Exclusions et démissions au PEN Club de Russie

La section russe du PEN Club, l’organisation internationale des écrivains, est en crise. Une trentaine de membres l’ont quittée après que la direction, présidée par Evgueni Popov, eut exclu à vie le journaliste et essayiste SergueÏ Parkhomenko, pour « activité provocatrice » dans le but « d’essayer de détruire l’organisation ». Avec une soixantaine de membres du PEN Club Sergueï Parkhomenko avait signé « à titre individuel » une pétition en faveur du cinéaste ukrainien Oleg Sentsov, arrêté en Crimée et condamné en Russie à vingt ans de prison pour « complot terroriste ».

"Dernière adresse" appose des plaques commémoratives sur les immeubles

Les protestataires n’hésitent pas à comparer l’attitude du comité directeur du PEN Club russe avec les mœurs et les discours de l’Union des écrivains du temps de l’URSS. « Activité provocatrice », « forces étrangères », pratique scissionniste destinée à détruire l’organisation, les intellectuels russes se sentent ramenés plusieurs décennies en arrière. L’exclusion des mal-pensants était aussi une des fonctions de l’Union des écrivains, créée par Staline dans les années 1930, pour discipliner les auteurs et leur accorder en retour quelques privilèges. Des grands noms de la littérature soviétique, comme Boris Pasternak ou Alexandre Soljenitsyne, et d’autres plus ou moins célèbres, ont subi les foudres des bureaucrates de l’écriture au service du Parti.

Des anciens dissidents

L’ironie de l’histoire veut que les auteurs de la répression d’aujourd’hui contre leurs collègues soient parfois d’anciens dissidents qui ont eu eux-mêmes à souffrir des oukases de l’Union des écrivains. Ainsi du romancier Evgueni Popov qui a succédé à Andreï Bitov, à la présidence du PEN Club de Russie. A la fin des années 1970, avec d’autres écrivains jeunes comme lui ou déjà célèbres comme Vassili Axionov, Popov avait participé à l’aventure de l’almanach Métropole, une tentative de publier à quelques exemplaires, sans passer par la censure, un recueil de textes, de poèmes, de chansons, qui n’étaient pas dans la ligne du réalisme socialiste toujours en vigueur.
Les auteurs de Métropole – l’almanach a été publié plus tard en français chez Gallimard —, ont été soit exclus de l’Union des écrivains quand ils en étaient membres, soit rayés de la liste des candidats quand ils attendaient d’être adoubés. Popov était dans ce cas. Quarante ans plus tard, devenu à son tour un de ces hiérarques qui peuvent décider de l’avenir de leurs semblables, Popov ne recule pas devant les méthodes employées jadis par « les ingénieurs des âmes en chef », pour reprendre le titre d’un livre de Cécile Vaissié sur les fonctionnaires soviétiques de la pensée.
Le prétexte de la crise : une pétition signée, « à titre personnel » par une soixantaine de membres du PEN Club et adressée à Vladimir Poutine, en faveur du cinéaste d’origine ukrainienne Oleg Sentsov, arrêté en Crimée et condamnée en Russie à vingt ans de détention. Sergueï Parkhomenko, qualifié « d’agitateur de Bolotnaya » — la place des plus grandes manifestations de 2011 contre le régime —, est accusé d’être l’instigateur de cette démarche qui nuirait à la réputation de l’organisation. Sergueï Parkhomenko est un collaborateur de la radio Echo de Moscou, un éditeur et blogueur, fondateur du site Dissernet qui lutte contre le plagiat, et animateur du réseau « Dernière adresse » qui perpétue sur les immeubles de Moscou le souvenir des victimes du communisme.
Le prix Nobel de littérature Svetlana Alexievitch, l’auteur satirique Vladimir Voïnovitch, qui eut jadis maille à partir avec la censure soviétique, Loudmila Oulitskaïa, prix Médicis étranger en 1996, ont quitté le PEN Club en signe de protestation contre l’exclusion de Sergueï Parkhomenko et de deux autres membres. Quelque quatre-vingts ont demandé leur réintégration.

Ne pas déplaire eu Kremlin

La direction du PEN Club russe a publié de son côté une « déclaration » dans laquelle elle demande une « amélioration des conditions » [de détention] d’Oleg Sentsov et la même chose pour « les citoyens russes dans les prisons ukrainiennes. Une démarche balancée pour ne pas s’exposer aux critiques du PEN Club international dont la vocation est de défendre la liberté d’expression et pour ne pas déplaire au Kremlin. Tout le monde en convient, la situation s’est radicalement aggravée en Russie en 2014 à la suite de l’annexion de la Crimée et de la guerre en Ukraine, des tabous qui ne peuvent être brisés sans conséquences.
Selon l’écrivain Viktor Erofeiev (La Belle de Moscou, Ce bon Staline), un des auteurs de Métropole avec Evgueni Popov, qui n’a pas pris parti dans cette querelle, le souci du président de la section russe du PEN Club est de ne pas donner au Kremlin un prétexte pour que son comité soit déclaré « agent de l’étranger », en fonction de la loi qui permet de fermer toutes les ONG ayant des liens avec l’extérieur.
Erofeiev renvoie dos à dos « les opposants intransigeants et les écrivains qui se placent sous le parapluie du Kremlin ». Un compromis était peut-être envisageable mais il était d’autant plus difficile que le différend oppose des anciens compagnons de route qui se sont parfois battus ensemble contre le pouvoir soviétique et dont les routes se sont séparées après la chute du communisme.
Evgueni Popov veut sauver le PEN Club et sa présidence mais dans cette bataille de chiffonniers où les insultes volaient bas de part et d’autre, la victime c’est le PEN Club. « Le PEN russe est mort, dit Erofeiev, comme organisation de défense des droits et d’une vraie critique du pouvoir. »