La mort d’Helmut Kohl, « le chancelier de l’unité allemande »

Chef du gouvernement allemand de 1982 à 1998, Helmut Kohl est mort, le vendredi 16 juin, dans sa maison d’Oggersheim, près de Ludwigshafen. Il était âgé de 87 ans. Après l’ouverture du mur de Berlin le 9 novembre 1989, il a négocié avec les quatre puissances victorieuses du IIIème Reich la réunification de l’Allemagne. Victime d’une chute et d’un accident vasculaire cérébral en 2008, il n’apparaissait que plus rarement en public.

Helmut Kohl en février 1990
Der Spiegel

Grandeur et décadence de l’homme d’Etat. La vie d’Helmut Kohl aura illustré parfaitement l’adage. Il avait commencé sa carrière comme un politicien de province. Peu de ses collègues et peu d’observateurs lui accordaient un destin international quand il est arrivé au pouvoir en 1982.
Pendant ses seize ans à la chancellerie, il a pourtant donné toute la mesure de ses qualités de tacticien qui lui permirent d’écarter tous ses rivaux. Mais il sut aussi saisir son destin au moment de la chute du mur de Berlin. Pour mériter le titre de « chancelier de l’unité » qu’avait porté Bismarck avant lui en 1871. Contrairement au « chancelier de fer », Helmut Kohl a réunifié l’Allemagne sans guerre, en bonne intelligence avec ses voisins.

Sauvé par la chute du Mur

En 1989 sa situation était précaire. Son pouvoir était contesté et ses amis chrétiens-démocrates craignaient la perspective des élections prévues en 1991. Ils le pressaient de céder sa place à Wolfgang Schäuble, alors ministre de l’intérieur, qui faisait figure de dauphin. Helmut Kohl a été sauvé par la révolte populaire en Allemagne de l’Est. Son art de la politique qu’amis comme adversaires avaient sous-estimé lui permit de se hisser à la hauteur du statut d’homme d’Etat. Il a saisi l’occasion qui se présentait d’écrire l’Histoire.
Avant 1989, Helmut Kohl était comme la grande majorité des chrétiens-démocrates. Dans ses discours, il n’omettait jamais de revendiquer la fin de la division qui coupait l’Allemagne en deux depuis 1949, entre la République fédérale à l’ouest et la République démocratique à l’est. Mais peu croyaient vraiment que l’Union soviétique abandonnerait un jour ses vassaux est-européens et autoriserait la création d’une Allemagne réunifiée au centre du Vieux continent. Ils y voyaient même un avantage que Kohl lui-même avait ainsi formulé : il faut protéger les Allemands contre eux-mêmes. La division était une garantie contre la tentation de la folie des grandeurs.

L’occasion Gorbatchev

L’arrivée de Mikhaïl Gorbatchev au pouvoir au Kremlin libéra les énergies dans les démocraties dites populaires de l’Europe de l’Est. Après la Pologne et la Hongrie, les Allemands de l’Est saisirent l’occasion de réclamer la fin des vieux apparatchiks, la démocratisation de la RDA et la liberté de circulation entre les deux Etats allemands. La réunification ne faisait pas partie de leurs premières revendications. « Wir sind das Volk », criaient les manifestants de Berlin-Est, de Leipzig ou de Dresde.

Helmut Kohl eut l’intelligence de ne pas précipiter les événements tout en mettant en œuvre une stratégie conduisant à la réunification. Il proposa d’abord un « programme en dix points pour le dépassement de la division de l’Allemagne et de l’Europe ». Il n’en avait parlé à personne, pas même à son allié Hans-Dietrich Genscher, ministre des affaires étrangères et chef du parti libéral. Ni à François Mitterrand avec lequel il avait pourtant au fil des ans développé une relation de confiance. Le président français s’en trouva « ulcéré ».

Dans son « programme », le chancelier ne prônait pas directement la réunification de l’Allemagne. Il voulait procéder étape par étape avec une confédération comme point d’aboutissement. La dégradation de la situation économique en RDA accéléra le mouvement qu’Helmut Kohl alimenta de son côté. Avant une de ses visites à Dresde, les jeunes chrétiens démocrates de l’Ouest distribuèrent des tracts proclamant « Wir sind ein Volk » (Nous sommes UN peuple). La revendication passait de la démocratie à l’unité.

L’euro contre l’unification

Restait à faire accepter ce qui paraissait impensable quelques mois plus tôt aux quatre puissances victorieuses de l’Allemagne nazie qui exerçaient encore une forme de tutelle sur le pays. Helmut Kohl réussit à convaincre Mikhaïl Gorbatchev, George Bush (le père) François Mitterrand, et Margaret Thatcher. Les deux derniers furent les interlocuteurs les plus coriaces. La première ministre britannique était animée d’un antigermanisme viscéral, le président français habité par la crainte d’une hégémonie économique allemande. Face aux réticences de Paris, Kohl sacrifia le deutschemark sur l’autel de l’unité.
Au Conseil européen de Strasbourg en décembre 1989, il donna son feu vert à la création de l’euro. « Contre les intérêts de l’Allemagne », avouera-t-il plus tard à James Baker, le secrétaire d’Etat américain. Européen militant depuis sa jeunesse, il militait pour une Allemagne européenne, en refusant une Europe allemande.
Les démocrates chrétiens gagnèrent les premières élections libres en Allemagne de l’Est, en mars 1990, et triomphèrent aux élections générales dans l’Allemagne réunifiée, le 3 octobre suivant.
Helmut Kohl entrait dans l’Histoire. Il avait aussi sauvé son pouvoir pour sept années supplémentaires. En 1998, il décida ce que beaucoup considéraient comme « la candidature de trop ». Les démocrates chrétiens et leurs alliés libéraux perdirent le pouvoir au profit de la coalition entre les sociaux-démocrates et les Verts menée par Gerhard Schröder.

Les tragédies de la vieillesse

C’était le début de la fin. Les années suivantes furent marquées par les scandales, les drames personnels et la maladie. L’affaire des caisses noires de la CDU a entaché sa réputation. Le parti avait reçu jusqu’à 2 millions de DM (1 million d’euros) de dons illégaux de généreux donateurs dont Kohl se refusa toujours a donner les noms bien que la loi l’y obligea. Secrétaire générale de la CDU, Angela Merkel profita de cette affaire pour se débarrasser de l’embarrassante ombre tutélaire de celui qui l’avait fait entrer en politique. Si elle gagne les élections le 24 septembre, elle pourrait passer dix-sept ans à la chancellerie, en battant d’un an le record d’Helmut Kohl… et de Bismarck.
Le suicide de sa femme, Hannelore, en 2001 et la rupture avec ses fils, puis son remariage avec Maike Richter, sa cadette de trente-cinq ans, ont terni les dernières années d’Helmut Kohl Depuis 2009, il ne pouvait se déplacer qu’en chaise roulante et avait des difficultés d’élocution qui l’empêchait de s’exprimer en public. En avril, il venait de gagner un procès contre son propre biographe, Heribert Schwan, auquel il avait accordé 600 heures d’entretiens au début des années 2000. Naufrage de la vieillesse pour celui qui avait été surnommé « le géant noir du Palatinat ».