Donald Trump provoque la Chine et promeut un ami de la Russie

Après avoir laissé filtrer plusieurs noms, dont ceux de Mitt Romney, l’adversaire malheureux de Barack Obama en 2012, et de Rudolph Giuliani, l’ancien maire de New-York, Donald Trump a finalement désigné le patron du groupe pétrolier ExxonMobil, Rex Tillerson, pour le poste de secrétaire d’Etat dans sa future administration. Rex Tillerson n’a aucune expérience politique mais il passe pour être un ami de Vladimir Poutine. Sa nomination, qui doit encore être approuvée par le Sénat, est interprétée comme un geste de plus du président-élu en direction de Moscou.

Rex Tillerson décoré par Vladimir Poutine

A 64 ans, Rex Tillerson a fait toute sa carrière chez ExxonMobil. Il a gravi tous les échelons jusqu’au poste de président en 2004. S’il n’a pas d’expérience directe de la politique et de l’administration, il n’est pourtant pas un novice dans les relations internationales. En tant que PDG du groupe pétrolier, il a négocié avec les dirigeants de nombreux pays et sa société possède un département politique à son siège de Irving (Texas) où travaillent des anciens fonctionnaires, des anciens diplomates et des ex-membres des services secrets. L’ancien secrétaire à la défense de George W. Bush et de Barack Obama, Bob Gates et Condoleezza Rice, ancienne secrétaire d’Etat dans la dernière administration républicaine, comptent parmi les conseillers de Rex Tillerson. Dans un livre critique sur ExxonMobil (Private Empire : ExxonMobil and American Power), le journaliste du New Yorker Steve Coll le crédite d’avoir « travaillé toute sa vie dans un quasi-Etat » ». Mais il ajoute : « pour le bénéfice des actionnaires ».

Ordre de l’Amitié

Mais ce qui attire surtout l’attention des observateurs et de certains sénateurs hostiles à sa nomination, c’est la proximité entre le magnat du pétrole et la Russie. Rex Tillerson a des relations professionnelles et personnelles avec Vladimir Poutine et avec Igor Setchine, le patron de Rosneft, la grande société nationale russe d’hydrocarbures. En 2013, le futur secrétaire d’Etat américain a été décoré des mains du chef du Kremlin de l’ordre de l’Amitié, la plus haute décoration pour un étranger. Il est sans doute l’Américain qui a eu le plus d’échanges directs avec Vladimir Poutine au cours des dernières années. Pas étonnant dans ces conditions que le choix de Donald Trump, qui jouissait déjà d’un préjugé favorable à Moscou, ait été reçu positivement dans les sphères dirigeantes russes. A plusieurs reprises, le patron d’ExxonMobil, qui a signé des contrats avec Rosneft, notamment pour l’exploitation commune des ressources énergétiques de l’Arctique, s’est prononcé contre les sanctions décidées à l’encontre de la Russie après l’annexion de la Crimée et la guerre en Ukraine.

Du nouveau dans le triangle Washington-Pékin-Moscou

La nomination de Rex Tillerson intervient à un moment où les relations entre les trois puissances que sont les Etats-Unis, la Russie et la Chine sont perturbées par deux événements.
D’une part, le rapport de la CIA affirmant que Moscou a cherché à influencer les élections présidentielles américaines. Des hackers, situés en Russie, seraient à l’origine de la publication de messages internet provenant de la campagne d’Hillary Clinton. Donald Trump a qualifié de « ridicules » les assertions des services secrets laissant entendre que Moscou aurait pu favoriser sa victoire.
D’autre part, l’entretien téléphonique entre le président-élu et la présidente de Taïwan, Tsai Ing-wen, a jeté le trouble à Pékin. C’était la première fois qu’un tel échange avait lieu depuis la rupture des relations diplomatiques entre les Etats-Unis et Taiwan et l’établissement des relations diplomatiques entre les Etats-Unis et la Chine communiste en 1979.
Dans un premier temps Donald Trump a déclaré qu’il ne s’agissait pour lui que d’un geste de politesse envers Tsai Ing-wen qui tenait à le féliciter. Toutefois, dans des déclarations ultérieures, il a laissé entendre qu’il pourrait remettre en question le principe d’ « une seule Chine », à la base du rapprochement Washington-Pékin opéré par Richard Nixon et Henry Kissinger en 1972. Les dirigeants des deux pays se sont mis d’accord pour reconnaître l’existence d’ « une seule Chine », même si à l’époque, l’expression n’avait pas le même sens pour les uns et pour les autres. Pour les Chinois de Pékin, cette « seule Chine » était et reste la République populaire de Chine. Pour Taiwan et les Américains qui garantissent sa sécurité, cette « seule Chine » était la Chine nationaliste dont le gouvernement pourchassé par les communistes de Mao s’était réfugié sur l’île en 1949. Depuis la situation politique a changé dans la mesure où une partie de la population taïwanaise est en faveur de l’indépendance – c’est le cas du parti de la présidente Tsai Ing-wen —, même si la réalisation de cette revendication parait irréaliste, vu l’opposition de Pékin.

Ignorance ou grand dessein ?

Donald Trump remet-il en cause le principe qui fonde les relations sino-américaines depuis plus de quarante ans par ignorance, ou est-ce l’amorce d’une stratégie visant à obtenir des concessions dans d’autres domaines, notamment économiques et monétaires, voire stratégiques dans la mer de Chine méridionale où Pékin cherche à étendre son influence ? Dans la deuxième hypothèse, la volonté d’améliorer les relations avec la Russie prend tout son sens. Donald Trump pratiquerait l’inverse exact de la politique de Nixon. Au début des années 1970, le président et Kissinger ont décidé de se rapprocher de Pékin pour faire pression sur l’URSS de Brejnev. Aujourd’hui, Donald Trump veut se rapprocher de Moscou pour agir sur la Chine qu’il considère comme la menace la plus pressante à la puissance américaine.
Déceler une telle stratégique derrière les agissements et les déclarations du futur président est peut-être lui faire beaucoup d’honneur. Quoi qu’il en soit, le rapport des forces a changé depuis les années 1970. La Chine et l’URSS étaient alors ennemies, alors que Moscou et Pékin coopèrent aujourd’hui, même si Donald Trump peut penser que la Russie a, à terme, plus intérêt, économiquement au moins, à s’entendre avec les Etats-Unis qu’avec la Chine. Il reste que le principe mis en avant par Henry Kissinger est toujours valable : Washington doit chercher à avoir avec Moscou et avec Pékin des relations aussi bonnes que les relations entre Moscou et Pékin.