De l’élection d’Ebrahim Raïssi au nécessaire endiguement de l’Iran

Sans surprise, le conservateur Ebrahim Raïssi, candidat désigné du Guide suprême Ali Khamenei, a été élu à la présidence de la République iranienne. Le régime ne cherche même plus à se cacher derrière un semblant de compétition électorale. Sur le plan extérieur, le partenariat avec la Russie, devenu une alliance, et le rapprochement avec la Chine inquiètent. Pour Jean-Sylvestre Mongrenier, chercheur associé à l’Institut Thomas More, face à ce regroupement de forces perturbatrices, engagées dans une entreprise de subversion de l’ordre international, il importe que la fermeté prévale.

Aux bords du Détroit d’Ormuz, haut-lieu stratégique entre le Golfe persique et la mer d’Oman
Photo Roxane/blog.courrierinternational.com

Au risque de pécher par optimisme, il faut espérer que les conditions de la présidentielle iranienne, le 18 mai dernier, auront dessillé les yeux de ceux qui ne veulent pas voir. Candidat désigné d’Ali Khamenei, le Guide suprême de la République islamique, et donc soutenu par les Pasdarans (les Gardiens de la Révolution) et les Bassidjis (les « mobilisés »), Ebrahim Raïssi l’a aisément emporté au premier tour.

Au demeurant, faut-il s’en étonner ? Le Guide suprême détient le pouvoir ultime. Il commande aux Pasdarans et aux Bassidjis, ossature du régime. Maîtres des armes, les premiers accumulent puissance et richesse ; les seconds sont envoyés dans les ministères pour resserrer le contrôle sur l’appareil d’Etat. Le parlement est, lui, dominé par les plus extrémistes. Quant aux candidats aux élections, ils sont présélectionnés par des instances sous contrôle du Guide suprême.

Telle est la vérité d’un régime qui n’éprouve plus le besoin de se cacher derrière un semblant de compétition électorale. Aussi la peinture de la vie politique iranienne comme un combat entre « réformateurs » et « conservateurs » suscite-t-elle la perplexité : ces derniers sont en fait les plus extrêmes de la Révolution islamique, imperméables aux calculs politiques de « réformateurs » simplement soucieux d’ajuster fins et moyens.

Un pouvoir monolithique

Avec ou sans accord nucléaire, les Etats-Unis et leurs alliés seront donc confrontés à un pouvoir monolithique qui balance entre le modèle chinois et le nord-coréen. Sur le plan extérieur, l’insistance de Joe Biden pour revenir au JCPOA (Joint Comprehensive Plan of Action), i.e. à l’accord nucléaire de 2015, et les palinodies européennes inciteront le pouvoir irano-chiite à pousser les feux.
Alors que les négociations sur le retour au JCPOA devraient reprendre, l’erreur serait de croire que la politique extérieure iranienne pourrait être indépendante de la nature profonde du régime. L’anti-américanisme, la diabolisation d’Israël et l’opposition à l’Occident sont inhérents à la théorie et à la pratique de cette république islamique qui, sans renoncer à la rhétorique panislamique, conduit un djihad de facture chiite.

Ebrahim Raïssi n’est pas formellement opposé au retour de l’Iran dans le JCPOA. Pourquoi le serait-il ? D’une part, l’accord nucléaire de 2015 a été avalisé au plus haut niveau, le Guide suprême étant le seul maître de la décision. D’autre part, cela ne modifierait pas la dynamique : la transformation de l’Iran en un « Etat du seuil » capable, le jour où les circonstances s’y prêteront, d’accéder rapidement au stade de l’atome guerrier. De surcroît, le nouveau président iranien entend obtenir un « meilleur accord » qui entérinerait les avancées des deux dernières années - l’augmentation du stock d’uranium hautement enrichi, la production d’uranium lourd et la mise en place de nouvelles centrifugeuses -, et ce sans répondre aux questions de l’AIEA (Agence internationale pour l’énergie atomique) sur des sites nucléaires clandestins.

