La course d’obstacles qui devrait mener à la constitution d’un gouvernement en Allemagne plusieurs mois après les élections du 24 septembre 2017 se poursuit. Après les discussions exploratoires entre la direction de la CDU et de la CSU pour la démocratie chrétienne, et celle du SPD, un texte de 28 pages a été adopté qui trace les grandes lignes de ce que pourrait être la politique d’une nouvelle grande coalition (GroKo, dans le jargon politique allemand, pour Grosse Koalition).
Le président du Parti social-démocrate, Martin Schulz, a eu beaucoup de mal à convaincre les délégués du congrès réuni à Bonn d’approuver l’ouverture de négociations formelles. Il est vrai qu’à deux reprises depuis le mois de septembre, il avait opposé une fin de non-recevoir apparemment sans appel à une coopération avec la démocratie chrétienne. La première fois, au soir des élections, la seconde après l’échec des négociations pour une coalition dite « jamaïcaine » entre la CDU/CSU, les libéraux et les Verts.
Aucun bénéfice électoral
Les résistances contre une nouvelle coalition avec la démocratie chrétienne – ce serait la troisième sous le règne d’Angela Merkel – sont très vives dans le SPD. Bien que les sociaux-démocrates aient marqué les gouvernements de coalition de leur empreinte, ils n’en ont tiré aucun bénéfice électoral. Au cours du précédent mandat d’Angela Merkel (2009-2013), ils ont par exemple imposé la création d’un salaire minimum et l’abaissement de l’âge de la retraite pour les salariés ayant une longue carrière, mais c’est la chancelière qui semble en avoir profité. Le score du SPD aux élections générales — c’est moins vrai aux scrutins régionaux – n’a cessé de s’effriter.
Les adversaires de la GroKo sont convaincus que seule une cure d’opposition pourrait permettre au SPD de se régénérer, de moderniser son programme et de retrouver le soutien de sa base traditionnelle. Les Jeunes socialistes et leur président de 28 ans, Kevin Kühnert, sont particulièrement remontés contre une nouvelle participation au pouvoir.
La crainte de nouvelles élections
Martin Schulz et la majorité de la direction du SPD ont tiré une autre conclusion du résultat des élections et de la mini-crise politique que traverse l’Allemagne depuis l’automne. Sous la pression aussi du président de la République, Frank-Walter Steinmeier (social-démocrate), ils estiment qu’il n’y a d’autre alternative que la grande coalition ou de nouvelles élections.
Or personne ne sait ce que donnerait un nouveau scrutin. Dans la moins mauvaise des hypothèses, le résultat serait à peu près le même qu’en septembre et le SPD se retrouverait devant le même dilemme. Dans la pire, le parti populiste de droite AfD profiterait de la situation pour augmenter un score déjà historique – 12,6% des voix et 92 députés – et le SPD continuerait à perdre des électeurs, après le pire score enregistré depuis la création de la République fédérale en 1949 (20,5%).
Pour convaincre les délégués au congrès, la direction du SPD a usé de deux séries d’arguments. D’une part, l’Allemagne a besoin, rapidement, d’un gouvernement stable. Ses partenaires – et notamment la France d’Emmanuel Macron – l’attendent pour relancer l’Europe. La politique européenne est d’ailleurs le premier chapitre abordé par le texte issu des pourparlers exploratoires. D’autre part, Martin Schulz a repris le leitmotiv classique des réformistes dans la gauche : « Mieux vaut 1% de quelque chose que 100% de rien du tout », a-t-il déclaré. Sur les salaires, la sécurité sociale, l’éducation, les négociateurs sociaux-démocrates ont obtenu quelques résultats.
Un sursis pour Angela Merkel ?
C’est insuffisant pour la grande majorité des membres du parti et leurs représentants au congrès. Ils veulent obtenir des « améliorations » aux grandes lignes de l’accord préliminaire. Dans trois domaines au moins : la limitation des contrats à durée déterminée, notamment pour les jeunes, « le début de la fin » d’une médecine à deux vitesses et l’extension des possibilités du regroupement familial pour les réfugiés en attente de l’asile. Ils en ont en outre mandaté leurs négociateurs pour imposer une clause de révision du contrat de gouvernement au bout de deux ans. Ils manifestent ainsi leur volonté de ne pas accorder à Angela Merkel un mandat complet de quatre ans mais un simple sursis.
Peut-être présument-ils de leurs forces. Ils comptent sur la crainte de nouvelles élections que partage la direction démocrate-chrétienne et la volonté d’Angela Merkel de rester coûte que coûte à la chancellerie pour obtenir satisfaction. Mais que se passera-t-il si après avoir posé leurs conditions ils s’exposent au jugement des militants avec un demi- succès ?
Il semble que le SPD connaisse depuis quelques jours une vague d’adhésion. La campagne menée par les Jeunes socialistes pour recruter des adversaires de la GroKo ne serait pas étrangère à cet afflux qui risque de faire basculer la majorité social-démocrate dans le camp du « non ». L’Allemagne serait alors ramenée plusieurs mois en arrière, avec la perspective d’un gouvernement minoritaire dont aucun responsable ne veut ou de nouvelles élections que tous redoutent.