En République tchèque, le populisme contre la démocratie

Le second tour de l’élection présidentielle s’annonce serré, le 26 et le 27 janvier, en République tchèque, entre le président sortant, Milos Zeman, prorusse et eurosceptique, souvent qualifié de populiste, arrivé en tête au premier tour, et son adversaire, Jiri Drahos, pro-européen et méfiant à l’égard de Moscou, défenseur des valeurs de la démocratie libérale. Après le premier tour, un écart de douze points sépare les deux adversaires. Jiri Drahos compte sur le report des voix qui se sont portées sur les autres candidats. Milos Zeman lui répond que « les citoyens ne sont pas des marionnettes que l’on peut manipuler sur la base de ralliements ».

Le Chateau de Prague, siège de la Présidence de la République
Photo de Jorge Royan

En République tchèque, le second tour de l’élection présidentielle se jouera, le vendredi 26 et le samedi 27 janvier, entre deux hommes que tout oppose, le style, les idées, l’expérience, la vision de l’avenir, la conception de la politique. Deux hommes qui incarnent l’un, Milos Zeman, président sortant, une forme de populisme eurosceptique et pro-russe, l’autre, Jiri Drahos, son challenger, un libéralisme centriste et pro-européen. Deux hommes qui se situent, comme le souligne le quotidien tchèque Hospodarske Noviny, « chacun d’un côté de la barricade qui traverse désormais l’Europe et l’ensemble du monde occidental » et qui sépare ceux qui revendiquent les valeurs des démocraties européennes de ceux qui se tournent plutôt vers la Russie de Vladimir Poutine.

Des positions proches de l’extrême-droite

Premier chef d’Etat élu au suffrage universel en 2013, Milos Zeman, 73 ans, est un vieux routier de la politique. Président du Parti social-démocrate, qu’il a remis sur pied après la Révolution de velours, il a présidé la Chambre des députés de 1996 à 1998 puis dirigé le gouvernement de 1998 à 2002, sous la présidence de Vaclav Havel. En 2009, il a quitté le Parti social-démocrate pour fonder le Parti des droits civiques.
Arrivé en tête au premier tour de l’élection présidentielle avec 38,6% des voix, il devance de 12 points son adversaire du second tour. Son évolution politique, de la gauche social-démocrate à des positions proches de l’extrême-droite, lui vaut une réputation d’opportuniste. Il considère l’immigration comme une « invasion organisée » et juge « pratiquement impossible » l’intégration des musulmans.

Il se montre de plus en plus critique à l’égard de l’Union européenne (même s’il a rétabli le drapeau européen que son prédécesseur, Vaclav Klaus, avait retiré du château de Prague, siège de la présidence) et manifeste sa sympathie pour la Russie. Il désapprouve les sanctions appliquées par l’UE après l’annexion de la Crimée et participe à Moscou, en mai 2015, aux cérémonies de la victoire. Quelques mois plus tard, il assiste à Pékin au défilé de commémoration de la capitulation du Japon. Il soutient en Syrie le régime de Bachar el-Assad.
Volontiers provocateur, Milos Zeman est réputé pour son franc-parler. Il n’hésite pas à insulter ses opposants et s’en prend souvent aux journalistes, brandissant un jour devant eux une fausse Kalachnikov qui portait la mention « pour les journalistes ». Ceux-ci, en retour, raillent les désordres de sa vie privée ou son goût pour l’alcool.

Un scientifique respecté

Jiri Drahos, 68 ans, est la parfaite antithèse du président sortant. Calme et posé, il est aussi effacé que Milos Zeman est habile à attirer l’attention. Loin d’être un vétéran de la politique, Jiri Drahos est un nouveau venu sur la scène électorale. Issu de la société civile, il est indépendant des partis, même s’il a le soutien de deux d’entre eux, classés à droite et au centre.
Chimiste et physicien, il a présidé, de 2009 à 2017, l’Académie des sciences. Sa carrière de scientifique suscite le respect. Arrivé en deuxième position au premier tour avec 26,6% des suffrages, il peut compter sur le soutien de la plupart des autres candidats, dont l’ancien ambassadeur de la République tchèque à Paris, Pavel Fischer, ancien conseiller politique de Vaclav Havel, arrivé troisième avec 10,2% des voix. « Les citoyens ne sont pas des marionnettes que l’on peut manipuler sur la base de ralliements », répond le président sortant. Les amis de Jiri Drahos craignent que le débat de l’entre-deux-tours ne lui soit défavorable.

Face à Milos Zeman, Jiri Drahos défend une politique pro-européenne, même s’il écarte l’hypothèse d’une entrée prochaine de la République tchèque dans la zone euro et s’il juge « excessives » certaines régulations européennes. Il exclut tout référendum sur l’appartenance de son pays à l’UE. Il affirme son attachement à « l’ancrage euro-atlantique », une manière de se distinguer des tentations prorusses et prochinoises de son adversaire. En matière d’immigration, il refuse les quotas de réfugiés que Bruxelles souhaite imposer à chaque Etat et veut renvoyer chez eux les immigrants économiques extra-européens.

Des pouvoirs limités

Les pouvoirs du président de la République sont limités selon la Constitution tchèque. Mais son poids politique n’est pas négligeable. Le souvenir de Thomas Masaryk, qui fut le premier président en 1918, et de Vaclav Havel, titulaire du poste après la Révolution de velours de 1989, deux personnalités très estimées, a accru le prestige de la fonction. Milos Zeman a lui-même contribué à renforcer le rôle du président.
Toutefois le premier ministre reste le véritable chef de l’exécutif. L’homme fort du pays est donc Andrej Babis, dont le parti, ANO (Action des citoyens mécontents et « oui » en tchèque), a gagné les élections législatives d’octobre. Nommé premier ministre par Milos Zeman, il n’a pu obtenir la confiance du Parlement, faute de majorité, mais le président de la République n’a pas renoncé à le proposer une deuxième fois s’il parvient à mettre sur pied une coalition. Andrej Babis, un homme d’affaires devenu milliardaire, partage notamment les critiques de Milos Zeman contre l’Union européenne et contre l’immigration. Il est, comme lui, une figure du populisme européen.