Epreuve de force au Venezuela

Le Venezuela est une fois de plus le théâtre d’une vive bataille pour le pouvoir entre les héritiers de l’ancien président Hugo Chavez, rassemblés derrière son successeur, Nicolas Maduro, et les adversaires du régime, qui dénoncent sa dérive dictatoriale. Chacun des deux camps conteste la légitimité de l’autre alors que le pays sombre dans le chaos sous l’effet d’une crise économique de première ampleur qui a contraint à l’exil plus de deux millions de personnes. L’escalade est encore montée d’un cran dans l’affrontement institutionnel. En 2015 Nicolas Maduro avait ouvert les hostilités en refusant de reconnaître les décisions de l’Assemblée nationale, dominée par l’opposition. Deux ans plus tard, il créait une Assemblée constituante à sa main avant d’être réélu à la présidence de la République, en 2018, dans des conditions jugées irrégulières par une partie de la communauté internationale.

A ces coups de force contraires à toutes les règles de la démocratie vient de répondre, le 23 janvier, au terme de nombreuses manifestations de rue souvent meurtrières, celui de Juan Guaido, président de l’Assemblée nationale, qui s’est proclamé président par intérim en promettant d’organiser de nouvelles élections. Voici donc le Venezuela doté de deux présidents en concurrence en même temps que de deux assemblées législatives. D’un côté, l’ancien chauffeur de bus puis dirigeant syndical Nicolas Maduro, 56 ans, ex-bras droit d’Hugo Chavez dont il fut notamment le ministre des affaires étrangères puis le vice-président avant de lui succéder, à sa mort, en 2013. De l’autre, un jeune député inconnu, Juan Guaido, 36 ans, élu président de l’Assemblée nationale au début de l’année et devenu en quelques semaines le chef de l’opposition avant de se déclarer président de la République.

L’appui de l’armée, un enjeu crucial

L’épreuve de force est engagée entre les deux camps, qui comptent leurs soutiens. D’un côté comme de l’autre, l’appui de l’armée est un enjeu crucial. Une première rébellion a été rapidement matée. Le ministre de la défense, Vladimir Padrino, a assuré le président de la loyauté des militaires. « Nous, soldats de la patrie, nous n’acceptons pas un président imposé à l’ombre d’intérêts obscurs et autoproclamé en marge de la loi », a-t-il écrit sur son compte Twitter. Pour tenter de convaincre ceux qui voudraient le rejoindre, Juan Guaido a promis une loi d’amnistie. Il multiplie les efforts pour faire basculer l’armée dans son camp. Il compte notamment sur une vaste mobilisation de ses partisans « pour exiger des forces armées qu’elles se mettent du côté du peuple ». La difficulté pour le président auto-proclamé est que les militaires sont étroitement associés au pouvoir de Nicolas Maduro, mais il veut croire que rien n’est encore joué.

L’autre facteur qui peut être décisif sera l’attitude de la communauté internationale. Juan Guaido a aussitôt reçu l’appui des Etats-Unis, ce qui peut apparaître comme une arme à double tranchant. L’intervention de Washington peut en effet aider à la recherche d’une solution pacifique, mais elle risque aussi d’être mal reçue dans un continent qui n’a pas oublié les vieilles méthodes de l’impérialisme américain et où l’anti-américanisme reste vif. De nombreux gouvernements d’Amérique latine, dont celui du Brésil, dirigé par le sulfureux Jair Bolsonaro, ont fait part de leur soutien.

Plusieurs Etats européens se sont également dits prêts à reconnaître le nouveau président. Six d’entre eux (l’Allemagne, la France, la Grande-Bretagne, les Pays-Bas, l’Espagne et le Portugal) ont adressé un ultimatum à Nicolas Maduro par lequel ils exigent l’organisation d’une nouvelle élection. Emmanuel Macron n’a pas hésité à saluer le « courage » de tous ceux « qui marchent pour la liberté ». « L’Europe, a-t-il dit, soutient la restauration de la démocratie ». Si Juan Guaido l’a remercié « pour sa prise de position forte », le chef de la diplomatie vénézuélienne l’a invité à s’occuper de ses propres affaires…

Au-delà des invectives traditionnelles entre les défenseurs des régimes illibéraux, voire dictatoriaux, et les partisans de la démocratie, et malgré la méfiance qu’inspirent Donald Trump aussi bien que Jair Bolsonaro, l’appel au verdict des urnes paraît la bonne solution pour apaiser les tensions et préparer l’avenir. Si la tentation de la violence reste forte, il faut se réjouir qu’elle ne l’ait pas encore emporté, malgré une sévère répression. De part et d’autre s’exprime une volonté de retour à la paix. Des tentatives de médiation se mettent en place. Le dialogue reste possible. Le Venezuela est profondément divisé entre ceux qui continuent de soutenir Nicolas Maduro, en dépit de son comportement d’autocrate et surtout de la ruine du pays, dont il est largement responsable, et ceux qui demandent son départ. Aux électeurs de trancher, à condition que le scrutin soit libre et régulier.