Dialogue de sourds entre Bruxelles et Varsovie

La Commission européenne a décidé d’enquêter sur une éventuelle violation des normes démocratiques en Pologne après l’adoption de deux lois controversées sur la Cour constitutionnelle et sur les médias publics. Elle a demandé des explications à Varsovie en appliquant une nouvelle procédure, dite de sauvegarde de l’Etat de droit, fondée sur le dialogue. Mais celui-ci n’est pour le moment qu’un dialogue de sourd, chacune des deux parties campant sur ses positions.

Beata Szydlo au Parlement européen
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Pour la première fois, l’Union européenne a choisi d’interpeller un Etat membre qu’elle soupçonne de violation de l’Etat de droit et de non-respect des valeurs démocratiques. En demandant à la Pologne des explications sur la loi qu’elle vient d’adopter pour réformer les conditions de fonctionnement de son tribunal constitutionnel, la Commission, par la voix de son premier vice-président, le Néerlandais Frans Timmermans, affirme avec force son droit de se mêler des affaires des Etats membres lorsqu’elle estime que ceux-ci enfreignent les principes fondateurs de la construction européenne. Si l’on excepte le cas de l’Autriche, qui fut l’objet en 2000 de mesures temporaires de boycottage de la part de ses partenaires pour avoir accepté l’entrée d’un parti d’extrême-droite au gouvernement, aucun pays de l’Union n’a été mis en accusation par les institutions européennes pour atteinte à l’Etat de droit et infraction aux règles de la démocratie.

Il est vrai que la procédure mise en oeuvre par l’exécutif européen n’est pas celle que prévoit l’article 7 du traité, qui invite l’Union à agir lorsqu’elle constate « un risque clair de violation grave » (mécanisme de prévention) ou « l’existence d’une violation grave et persistante » (mécanisme de sanction). L’application de l’article 7, qui peut aller jusqu’à la suspension des droits de vote de l’Etat concerné, a été jugée trop lourde pour être activée. De même, un recours auprès de la Cour de justice, chargée de juger les manquements aux traités, a été écarté comme inefficace en raison du caractère général des principes que la Pologne est accusée d’enfreindre.

La Commission a retenu une procédure plus légère, dont elle a adopté le principe en mars 2014 et qui consiste, en cas de « menace systémique envers l’Etat de droit », à ouvrir des consultations avec le gouvernement incriminé afin de vérifier s’il est en conformité avec les exigences du traité. Cette procédure de « sauvegarde de l’Etat de droit », qui n’implique que la Commission, et non les Etats, comporte trois phases : évaluation, recommandation, suivi. Elle peut, en cas d’échec, conduire à l’application de l’article 7, dont elle est l’étape préalable. Mais, comme l’a souligné Jean-Claude Juncker, président de la Commission, le 15 janvier dans sa conférence de presse du nouvel an, elle donne la préférence à la « conciliation » et au « dialogue ».

Clarifier les faits

L’atteinte présumée à l’indépendance de la justice n’est pas le seul grief de Bruxelles à l’égard de Varsovie. La Commission s’inquiète aussi de la loi sur les médias qui paraît menacer la liberté de la presse. Depuis la victoire du parti Droit et justice aux élections législatives, sous la direction de Jaroslaw Kaczynski, la Pologne a donné plusieurs signes d’une dérive autoritaire qui préoccupe l’Union européenne. « Nous voulons clarifier les faits de façon objective », a déclaré Frans Timmermans, qui a adressé trois lettres aux autorités polonaises. « Nous avons des doutes, a précisé Jean-Claude Juncker, et nous vérifions si ces doutes sont fondés ».

Le ministre polonais de la justice, Zbigniew Ziobro, l’un des fondateurs du parti Droit et Justice, a réagi avec force à l’intervention de la Commission, se disant « stupéfait » des pressions exercées par Bruxelles sur un Etat souverain et un Parlement démocratiquement élu. Volontiers provocateur, il s’en est pris à l’Allemagne, dont le commissaire, Günther Oettinger, a parlé de « supervision » de la Pologne. En tant que « petit-fils d’un officier » qui a combattu la « supervision allemande » pendant la seconde guerre mondiale, il a dénoncé les « pires connotations » qu’éveille ce genre de mots. Un magazine polonais a titré, en présentant Angela Merkel sous les traits d’Hitler : « Ils veulent de nouveau superviser la Pologne ».

Calmer le jeu

De part et d’autre on tente toutefois de calmer le jeu. Le ton semble désormais à l’apaisement. « Nous n’avons pas besoin de nous énerver », a estimé le président polonais, Andrezj Duda, de passage à Bruxelles le 18 janvier, qui a appelé à un « compromis ». Son interlocuteur, Donald Tusk, président du Conseil européen et ancien chef du gouvernement polonais, lui a donné raison en invitant les Européens à ne pas « sombrer dans l’hystérie » et à « écouter sans émotion » les explications données par Varsovie. Le commissaire français, Pierre Moscovici, a mis en garde, au cours de ses vœux à la presse, contre le risque de provoquer des réactions excessives en Pologne en allant trop vite. « La Pologne est un acteur essentiel de la construction européenne », a rappelé Jean-Claude Juncker.

Si les échanges sont devenus plus courtois, sur le fond les divergences restent intactes entre Bruxelles et Varsovie. Le débat organisé le 19 janvier au Parlement européen a montré que le dialogue souhaité par Frans Timmermans, dans un esprit de « coopération », et non de « confrontation », demeure un dialogue de sourds. Les principaux orateurs, du ministre néerlandais des affaires étrangères, Bert Koenders, dont la pays assure la présidence tournante de l’Union, aux porte-parole des groupes parlementaires, ont exprimé leur attachement au respect des valeurs européennes et leur inquiétude face aux initiatives du nouveau gouvernement polonais.

« Le problème, ce n’est pas la Pologne, c‘est l’autoritarisme », a ainsi affirmé l’Espagnol Esteban Gonzalez Pons, au nom du PPE (conservateur), avant d’affirmer : « Nous pouvons changer la loi, non les valeurs ». Porte-parole des socialistes, l’Italien Gianni Pittella a lancé à la première ministre polonaise, Beata Szydlo : « N’entraînez pas la Pologne sur une voie qui ne correspond ni à son histoire ni à sa tradition ». « Ce qui nous préoccupe, a ajouté, au nom des libéraux, le Belge Guy Verhofstadt, c’est de savoir si vous n’avez pas abusé de votre majorité pour démanteler les équilibres politiques ».

Beata Szydlo s’est dite ouverte au débat mais elle a défendu sans faiblir les décisions de son gouvernement. Elle a soutenu que les deux réformes controversées – celle de la Cour constitutionnelle et celle des médias publics – étaient entièrement conformes aux normes européennes et que toute autre interprétation ne pouvait être le fruit que de « malentendus », d’un « manque d’informations » ou de la « mauvaise foi ». Les changements introduits par ces deux lois ont été voulus par les citoyens polonais, a-t-elle souligné, et il n’appartient pas à l’Europe de les remettre en cause. Ces questions relèvent de la politique intérieure polonaise, a-t-elle dit, avant de déclarer : « Laissez-nous résoudre nos problèmes par nous-mêmes ». Pour Beata Szydlo, la « liberté », la « justice » mais aussi la « souveraineté » sont considérées par les Polonais comme des « droits inaliénables ». La Pologne respecte les traités, a-t-elle affirmé, ajoutant : « Nous sommes Européens et nous en sommes fiers ».