A terme, il doit être envisagé que le régime déploie une stratégie de « sanctuarisation agressive », l’acquisition d’une force de frappe nucléaire lui assurant l’impunité de ses manœuvres à l’étranger. De fait, Téhéran n’a eu cesse de renforcer son programme de missiles balistiques dont la portée menace le Moyen-Orient, voire l’Europe du Sud-Est. Et Téhéran de marteler que ce programme n’est pas négociable.

Missiles et drones

Son savoir-faire en matière de drones est également avéré. Ainsi se souvient-on du bombardement des installations pétrolières d’Abqaïq et de Khurais, en Arabie Saoudite, par une salve de missiles et de drones (14 septembre 2019). L’Irak est également le théâtre de ce type d’opération (une dizaine de frappes par drones depuis le début de l’année). Ces derniers jours encore, des milices affidées à Téhéran ont envoyé des drones d’attaque à Erbil, au Kurdistan, à proximité du consulat américain (l’aviation américaine a répliqué en frappant des cibles à la frontière syro-irakienne).

On sait par ailleurs que les Pasdarans, au moyen du Hezbollah et d’autres milices panchiites, ont jeté un « pont terrestre » entre le golfe arabo-persique et le bassin Levantin, avec des effets déstabilisateurs potentiels dans l’ensemble de la Méditerranée. Simultanément, les rebelles houthistes, variante yéménite du Hezbollah, perpétuent leur guerre contre les forces gouvernementales. Nonobstant le geste de Joe Biden, qui les a retirés de la liste des organisations terroristes, ils n’ont pas renoncé à frapper le territoire de l’Arabie saoudite avec des engins de conception iranienne.

La coopération avec Moscou et Pékin

Il faut élargir encore la focale. Depuis les années 1990, le partenariat entre Moscou et Téhéran s’est transformé en une alliance. Amorcé par un accord nucléaire et des ventes d’armes, il a débouché sur une intervention militaire commune en Syrie. Le récent pacte russo-iranien en matière de renseignement pousse plus loin cette logique. De surcroît, la Chine populaire se rapproche de l’Iran. Conclu en juillet 2020, un pacte de coopération stratégique prévoit, en contrepartie d’un accès préférentiel au pétrole et au gaz, d’importants investissements chinois dans l’énergie, les infrastructures, les télécommunications et la cybersécurité. Un volet est consacré au renseignement militaire.

Face à ce regroupement de forces perturbatrices, engagées dans une entreprise de subversion de l’ordre international, il importe que la fermeté prévale. Cela implique que les négociations sur le nucléaire, lorsqu’elles reprendront à Vienne en juillet, ne prétendent pas restaurer l’illusoire statu quo ante : prévoyons le pire pour qu’il n’advienne pas.

A l’échelon régional, les ambitions iraniennes appellent l’attention sur les accords d’Abraham. Signés le 15 septembre 2020, sur la base d’une initiative israélo-émiratie, ces accords ont amorcé un processus qui solidarise les destinées d’Israël, de plusieurs monarchies sunnites, jusqu’au Maroc, et du Soudan. Certes, il existe des nuances entre les Emirats arabes unis, très allants, et l’Arabie saoudite dont le souverain, « Protecteur des lieux saints de l’Islam », demeure en retrait. Cependant, les convergences sont profondes : la consolidation des accords d’Abraham déterminera la capacité à endiguer l’Iran.
Assurément, les Etats-Unis et leurs alliés n’ont guère d’autre option stratégique que de soutenir ce processus aux effets stabilisateurs. Il y va de la paix dans la région (une « paix par la force ») et, le Moyen-Orient demeurant une zone névralgique, de l’équilibre du monde.

Jean-Sylvestre Mongrenier
Chercheur associé à l’Institut Thomas More