Comme on s’y attendait à la lecture des enquêtes d’opinion, deux personnalités ont marqué, chacune à sa façon, le scrutin législatif du 28 avril en Espagne. D’un côté, Pedro Sanchez, 47 ans, économiste, chef du gouvernement sortant, l’homme qui a reconquis la direction du Parti socialiste,dont il est redevenu en 2017 le secrétaire général après avoir été mis sur la touche par ses pairs, qui a ensuite écarté du pouvoir en 2018 le premier ministre conservateur Mariano Rajoy en faisant voter contre lui une motion de censure et qui vient de conduire les socialistes à la victoire en récupérant une partie des électeurs partis vers d’autres formations surgies récemment sur la scène politique telles que Podemos ou Ciudadanos.
De l’autre côté, Santiago Abascal, 43 ans, sociologue, chef du parti d’extrême-droite Vox, bruyant pourfendeur des séparatistes « qui veulent casser ce que nous avons de précieux : la patrie », des « féministes radicales », des « cosmopolites », des islamistes « qui veulent imposer la charia ».Il est devenu depuis sa percée en Andalousie il y a quelques mois un acteur-clé du jeu politique, en exploitant la colère suscitée par la tentative de sécession de la Catalogne en 2017 et en entretenant une diffuse nostalgie du franquisme près de 45 ans après la mort de l’ancien chef de l’Etat.
L’exemple finlandais
Le vote du 28 avril les conforte l’un et l’autre dans leurs ambitions. Avec 28,7 % des voix, le Parti socialiste redonne espoir à la gauche, même s’il n’est pas encore certain de pouvoir gouverner, faute de majorité, tandis que la montée de Vox (10,2 % des suffrages) s’inscrit dans la progression des populismes en Europe. Ce cas de figure reproduit en partie ce qui s’est passé deux semaines plus tôt en Finlande, où les sociaux-démocrates ont gagné les élections, mais où les bons résultats de l’extrême-droite ont rendu difficile la formation d’une majorité. En Espagne également, les socialistes sont arrivés en tête sans être assurés de pouvoir constituer une coalition alors que le parti populiste, porté par une vague nationaliste, fait son entrée au Parlement.
Toutefois la différence entre les deux pays est qu’à Helsinki les « Vrais Finlandais », comme s’appellent les populistes, ont talonné les sociaux-démocrates et rendu théoriquement possible une majorité unissant la droite à l’extrême-droite. A Madrid, au contraire, la droite n’est pas en mesure de revendiquer la direction du gouvernement. Si le Parti populaire (66 sièges) et Ciudadanos (57 sièges) choisissaient de s’allier à Vox (24 sièges), il leur manquerait encore une trentaine de sièges pour franchir le seuil de la majorité (176 sièges). En revanche, les socialistes (123 sièges) et leurs alliés de Podemos (42 sièges) ne sont qu’à une dizaine de sièges de ce seuil.
La logique voudrait donc que les socialistes se tournent vers les petits partis régionalistes ou indépendantistes pour combler leur déficit. Les régionalistes basques y semblent prêts, une partie des indépendantistes catalans aussi. Mais d’autres configurations sont possibles. Des négociations qui vont s’engager dépendra le sort de Pedro Sanchez, qui a déjà réussi à redresser l’image du Parti socialiste en l’ancrant résolument à gauche et en menant à vive allure, depuis son accession à la tête du gouvernement, une politique plus sociale. Mais la question territoriale, illustrée par la crise catalane, reste l’enjeu majeur.
« Nous sommes fiers d’être espagnols »
C’est l’indépendantisme catalan qui a renforcé le nationalisme espagnol dont se réclame Vox. « Nous sommes fiers d’être espagnols », a lancé Santiago Abascal pendant la campagne en fustigeant les sécessionnistes. « Vox a été le seul à se lever véritablement contre les séparatistes », a renchéri son vice-président, Ivan Espinosa de los Monteros. Pedro Sanchez ne soutient pas les revendications indépendantistes mais il se dit ouvert au dialogue et partisan d’un nouveau statut d’autonomie. Les indépendantistes vont se saisir de l’occasion pour exiger des contreparties importantes à leur soutien. S’ils font monter les enchères en posant des conditions jugées inacceptables par les socialistes, un blocage n’est pas impossible, qui conduirait à de nouvelles élections. Mais ils pourraient aussi se saisir de l’occasion pour chercher, en négociant avec Pedro Sanchez, une solution à la crise catalane.