Désenchantement britannique

« Boris Johnson, la fête est finie » : cet avertissement lancé au premier ministre britannique par la députée nouvellement élue Helen Morgan, au lendemain de la lourde défaite électorale subie le 16 décembre par les conservateurs dans la circonscription du North Shropshire, est à la mesure du désenchantement d’une grande partie des Britanniques face aux promesses de Boris Johnson. « Les gens du North Shropshire ont parlé au nom de tous les Britanniques », a affirmé Mme Morgan, en stigmatisant le « manque de décence » d’un premier ministre auquel ferait défaut, selon elle, « le sens de l’intérêt national ». L’échec du candidat conservateur dans une circonscription tenue depuis près de deux siècles par les tories n’est pas en lui-même rédhibitoire pour Boris Johnson mais il s’ajoute à toute une série de revers qui traduisent une perte de confiance dans son leadership et un affaiblissement de son autorité.

Deux jours plus tard, le 18 décembre, nouveau coup dur : le ministre chargé du Brexit, David Frost, claque la porte du gouvernement. Il condamne la direction politique prise par Boris Johnson, dénonçant en particulier les hausses d’impôts et les restrictions sanitaires. Il souhaite que le gouvernement aille aussi vite que possible « dans la bonne direction », celle d’une économie « peu régulée » et « peu taxée ». Autrement dit, l’ancien négociateur du Brexit, choisi pour mettre celui-ci en application, remet en cause les grandes orientations fixées par Boris Johnson. Cet eurosceptique résolu, qui fait preuve d’une intransigeance absolue dans les pourparlers de Londres avec Bruxelles, notamment sur la question de l’Irlande du Nord, rêve d’un Royaume-Uni transformé en nouveau Singapour, une zone affranchie de la plupart des normes sociales et environnementales. Il ne croit plus que Boris Johnson soit l’homme de ce projet. Avec lui, c’est l’aile droite des conservateurs qui menace de lâcher le premier ministre.

Rumeurs de succession

Le temps où le Brexit était salué avec allégresse et Boris Johnson loué pour sa détermination est bien fini. Déjà critiqué pour s’être soustrait au confinement en 2020 à la faveur d’une fête organisée dans sa résidence de Downing Street, le successeur de Theresa May se heurte à la mauvaise volonté de ses propres amis dont une centaine ont rejeté son plan contre la pandémie et dont beaucoup commencent à s’interroger sur le nom de celui qui prendra sa place à la tête du gouvernement britannique. On envisage en effet ouvertement son départ et on parle déjà, pour lui succéder, de sa ministre des affaires étrangères, Liz Truss, ou de son ministre des finances, Rishi Sunak. « Encore une erreur et c’est fini pour lui », affirme un député, cité par Le Monde, tandis qu’un autre évoque sa « dernière chance ». L’antagonisme entre le Royaume-Uni et l’Union européenne se double ainsi d’un conflit interne aux conservateurs, qui fragilise le premier ministre britannique.

Les déboires de Boris Johnson soulignent, au-delà des singularités du personnage, les ambiguïtés d’un Brexit adopté par les Britanniques dans l’improvisation et l’impréparation. L’avenir du Royaume-Uni une fois séparé du Vieux Continent n’a pas été suffisamment réfléchi ni débattu, laissant dans l’incertitude ceux-là même qui s’en étaient faits les champions. Entre la ligne dure des Brexiters qui ont fait de l’Europe leur adversaire numéro un et la ligne modérée de ceux qui sont prêts à des compromis, le fossé s’est creusé. Le premier ministre a bien du mal à maintenir un semblant d’unité autour de sa politique. L’Union européenne doit-elle s’en réjouir ? Certes les difficultés du Royaume-Uni ont un avantage, c’est qu’elles ont toute chance de calmer les ardeurs de ceux des Etats membres qui seraient tentés par une sortie de l’Union. Maigre satisfaction. Il serait préférable pour les Européens de renouer des relations paisibles avec Londres, que Boris Johnson reste ou non au pouvoir. L’Europe s’en porterait mieux, au moment où elle tente de renforcer sa présence dans le monde.

Thomas Ferenczi