Comment Poutine veut affaiblir les institutions euro-atlantiques

Les pro-russes remportent les élections législatives en Arménie, mais sont battus à l’élection présidentielle en Serbie. Dans les pays proches de la Russie, les pro-européens s’opposent aux amis de Moscou tandis qu’en Europe occidentale, et notamment en France, le maître du Kremlin courtise les forces populistes pour se constituer un réseau d’alliés. Son objectif est d’affaiblir l’Union européenne et l’OTAN au moment où celles-ci montrent des signes de fragilité.

Marine Le Pen chez Vladimir Poutine
MIKHAIL KLIMENTIYEV/AFP

Deux consultations électorales organisées, dimanche 2 avril, dans deux pays que la Russie considère comme des alliés proches, et dont elle attend qu’ils la soutiennent dans son action internationale, ont donné des résultats contrastés, favorables à Moscou dans un cas, défavorables dans l’autre.
En Arménie, le Parti républicain de Serge Sarkissian, président de la République depuis 2008 et réputé pro-russe, a gagné les élections législatives avec 50,43% des suffrages, selon les premières estimations. Son principal adversaire, une coalition conduite par l’homme d’affaires Gaguik Tsaroukian, a obtenu 28,29% des voix. L’Arménie, qui fait partie de l’Union économique eurasiatique, un projet cher à Vladimir Poutine, est aujourd’hui l’un des pays les plus fidèles à la Russie. Serge Sarkissian, qui s’est rendu à Moscou pour rencontrer le président russe deux semaines avant le scrutin, a approuvé l’annexion de la Crimée et soutenu la politique de Vladimir Poutine en Ukraine. Il appartient au cercle des amis de la Russie dont le Kremlin recherche l’appui.
En Serbie, la victoire d’Aleksandar Vucic à l’élection présidentielle est une moins bonne nouvelle pour Vladimir Poutine. Premier ministre depuis 2014, le nouveau président est en effet le chef de file du Parti progressiste serbe, qui se définit comme « conservateur » et « pro-européen ». Il est élu dès le premier tour avec 55% des voix. Son prédécesseur, Tomislav Nikolic, ne se représentait pas. Le chef de file du parti pro-russe, le nationaliste Vojislav Seselj, président du Parti radical serbe (SRS), qui fut poursuivi puis acquitté en 2016 par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, est largement défait, avec 5,4% des suffrages. Il avait déclaré avant le scrutin : « La Serbie ne sera en sécurité que si elle s’aligne sur Moscou qui nous a toujours aidés et ne nous a jamais bombardés ».

Exercice d’équilibrisme

En Serbie comme ailleurs, et peut-être plus qu’ailleurs en raison des souvenirs de la guerre du Kosovo, la bataille électorale se déroule à l’ombre du maître du Kremlin. Aleksander Vucic, ancien nationaliste converti à la cause européenne, est soupçonné par certains de jouer un double jeu. Comme Serge Sarkissian, il a été reçu par Vladimir Poutine avant l’élection. « Le candidat Vucic à Moscou pour obtenir l’onction de Poutine », a titré Le Courrier des Balkans. Toutefois il se défend de vouloir « garder un pied de chaque côté ». « Nous sommes sur le chemin de l’intégration européenne et c’est notre objectif stratégique, a-t-il expliqué sur la chaîne Euronews, mais, d’un autre côté, nous souhaiterions préserver de bonnes relations avec la Russie ». Il sera contraint à un difficile exercice d’équilibrisme.
La crise ukrainienne, marquée par l’annexion de la Crimée et l’intervention russe dans le Donbass, a accentué le déchirement des pays de la région entre leur inclination européenne et leurs liens avec la Russie. Si le conflit a pris en Ukraine la forme d’une guerre ouverte entre Kiev et Moscou, ailleurs il s’exprime dans les affrontements électoraux auxquels le Kremlin s’invite, plus ou moins discrètement, pour tenter d’influencer les résultats des votes. Parfois le succès est au rendez-vous. Ainsi deux pays issus de l’ancien empire soviétique, la Moldavie et la Bulgarie, ont-ils élu en novembre 2016 des présidents pro-russes.

