„Oser plus de progrès“ – ce slogan du nouveau gouvernement allemand parle d’une grande ambition ; de l’ambition de diriger le pays, pendant une décennie au moins, vers des changements profonds dans tous les domaines, considérés comme nécessaires pour répondre aux défis multiples du siècle. On ne peut guère viser plus haut. Or, le début de cette nouvelle ère de progrès s’annonce plutôt compliqué, sinon rude. Après le changement de majorité au Bundestag et la constitution du nouveau gouvernement, les changements qui affectent les partis politiques sont loin d’ouvrir automatiquement la route vers „le progrès“.
D’une part, les Verts ont été obligés de se donner une nouvelle équipe dirigeante, leur statut ne permettant pas que les présidents du parti (femme et homme) siègent au gouvernement. Annalena Baerbock et Robert Habeck, les deux co-présidents qui ont mené la campagne législative, font désormais partie du gouvernement fédéral, l’une comme ministre des affaires étrangères, l’autre comme ministre de l’économie et du climat et vice-chancelier. Ils ont été remplacés respectivement, le 29 janvier, par Ricarda Lang et Omid Nouripour. Ce remplacement n’est pas un simple échange de personnes. Il va modifier la conduite du parti, sorti de 16 ans dans l’opposition.
D’autre part, le SPD, parti du chancelier Olaf Scholz, et, dans une moindre mesure, le FDP du ministre des finances Christian Lindner, peinent à faire face aux réalités politiques actuelles et à leurs responsabilités nouvelles. Le ministre des finances, qui se veut gardien de la discipline budgétaire, est déjà confronté à des demandes de dépenses supplémentaires de tous les côtés. Un budget supplémentaire de 60 milliards pour 2022 vient d’être voté. Mais les discussions sur le budget 2023 vont être extrêmement difficiles et elles coïncident avec les discussions compliquées au sein de l’UE, sous présidence francaise, sur une réforme du pacte de stabilité.
Entre discipline et flexibilité
Pour l’instant, on en parle peu, car les jours de vérité pour M. Lindner n’arriveront qu‘au mois de juin, quand le gouvernement devra adopter son projet de loi des finances 2023 alors que la règle constitutionelle du „frein au déficit“ s’appliquera à nouveau, après avoir été suspendue pendant la pandémie. En même temps, la présidence francaise va vouloir présenter le résultat de ses efforts au niveau européen. Néanmoins, le ministre se trouve déjà coincé entre sa position de gardien de la discipline fiscale, défendue par son parti en tant que parti d’opposition pendant la campagne électorale, et les nécessités de flexibilité dictées par les réalités politiques du jour. L’équilibre qu’il doit trouver entre ces deux ambitions, celle d’organiser des compromis acceptables pour les partenaires européens et les partenaires de la coalition, et celle de rester fidèle aux positions de son propre parti, dont il est toujours le chef, jusque là incontesté, va décider de son poids politique réel et de celui de son parti au sein de cette „coalition de progrès.“
En revanche, M. Scholz et le SPD se trouvent déjà sous pression actuellement. Les menaces de guerre provoquées par les rassemblements de l’armée russe aux frontières de l’Ukraine, combinés avec les demandes „de garantie“ présentées aux Etats-Unis et à l’Otan visant à refuser à l’Ukraine à jamais le droit de devenir membre de l’Alliance, une demande que l’Alliance et les Etats-Unis ne peuvent que refuser, ont mis immédiatement à l’épreuve la position du chancelier et de son parti envers la Russie. Son silence pendant trop longtemps („où est le chancelier ?“), ses propos d’abord plutôt nuancés et ambigus, surtout en ce qui concerne un soutien à l’Ukraine en armements et le gazoduc „Nord Stream 2“ (une installation de l’entreprise d’Etat russe Gazprom et de plusieurs entreprises privées européennes, surtout allemandes, qui achemine le gaz de Sibérie, par Saint Pétersbourg et la Mer baltique, directement en Allemagne, en évitant l’Ukraine et la Pologne), n’ont pas seulement créé des doutes parmi les alliés sur la position de l’Allemagne en la matière ; ils sont la manifestation d‘un problème au sein du SPD même, dont le chancelier n’est pas le chef. Le nouveau co-président du parti, Lars Klingbeil, s’est trouvé obligé de réunir, le 31 janvier, un certain nombre de hauts responsables politiques du SPD afin de faire en sorte que le parti du chancelier parle d’une seule et même voix.
