Si le doute s’était exprimé pendant la campagne électorale, il a été vite dissipé. Emmanuel Macron n’a pas attendu longtemps pour revêtir le costume de diplomate en chef. Comme ses prédécesseurs, depuis qu’après la mort de George Pompidou en avril 1974 l’élection présidentielle française a lieu au printemps et que Giscard d’Estaing et Helmut Schmidt ont inventé le G7, les nouveaux présidents de la République sont immédiatement plongés dans le grand bain des rencontres au plus haut niveau : sommets internationaux, réunion de l’OTAN, Conseil européen de printemps…
Une "dialogue permanent"
Mais au-delà de ces figures obligées, Emmanuel Macron a multiplié les rendez-vous depuis son arrivée à l’Elysée : Vladimir Poutine, Mahmoud Abbas, Donald Trump, Benjamin Nétanyahou… sans compter les rencontres avec ses collègues européens dont, au premier rang, Angela Merkel. Il mène « un dialogue permanent » avec la chancelière, a-t-il déclaré au Journal du Dimanche. Parmi les dirigeants des pays les plus puissants, il ne manque guère que le chinois Xi Jinping au tableau de chasse du jeune président. Mais Emmanuel Macron a accepté une invitation à Pékin à la fin de l’année ou au début de l’année prochaine.
Quelle meilleure occasion qu’un moment d’Histoire pour replacer la France dans le jeu international ? Ce fut Versailles et l’exposition sur Pierre le Grand pour le président russe, l’entrée des troupes américaines dans la Grande guerre en 1917 pour le magnat de l’immobilier et la commémoration de la rafle du Vel d’Hiv pour le Premier ministre israélien. Le président de l’Autorité palestinienne avait été invité auparavant à Paris comme une sorte de compensation à la venue de Benjamin Netanyahou pour montrer que la France garde une position d’équilibre dans le conflit israélo-palestinien.
La même méthode
A chaque fois, Emmanuel Macron applique la même méthode : réception chaleureuse, gestes amicaux et langage de vérité. Sous les ors de Versailles, Vladimir Poutine a dû entendre publiquement condamner « l’invasion russe » de l’Ukraine, la répression des homosexuels et la diffusion de fake news par les « journalistes » des médias aux ordres du Kremlin. Quant à Donald Trump, il a dû mobiliser tout son sens de l’humour pour apprécier la parodie de son slogan de campagne « Make our planet great again » par un récent converti à l’écologie. Le premier ministre israélien n’a pas réagi à la mise en cause attendue de la colonisation israélienne dans les territoires occupés, largement occultée, il est vrai, par la réaffirmation d’un soutien inconditionnel à l’existence d’Israël.
Emmanuel Macron dessine à petits traits une diplomatie qu’il présente comme plus pragmatique et plus réaliste — moins « droit-de-l’hommiste », dirait Hubert Védrine —, que celle de ces deux prédécesseurs immédiats, en mettant l’accent sur des différences qu’il a sans doute tendance à accentuer pour les besoins de la cause. « Avec moi, ce sera la fin d’une forme de néoconservatisme importée en France depuis dix ans », a-t-il affirmé dans le grand entretien de politique étrangère qu’il a donné fin juin à des journaux européens, dont Le Figaro.
Ce soupçon de néoconservatisme s’appuie sur deux arguments. D’une part l’existence au sein du ministère français des affaires étrangères d’un petit groupe de diplomates, appelé par fois « la secte », sensible aux thèses des néoconservateurs américains. D’autre part, l’influence de ces mêmes diplomates sur la politique étrangère de Nicolas Sarkozy comme de François Hollande en faveur d’interventions armées pour soutenir des protestations populaires contre des autocrates, voire pour faciliter des changements de régime.
Cette acception simpliste du néoconservatisme, qui est une mouvance plus complexe et plus différenciée que la définition commune ne le laisse penser, est parfois assimilée à « l’occidentalisme », soit la conviction de la supériorité des valeurs occidentales et la volonté de les imposer aux autres peuples, y compris par la force. Le paradoxe est que le néoconservatisme serait imposé en France au moment où il s’éclipsait aux Etats-Unis, après le fiasco de l’intervention en Irak contre Saddam Hussein.
