Des commissaires sous surveillance

Le Parlement européen examine les candidatures des futurs commissaires, qui doivent répondre à des questions écrites avant d’être auditionnés par les commissions compétentes. Plusieurs d’entre eux sont vivement critiqués par les eurodéputés, dont le socialiste français Pierre Moscovici et le conservateur britannique Jonathan Hill. La droite et la gauche règlent leurs comptes.

Le « grand oral » auquel sont soumis les futurs commissaires devant le Parlement européen est devenu un rituel, qui permet aux eurodéputés d’installer leur pouvoir face à la nouvelle Commission, de mettre à l’épreuve le président élu de cette institution et de tester les rapports de force entre la droite et la gauche. Il constitue aussi un exercice de démocratie qui place sous le contrôle des élus le collège des commissaires, souvent critiqué pour son caractère bureaucratique, et garantit un minimum de transparence. C’est l’occasion pour les parlementaires de bousculer certains des candidats à la fonction de commissaires en examinant si ceux-ci remplissent les trois exigences fixées par les traités : la compétence générale, l’engagement européen et l’indépendance.

Les commissions parlementaires chargées d’entendre les membres de la Commission choisis par les Etats ont concentré leurs critiques sur quatre d’entre eux, dont l’audition a été mouvementée et parfois tendue. Principale cible, comme on pouvait s’y attendre : le socialiste français Pierre Moscovici, auquel Jean-Claude Juncker a décidé de confier le portefeuille des affaires économiques et financières. Si nul ne met en doute sa compétence et son engagement européen, c’est son action passée comme ministre des finances dans le gouvernement Ayrault qui est en question. « Personne de bonne foi ne peut comprendre que le portefeuille auquel vous prétendez est celui où vous avez échoué il y a à peine six mois », lui a lancé l’eurodéputé UMP Alain Lamassoure.

Comment Pierre Moscovici, devenu commissaire, pourrait-il faire respecter les règles budgétaires qu’il a été incapable d’observer comme ministre ? « Les règles, rien que les règles, c’est cela ma mission, a-t-il répondu, et si un pays ne remplit pas les obligations prévues – c’est le cas de la France – je poursuivrai ma tâche d’Européen ». Il n’y aura donc pas de traitement de faveur pour la France, a-t-il assuré. La droite n’a pas été convaincue. Elle a jugé ses explications peu crédibles. Pour elle il existe un conflit d’intérêts entre l’appartenance de Pierre Moscovici au gouvernement Ayrault et sa nouvelle fonction.

Conflits d’intérêts

La gauche n’a pas manqué, à son tour, de dénoncer de possibles conflits d’intérêts du côté de ses adversaires. Elle a ainsi décidé de mettre sur la sellette trois futurs commissaires issus du camp conservateur. Le plus fragile et donc le plus critiquable est à ses yeux l’Espagnol Miguel Arias Canete, auquel doivent être confiés les départements de l’énergie et du climat. Outre des propos jugés sexistes pour lesquels il a présenté des excuses, le candidat de Madrid se voit reprocher la possession d’actions dans deux sociétés pétrolières (il dit les avoir vendues mais des membres de sa famille y sont toujours présents) et son passé de ministre espagnol de l’environnement (il a autorisé notamment des forages au large des Canaries). Une pétition contre sa nomination a recueilli près de 400 000 signatures. Ses réponses floues sur le gaz de schiste inquiètent également les écologistes.

Autre personnalité contestée par la gauche, le futur commissaire chargé des services financiers, Jonathan Hill, est l’objet de suspicions pour son passé de lobbyiste. Comment accepter que les services financiers soient placés sous la responsabilité d’un Britannique, dont le pays n’appartient pas à la zone euro et qui passe pour être proche de la City de Londres ? Cette situation scandalise autant la gauche que le choix de Pierre Moscovici aux affaires économiques et financières révolte la droite. Jonathan Hill répond qu’il travaillera pour l’intérêt général, et non pour protéger la City. Ses déclarations sont jugées imprécises, notamment sur l’achèvement de l’Union bancaire. Dans le même temps, il est attaqué par les eurosceptiques britanniques qui demandent que Londres sorte de l’Union européenne et jugent qu’on ne peut « servir deux maîtres » : la reine et l’UE.

« Equilibre de la terreur »

Un quatrième candidat est dans le collimateur des eurodéputés : le représentant hongrois, Tibor Navracsics, pressenti pour l’éducation, la culture et la citoyenneté. Un portefeuille tenu pour incompatible avec l’état des libertés en Hongrie où la presse, la justice, les institutions culturelles ont été mises sous tutelle par le gouvernement de Viktor Orban, dont Tibor Navracsics fut, jusqu’à sa désignation comme futur commissaire, ministre de l’administration publique et de la justice. M. Navracsics a promis qu’il respecterait les valeurs européennes. Les eurodéputés ont souligné les contradictions entre ses déclarations et son action passée en Hongrie.

D’autres membres de la future Commission comme la Roumaine Corina Cretu et la Tchèque Vera Jourova, toutes deux socialistes, pourraient être également mises en difficulté. La droite et la gauche se menacent mutuellement de refuser leur confiance à des candidats du camp adverse, établissant entre elles un « équilibre de la terreur », selon la formule de l’eurodéputée socialiste française Pervenche Berès. Les parlementaires ne pouvant voter que sur la Commission dans son ensemble, et non au cas par cas, des négociations vont s’engager avec Jean-Claude Juncker. Il est arrivé dans le passé qu’un ou deux candidats soient recalés par les parlementaires après concertation avec le président de la Commission. Même si aucun des commissaires désignés n’est, en fin de compte, écarté, plusieurs d’entre eux savent qu’ils seront sous surveillance pendant la durée de leur mandat.