L’autorité du chancelier mise en doute
Des propos de l’ex-chancelier SPD Gerhard Schröder, ami personnel de Vladimir Poutine et désormais lobbyiste de Gazprom, et de Rolf Mützenich, chef du groupe parlementaire du SPD au Bundestag, qui a exprimé une certaine compréhension pour les demandes de Moscou –comme l’a fait le chef de la marine de guerre avant d’être très vite démis de ses fonctions—, ont contribué à mettre en doute l’autorité d’Olaf Scholz. Le chef du gouvernement a répondu dans une interview au téléjournal du 31 janvier : „Il n’y a qu’un seul chancelier, c’est moi“. Et Lars Klingbeil, le chef du parti, le même jour : „Chacun peut participer au débat, mais c’est la direction du parti qui décide de sa politique.“ Des mises en garde au grand public plutôt inhabituelles.
Finalement, le chancelier a été reçu à Washington par le président américain en même temps qu’Emmanuel Macron allait à Moscou et à Kiev. La ministre des affaires étrangères a choisi de se rendre en Ukraine sur la „ligne de contact“ avec la partie de l’Ukraine occupée par les forces rebelles soutenues et dirigées par Moscou. Olaf Scholz, lui, après sa rencontre avec Joe Biden, a accueilli à Berlin le président français, de retour de Moscou et de Kiev. Une semaine plus tard, Olaf Scholz devait se rendre lui-même à Kiev et à Moscou. Il devait clarifier enfin, il faut l’espérer, la position de l’Allemagne. Et confirmer la coordination étroite avec Paris dans ces démarches.
Mais au sein du SPD, le nombre de „ceux qui comprennent la Russie“ reste important. Cela vaut aussi pour le groupe SPD au Bundestag. Une opposition de principe contre toute livraison d’armement dans des „régions de crise“ est toujours en place. Cela vaut également pour les Verts. Et les partisans du gazoduc „Nord Stream 2“ comme „projet industriel privé“ qu’il ne faudrait pas confondre avec les problèmes politiques actuels avec la Russie, sont aussi toujours là, alors que les Verts et les libéraux du FDP se sont toujours prononcés contre ce projet. Les amis de la Russie du SPD n’auront pas le choix que de s’incliner en la question. Et le chancelier, au lieu d’avoir pris la décision en main malgré les opposants dans son propre parti, n’aura qu’à confirmer ce que des alliés, avant tout les USA, ont déjà déclaré : En cas d’invasion militaire de l’Ukraine par la Russie, le gazoduc „Nord Stream 2“, qui n’est pas encore ouvert, restera fermé. Ce n’est pas la sorte de leadership politique que le chancelier avait promis.
Une nouvelle équipe à la tête des Verts
A côté de ces problèmes actuels et urgents qui regardent plutôt le SPD que le FDP ou les Verts, la nouvelle équipe dirigeante des Verts se trouve devant un défi majeur. C’est celui du remplacement des deux co-présidents qui ont pris en charge deux ministères des plus difficiles. La transition écologique de l’économie, gérée par le ministère de Robert Habeck, ne va pas produire les résultats voulus et prévus avant plusieures années ; elle va d’abord créer des problèmes et des coûts énormes. Sans un soutien solide et continu par son parti, le ministre et vice- chancelier échouera. En politique étrangère, la crise actuelle démontre les difficultés de la ministre Annalena Baerbock face à un chancelier qui a son mot à dire, mais qui peine à prendre position, encadré par le SPD qui réclame que la chancellerie soit au coeur de la politique étrangère du pays. Mais de leur côté, les Verts doivent confirmer leur position au sein de cette coalition et s’organiser pour réussir – tout en répondant aux demandes de leurs adhérents et militants plutôt jeunes et radicaux.
C’est la tâche de Ricarda Lang et d‘Omid Nouripour, les nouveaux co-présidents des Verts, qui ne sont pas des inconnus. Ricarda Lang vient juste d’avoir 28 ans. Elle représente, bien sûr, les Jeunes Verts, dont elle a été la présidente. Son expertise c’est d’abord le domaine des questions sociales. Mais son rôle le plus important ce sera de lier les jeunes activistes verts, celles et ceux qui manifestent pour leur revendications en matière de protection du climat („Fridays for future“, accords de Paris), les activistes féministes aussi, aux actions du nouveau „gouvernement du progrès“. Elle doit empêcher le découplage entre la „base“ activiste des Verts, qui est, par définition, diverse et peu respectueuse des autorités, et les responsables de leur parti au gouvernement, qui seront forcément amenés à défendre des compromis.