En Moldavie, le chef de file du Parti des socialistes moldaves, Igor Dodon, l’a emporté sur sa concurrente pro-européenne en plaidant pour un rapprochement de son pays avec la Russie et en promettant un référendum sur son « orientation géopolitique ». En Bulgarie, au même moment, le candidat du Parti socialiste bulgare, le pro-russe Roumen Radev, était élu, avec le soutien de Moscou, contre la candidate du parti pro-occidental de Boïko Borissov – lequel devait prendre sa revanche quelques mois plus tard aux élections législatives anticipées.

Une stratégie cohérente

Quand les pro-russes ne gagnent pas, comme aujourd’hui en Serbie ou comme en octobre 2016 en Géorgie, où l’Alliance des patriotes de Géorgie a dépassé de justesse la barre des 5% (5,01 %), Vladimir Poutine creuse son sillon en investissant peu à peu la société de ces pays à travers les Eglises, les médias, les associations, et en préparant les échéances électorales à venir. Il tente, comme il l’a fait avec succès en Hongrie, de gagner la sympathie d’une partie du personnel politique des anciens pays communistes d’Europe centrale et orientale.

La stratégie du Kremlin est cohérente : la Russie n’entend pas renoncer à ce qui fut naguère, en Europe, son terrain de conquête et qui doit demeurer, selon elle, après la disparition de l’URSS, sa zone d’influence. Les méthodes ont changé puisque la propagande et le « soft power » remplacent désormais l’usage de la force, mais l’objectif de Vladimir Poutine reste d’assurer la prépondérance russe dans les pays de son voisinage et de les mettre au service de sa diplomatie au détriment de l’Union européenne.

Mais l’intérêt du président russe ne se limite pas aux pays d’Europe centrale et orientale. Il s’étend, on le sait, aux Etats-Unis où, à en croire les services de renseignement américains, le Kremlin s’est efforcé, par tous les moyens, légaux et illégaux, de discréditer la candidature de Hillary Clinton et de favoriser celle de Donald Trump, qu’il a choisi comme son interlocuteur privilégié sur la scène internationale.

Des liens avec l’extrême-droite européenne

En Europe occidentale, la Russie a noué des liens avec les partis d’extrême-droite. La récente visite de Marine Le Pen à Moscou rappelle que le Front national figure parmi les alliés de Vladimir Poutine, comme l’est le Parti pour la liberté (PVV) de Geert Wilders aux Pays-Bas ou le Parti de la liberté autrichien (FPÖ), de Heinz-Christian Strache en Autriche. Le président russe s’intéresse à tous les populismes, comme celui du Mouvement Cinq Etoiles (M5S) de Beppe Grillo en Italie, voire ceux de Podemos en Espagne ou de Syriza en Grèce. En France même, les prises de position de François Fillon ou de Jean-Luc Mélenchon en politique étrangère sont jugées favorables à la ligne du Kremlin alors qu’Emmanuel Macron est l’objet de ses attaques.

Ce que Vladimir Poutine attend des partis considérés comme pro-russes, c’est d’abord qu’ils condamnent les sanctions infligées par l’Union européenne à la Russie après l’annexion de la Crimée. C’est aussi qu’en exprimant leurs doutes à l’égard de l’UE ou de l’OTAN ils affaiblissent les institutions euro-atlantiques au moment où celles-ci sont au cœur des grandes négociations internationales. Il ne s’agit pas pour le Kremlin de demander aux amis de la Russie, comme au temps du communisme, de soutenir tous les aspects de sa politique mais de diffuser, à travers eux, des idées susceptibles de déstabiliser les gouvernements occidentaux.

Des grands courants de pensée transnationaux divisent aujourd’hui le monde entre néo-conservateurs, libéraux, sociaux-démocrates et néo-nationalistes, explique le politologue Bertrand Badie, interrogé sur Arte. Dans cette vaste confrontation, dit-il, Poutine joue à fond la carte du néo-nationalisme. C’est devenu le principal levier de son action internationale, notamment en Europe.