ? L’élection de Donald Trump rebat les cartes et offre une nouvelle occasion aux Européens de définir leur politique, a souligné Miguel-Angel Moratinos. Ce n’est pas la première. La plus récente a été le Brexit. Après le référendum britannique, les déclarations volontaristes n’ont pas manqué de la part des dirigeants des Etats européens. Elles ont finalement abouti, après le sommet de Bratislava, à un communiqué répétant les mêmes incantations du passé.

Trois sujets

Trois sujets pourraient mobiliser les Européens : le sort de l’accord de Paris sur le changement climatique, mis en danger par les velléités de Donald Trump de le dénoncer ; les relations avec la Russie alors que les pays membres d’Europe centrale, les Baltes au premier chef, s’inquiètent des protestations d’amitié entre Trump et Poutine ; la situation au Moyen-Orient dont les Etats-Unis cherchent à se désengager alors que l’Europe souffre directement de l’instabilité et des conflits.
Il ne suffit cependant pas d’affirmer que dans ces domaines – et on pourrait ajouter les risques de prolifération nucléaire si Donald Trump tire un trait sur l’accord du 14 juillet 2015 avec l’Iran —, les Européens ont des intérêts qu’il est urgent de définir ensemble. Encore faudrait-il se mettre d’accord sur des priorités communes, sur la manière de les définir et sur les mécanismes de légitimation des décisions.

Le populisme contre l’UE

Les institutions européennes ne sont pas populaires auprès des Européens. Les tendances populistes de repli sur soi et de méfiance vis-à-vis de l’UE progressent partout. Certains hommes politiques en tirent la conclusion qu’il faut mettre un coup d’arrêt à l’intégration pour ne pas nourrir les poussées identitaires. D’autres au contraire pensent que seul un système d’inspiration fédérale peut concilier à la fois la participation des citoyens et le respect des particularités nationales. La coopération intergouvernementale apparait en effet comme une recette pour la paralysie.
Les intervenants au débat de PSIA n’ont pas abordé ces questions. Confrontée à la victoire de Trump, l’Europe doit agir. C’est le consensus minimum. Il n’est pas sûr qu’une discussion sur le « comment » ait fait l’unanimité.