Compromis entre les 27 sur l’avenir de l’UE

A l’occasion du 60ème anniversaire du traité de Rome, les 27 chefs d’Etat et de gouvernement, réunis dans la capitale italienne, en l’absence du Royaume-Uni, à quelques jours du déclenchement du Brexit, ont réussi à se mettre d’accord sur l’avenir du projet européen. Leur déclaration, qui s’inspire du livre blanc de Jean-Claude Juncker, est le résultat d’un compromis entre les Etats membres, qui a permis son adoption à l’unanimité. Elle affirme leur volonté d’affronter ensemble les défis du futur et d’aller vers « une unité et une solidarité encore plus fortes ».

Christian Pineau et Maurice Faure lors de la signature du Traité de Rome le 25 mars 1957

Les dirigeants européens nous ont si souvent habitués à préférer, à propos de l’Europe, les belles paroles aux actes forts, que la Déclaration de Rome, qu’ils ont adoptée à l’unanimité le 25 mars, peut susciter légitimement un certain scepticisme. Combien de fois se sont-ils déjà vantés d’avoir mis sur pied, au lendemain de la seconde guerre mondiale, une Union « unique en son genre » qui apporte à la fois la paix et « des niveaux de protection sociale et de bien-être sans pareils » ? Combien de fois se sont-ils engagés à lutter contre le chômage et les inégalités en favorisant « le progrès économique et social » soutenu par « une croissance durable » ? Combien de fois ont-ils promis de renforcer le rôle de l’Union européenne dans le monde tout en garantissant la sécurité de ses citoyens et en assurant leur liberté de circulation ?
Le document sur lequel les 27 Etats membres - en l’absence du Royaume-Uni, en instance de départ – se sont mis d’accord ne déroge pas à la règle de l’enthousiasme rétrospectif et de l’optimisme forcé. Il salue avec emphase « une entreprise audacieuse et visionnaire », évoque avec émotion « le rêve de quelques-uns » devenu « l’espoir de beaucoup », annonce avec confiance une union « une et indivisible ». Des mots qui peuvent faire sourire à l’heure où les Etats membres se divisent face aux multiples crises qui les menacent, où le Brexit démontre la fragilité d’une construction européenne qui inquiète plus qu’elle ne convainc, où l’euroscepticisme, le populisme, le nationalisme gagnent du terrain, à rebours de la solidarité et de l’esprit d’ouverture.
Pourtant il n’était pas inutile, avant que le Royaume-Uni ne quitte le navire, et alors que plusieurs Etats d’Europe centrale et orientale multiplient les signes de méfiance à l’égard de Bruxelles, d’afficher des objectifs communs aux 27 pays de l’UE, même au prix de compromis qui affectent parfois la clarté du projet européen. Il était important que les Etats membres rappellent qu’ils n’entendent pas suivre l’exemple britannique et qu’ils sont prêts à affronter ensemble les défis de l’avenir.

« A des rythmes différents »

Des cinq scénarios proposés par Jean-Claude Juncker dans son récent livre blanc, trois sont retenus par les 27, dans une formulation prudente qui vise à ne blesser personne mais qui n’en exprime pas moins une volonté de relance. La déclaration de Rome mentionne ainsi le scénario de l’Europe à plusieurs vitesses (« ceux qui veulent plus font plus ») en prévoyant que les Etats membres pourront agir de concert, « si nécessaire à des rythmes différents et avec une intensité différente, tout en avançant dans la même direction » et « en laissant la porte ouverte » à ceux qui souhaiteraient se joindre plus tard au mouvement.
Le scénario qui invite l’Europe à se concentrer sur quelques grandes priorités (« faire moins mais de manière efficace ») est également présent quand les 27 expriment le souhait « que l’Union joue un rôle majeur dans les dossiers de première importance et s’investisse moins dans les dossiers de moindre importance ». Quant au scénario du bond en avant (« faire beaucoup plus ensemble »), il est suggéré par la recherche « d’une unité et d’une solidarité encore plus fortes », qui rappelle « l’union sans cesse plus étroite » inscrite dans le préambule des traités. Les deux autres scénarios de Jean-Claude Juncker, le statu quo (« s’inscrire dans la continuité ») et l’UE comme un grand marché (« rien d’autre que le marché unique »), ne sont pas évoqués.

L’accord de la Pologne et de la Grèce

La déclaration est assez habilement rédigée pour ne pas heurter les deux Etats les plus récalcitrants : la Pologne, dont le ministre des affaires étrangères, Witold Waszczykowski, vient de rappeler, dans l’hebdomadaire Der Spiegel, l’hostilité à une Europe à plusieurs vitesses, qui risquerait, selon lui, de « déchirer l’Europe » et de conduire à « la constitution d’un groupe dirigeant qui dominerait les autres membres » ; et la Grèce, qui a obtenu de ses partenaires un engagement en faveur d’une « Europe sociale » respectueuse de « la diversité des systèmes nationaux ».
Le texte ne s’étend pas sur une éventuelle consolidation de la zone euro, qui ne concerne que 19 Etats sur 27. Il se contente de décrire une Union où « un marché unique solide » et « une monnaie unique stable et encore renforcée » ouvrent des perspectives « sur le plan de la croissance, de la cohésion, de 
la compétitivité, de l’innovation et des échanges ». Il n’oublie pas non plus de plaider pour une politique migratoire « efficace » et « responsable » ni de prôner une défense commune, en coopération avec l’OTAN « et en complément de celle-ci ».
Soixante ans après la signature du traité de Rome, qui a donné naissance à la Communauté puis à l’Union européenne, les diplomates se sont plutôt bien tirés d’un exercice difficile en mettant l’accent sur l’unité de l’Europe, en dépit des crises qui la secouent, et en obtenant l’assentiment des Etats membres sur une réaffirmation du projet européen. L’unité de l’Europe est proclamée avec force. « Notre chance, c’est d’être unis, conclut la déclaration. L’Europe est notre avenir commun ». Reste à prouver par l’action que cette louable profession de foi n’est pas vouée à demeurer une formule creuse.