Faut-il « comprendre » Poutine ?

Alors que le cessez-le-feu décidé dans l’est de l’Ukraine par le président Porochenko a du mal à se mettre en place, l’Union européenne continue de discuter de l’attitude à adopter vis-à-vis de la Russie. A son habitude, Vladimir Poutine souffle le chaud et le froid. Il déclare soutenir la proposition de cessez-le-feu mais masse des troupes à la frontière ukrainienne. Il se prononce pour le dialogue mais ne semble pas exercer de pressions efficaces sur les séparatistes prorusses pour qu’ils déposent les armes. En Europe, l’isolement du président russe a été de courte durée. Si la présence de Vladimir Poutine le 6 juin en Normandie s’expliquait par des raisons historiques, il effectue le mardi 24 juin une brève visite officielle en Autriche. Dans ce pays, comme en Allemagne, les « Putin-Versteher » – ceux qui comprennent Poutine – sont très nombreux.

Un mot allemand a fait une apparition récente dans le vocabulaire anglo-saxon : « Putin-Versteher ». Mot à mot « ceux qui comprennent Poutine ». Qui expliquent sinon justifient l’annexion de la Crimée par la Russie, la déstabilisation du gouvernement de Kiev par un soutien aux séparatistes prorusses de l’est de l’Ukraine et la politique anti-occidentale menée par le président russe au nom de la restauration de la grandeur russe.
Plusieurs raisons peuvent être avancées pour cette indulgence dont bénéficie Vladimir Poutine dans des milieux allant de l’extrême-droite à l’extrême-gauche, en passant par les souverainistes et les milieux d’affaires.

Contre la pensée unique

La critique de la politique Poutine qui est assez répandue dans la presse européenne et américaine, est assimilée à la « pensée unique ». Il est de bon ton de se rebeller contre ce que pensent les « élites », intellectuelles ou journalistiques. La fréquentation d’Internet donne accès à des informations ou supposées telles qui permettent de contredire ce qui est lu et entendu dans les médias de masse. Le scepticisme est accru par la propagande du Kremlin qui ne s’embarrasse pas de nuances et à laquelle, paradoxalement, certains accordent plus de crédit qu’aux reportages et enquêtes de la presse occidentale.

Le réflexe anti-américain

Moscou n’est plus la référence pour une partie de l’opinion européenne qui se sentait proche du Parti communiste. Elle est plutôt devenue un terrain de manœuvre pour le capitalisme sauvage. Il n’en reste pas moins qu’elle représente un contrepoids aux Etats-Unis. La politique de Vladimir Poutine s’oppose à la stratégie américaine et cette opposition est saluée au nom du principe « l’ennemi de notre ennemi est notre ami ».
La critique du « deux poids, deux mesures » reçoit un écho favorable. Si les Américains sont intervenus en Irak sans mandat des Nations unies, pourquoi ferait-on grief à la Russie d’avoir annexé la Crimée sans autre forme de procès ? De même, les Occidentaux sont intervenus au Kosovo sans légitimation internationale, offrant aux Russes un prétexte pour détacher l’Ossétie du sud et l’Abkhazie de la Géorgie en 2008 et pour s’emparer de la Crimée en 2014.

Les inquiétudes économiques

Les relations commerciales entre l’Union européenne et la Russie sont dix fois plus importantes que celles entre les Etats-Unis et la Russie. Conclusion : les Américains peuvent se permettre de décider des sanctions économiques contre Moscou sans être pénalisés. Ce n’est pas le cas des Européens. L’UE dépend à plus de 50% du gaz russe pour son approvisionnement énergétique et ce pourcentage atteint 100% dans certains pays membres. Aussi les dirigeants de l’UE ont-ils pris soin de limiter les sanctions européennes à des personnalités plus ou moins proches du président Poutine sans toucher aux entreprises russes elles-mêmes pour ne pas toucher aux intérêts de firmes européennes implantées en Russie. Comme le dit le président français de Total : business as usual. La France se distingue d’ailleurs en continuant à honorer le contrat pour la livraison de deux bâtiments de guerre de type Mistral à la marine russe.

Des salariés de Moscou

Petit appendice aux relations économiques qui n’est pas sans importance : le pouvoir russe s’est attaché les services de quelques personnalités européennes qui sont payées par des sociétés russes, notamment Gazprom, afin de faciliter les échanges entre la Russie et les membres de l’UE. On comprend que ces personnalités aient tout intérêt à défendre la politique de Poutine. L’exemple presque caricatural est celui de Gerhard Schröder qui, à peine sorti de la chancellerie fédérale à Berlin, devenait un employé de Gazprom.

L’équilibre stratégique

Les Etats-Unis sont loin, la Russie est proche. Tel est le raisonnement de ceux qui « comprennent » les préoccupations stratégiques de Vladimir Poutine. La Russie est européenne, pas les Etats-Unis. C’est avec elle qu’il faut s’entendre et grâce à ce partenariat l’Europe pourra jouer un rôle sur la scène internationale. La Russie est l’hinterland de l’UE et son réservoir de matières premières et énergétiques. Si la Russie se sent encerclée par l’OTAN, elle se tournera vers la Chine, aux dépens de l’Europe.

La proximité comme menace

Les Etats membres de l’Union européenne ne ressentent pas uniformément la menace que la stratégie russe fait peser sur la stabilité du Vieux continent. La proximité ou l’éloignement géographique est déterminant. Ainsi que l’histoire. Les pays qui sont proches de la Russie et qui parfois ont été intégrés dans l’Union soviétique ou dans le bloc communiste après la Deuxième guerre mondiale sont plus sensibles aux manœuvres de Poutine que les Etats d’Europe occidentale. Placés en première ligne, ils sont en général partisans d’une attitude plus ferme vis-à-vis de Moscou.
Toutefois, les craintes que leur inspire l’activisme de la Russie dans son « étranger proche » les poussent aussi à composer et à se montrer « compréhensifs » afin de ne pas s’exposer à des représailles de la part de leur grand voisin.

La nostalgie de l’homme fort

Poutine a rogné bien des conquêtes libérales de l’après-communisme, mais une idée reçue veut que les Russes qui n’ont jamais connu la démocratie, ont besoin d’un pouvoir fort. Et d’ailleurs la popularité de Poutine n’est-elle pas à son zénith ? Dans une Europe où beaucoup de pays connaissent une crise des institutions démocratiques, le chef du Kremlin représente le type de dirigeant autoritaire mais décidé, capable de défendre les valeurs traditionnelles dont les nostalgiques ne se recrutent pas seulement à l’extrême-droite.