Etat brutal et Etat failli
Lors des printemps arabes et contrairement à une idée généralement reçue, la France ne s’est pas alignée sur les Etats-Unis. Après bien des hésitations, voire des reniements, elle a tiré la conclusion que les régimes autoritaires n’étaient pas un gage de stabilité face à la révolte des peuples. Echaudé par les expériences irakienne et afghane, Barack Obama était resté en arrière de la main.
Emmanuel Macron remarque avec pertinence que la France « a eu tort de faire la guerre de cette manière en Libye » parce que l’intervention a conduit à la création, à la place d’un Etat brutal, d’un « Etat failli » foyer de terrorisme. On ne saurait toutefois en tirer la leçon que le maintien au pouvoir de Bachar el-Assad serait un gage de stabilité, pour ne pas parler de réconciliation et de progrès.
Le président a assimilé le b.a.-ba de la diplomatie : dialoguer avec ceux avec qui l’on n’est pas d’accord. Il le fait sans fard, se targuant d’être plus direct dans son expression privée. Depuis son arrivée au pouvoir, il a eu l’occasion de brasser la plupart des grands sujets de tension internationale, l’Ukraine, la Syrie, l’Iran, le conflit israélo-palestinien, le climat… Sur toutes ces questions il a des idées, des propositions qui passent souvent par la création d’un groupe de travail ou la nomination d’un intermédiaire, quand ils n’existent pas déjà. Là encore, le b.a.-ba de l’action diplomatique.
Il sait aussi qu’il sera d’autant mieux entendu qu’il n‘exclut pas a priori le recours à la force. Il l’a dit à Vladimir Poutine, l’allié de Bachar el-Assad : si le régime syrien a de nouveau recours à des armes chimiques, il s’expose à des représailles. C’est une « ligne rouge » que, selon Emmanuel Macron, la France entend faire respecter. Seule s’il le faut. Pas comme en août 2013, quand François Hollande a dû reculer après avoir été lâché par Barack Obama. Dans le Journal du Dimanche, le président a précisé que ce n’était pas une menace en l’air : « Je m’étais mis en situation opérationnelle de pouvoir le faire avant de le dire [que la France, le cas échéant agirait seule]. »
La "grammaire" du multilatéralisme
Il est trop tôt pour juger si cette activité diplomatique tous azimuts portera ses fruits. Une chose est de vouloir remettre la France « au centre du jeu », une autre est d’obtenir des résultats concrets qui apporteraient à la Realpolitik sa légitimation. L’optimisme dont Emmanuel Macron fait preuve pour maintenir ce qu’il appelle « la grammaire internationale » du multilatéralisme, est un puissant moteur. Mais il ne règle pas tout. Il peut même se muer en déception s’il ne rencontre pas les succès escomptés.
L’exemple du réchauffement climatique est parlant : au G7 de Taormina, en Sicile, Emmanuel Macron croyait encore que les Etats-Unis pourraient ne pas sortir de l’accord climat de Paris. A peine rentré à Washington, Donald Trump le rayait d’un trait de plume. A Paris, il a suffi que le président américain évoque un petit quelque chose qui « pourrait se passer » pour qu’Emmanuel Macron entrevoit le ralliement de son collègue à la COP21. Si c’est le cas, il pourra se féliciter de son pouvoir de persuasion. Sinon, il risque de passer pour un naïf.
Même risque avec Vladimir Poutine sur la Syrie ou l’Ukraine. La reprise du dialogue avec Moscou n’a pas retenu les séparatistes du Donbass d’essayer de créer un nouveau fait accompli, en proclamant la création de "Malorossia", la Petite Russie. Et ils ne se sont pas livrés à cette provocation sans l’approbation du Kremlin.
Si Emmanuel Macron adopte un profil bas dicté par trop de prudence, il se banalise. S’il sacrifie à l’activisme, il s’expose à des déconvenues mais il s’ouvre le champ des possibles. En politique intérieure, il a clairement opté. Tout laisse à penser qu’il fera le même choix sur le terrain également miné de la politique étrangère.