Omid Nouripour, lui, né à Téhéran et jusque là porte-parole de politique étrangère du groupe des Verts au Bundestag, représente le côté internationaliste des Verts et le volet „diversité de la société“. Sans être „bio-allemand“ il fait partie des „établis“ du parti et il sera près de la ministre Baerbock. Tous les deux, ils sont aussi chargés d’un exercice de „retour d’expériences“ de la campagne électorale de 2021, qui a réussi dans la mesure où elle a mené les Verts à leurs meilleur résultat et au pouvoir à Berlin. Mais elle a échoué à porter Annalena Baerbock à la chancellerie, ce qui était le but déclaré de la campagne et ne semblait pas du tout impossible au printemps et pendant l’été 2021. Le nouveau chef du parti a déjà déclaré que les Verts auront l’ambition, en 2025, de viser à nouveau la première place – et, donc, de détrôner le chancelier qu’ils viennent de mettre en place.
Voilà des projets extrêmement ambitieux pour la nouvelle équipe des Verts. „Ricarda et Omid“ ne fonctionneront pas comme „Annalena et Robert“. Cette équipe doit transformer un parti d’oppostion en un parti de gouvernement au niveau national et en même temps reprendre la compétition avec le parti du chancelier que les Verts ont devancé pendant longtemps en 2021, pour les doubler à niveau.
Le retour de Friedrich Merz à la CDU
En méme temps, le 29 janvier également, les 1001 délégués du congrès de la CDU (Union chrétienne-démocrate), maintenant premier parti d’opposition, ont fait de Friedrich Merz leur nouveau président avec presque 95% des suffrages, exprimés en ligne et confirmés par correspondance quelques jours plus tard. Armin Laschet, le candidat malheureux à la chancellerie, avait démissioné de ce poste. Pour M. Merz c’est la troisième tentative depuis 2018 quand Angela Merkel avait démissionné de la tête du parti. Il avait critiqué sévèrement la politique de la chancelière et caractérisé, en 2019 encore, l’image du gouvernement Merkel IV comme étant un „désastre“.
Il est vrai qu’il avait quitté la politique en 2009 pour faire fortune, entre autres chez l’assureur Axa, mais surtout comme consultant en gestion et avec le fonds d’investissement américain BlackRock. Il avait été écarté de sa fonction de chef du groupe parlementaire CDU/CSU par Angela Merkel en 2002. Le voici de retour. Il s’est entouré d’une équipe de vice-présidents jeunes et il va reprendre, le 15 février, la présidence du groupe parlementaire au Bundestag, éliminant, comme l’avait fait Mme Merkel avec lui en 2002, le président actuel, Ralph Brinkhaus, qui n’avait nullement envie de partir. Avec Friedrich Merz, un excellent orateur, et son groupe CDU/CSU il y a, à nouveau, une vraie opposition au Bundestag. En tant que leader de l’opposition il va profiter des quatre années jusqu’aux prochaines élections pour soigner les plaies des deux ou trois dernières années de la fin lente du merkélisme que les luttes internes ont laissées.
Avec ce mélange d’anciens et de jeunes, la CDU est aujourd’hui devenu un chantier de rénovation politique. M. Merz, très apprécié par l’aile conservatrice de la CDU qui avait soit boudé, soit rejeté la „social-démocatisation“ de la CDU sous Angela Merkel, va lancer une rénovation du programme du parti. Comme chef de la commission du programme il a nommé Carsten Linnemann, 44 ans, un des nouveaux vice présidents du parti qui est, depuis des années déjà, le représentant éloquent des PME au sein de la CDU, le coeur „bourgeois“ classique du parti. Un autre vice-président de la CDU est à noter : Andreas Jung, du Bade-Wurtemberg, qui s’est engagé beaucoup pour les relations franco-allemandes. En fait, il est, à côté du député français Christophe Arend, le co-président du bureau de l’assemblée parlementaire franco-allemande, l’unique parlement binational. Et le nouveau secrétaire général, Mario Czaja, est un jeune représantant des „commissions sociales“ de la CDU, son courant syndicaliste. Les chrétiens-démocrates allemands, eux aussi, vont bouger.
Il reste à noter que l’extrême droite de l’AfD se perd de plus en plus dans l’extrémisme fascisant. Son co-président, Jörg Meuthen, membre du Parlement européen, vient d’ajouter aux bouleversements politiques en Allemagne en démissionnant de son poste et en quittant le parti, qui présente selon lui un danger pour la démocratie en Allemagne.