Hillary Clinton face aux défis du pouvoir

Les experts donnent Hillary Clinton gagnante de l’élection présidentielle du 8 novembre, au terme d’une longue campagne qui a vu l’émergence de l’énigmatique Donald Tromp sur sa droite et celle de l’inattendu Bernie Sanders sur sa gauche. Au CERI (Centre de recherches internationales de Sciences Po), Denis Lacorne, directeur de recherche, dialoguait le 25 octobre avec Alexandra de Hoop Scheffer, directrice du bureau parisien du German Marshall Fund, et Frances Negron-Muntaner, professeure à l’Université Columbia. L’Institut Diderot recevait le 27 octobre Thomas Snégaroff, directeur de recherche à l’IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques).
La nouvelle présidente devra tenter de réunifier un pays divisé dont une partie de la population exprime sa peur de la mondialisation et se laisse gagner par le populisme. En politique étrangère, l’ancienne secrétaire d’Etat sera probablement plus interventionniste que Barack Obama. On attend d’elle notamment qu’elle se montre plus ferme à l’égard de Vladimir Poutine.

Hillary Clinton
Bloomberg

A l’approche de l’élection présidentielle américaine, les centres de recherche multiplient les rencontres et les échanges de vue pour réfléchir sur l’après-Obama et sur la manière dont le nouveau président, qui sera élu le 8 novembre et entrera en fonction le 20 janvier, abordera les grandes questions de politique intérieure et extérieure héritées de son prédécesseur.
Au CERI et à l’Institut Diderot, les experts se sont interrogés sur les lendemains du scrutin qui conclura une campagne rude et parfois violente, marquée par l’émergence, du côté républicain, de l’imprévisible Donald Trump et par la longue bataille, du côté démocrate, entre la favorite, Hillary Clinton, et son principal rival, l’inattendu Bernie Sanders. Quelles seront les conséquences de ces affrontements sur l’action future du chef de l’Etat ? Comment le nouvel hôte de la Maison-Blanche répondra-t-il aux diverses formes de contestation qui se sont exprimées pendant la campagne et qui ont justifié la promesse du candidat républicain de « rendre à l’Amérique sa grandeur » ?

Un courant xénophobe

Donald Trump a surgi sur la scène politique en éliminant un à un tous ses concurrents républicains mais nul ne pense qu’il s’apprête à entrer à la Maison-Blanche. « Il est possible d’affirmer aujourd’hui, sans prendre de grand risque, que Hillary Clinton a déjà gagné les élections de novembre 2016 », déclare Denis Lacorne. D’abord parce que tous les sondages la disent gagnante. Ensuite parce qu’elle est sortie victorieuse des trois débats télévisés qui l’opposaient à son adversaire, ce qui est rare dans l’histoire des campagnes présidentielles. Enfin et surtout parce que la popularité de Donald Trump n’a cessé de baisser depuis sa désignation par la Convention républicaine.

Le candidat républicain s’est imposé pendant la phase des primaires par son expérience de la téléréalité, qui favorise les affirmations à l’emporte-pièce et les petites phrases assassines, mais face à Hillary Clinton son impréparation et son incompétence ont sauté aux yeux. Il n’en reste pas moins qu’un large groupe d’électeurs républicains continue de lui faire confiance, réactivant un courant xénophobe qui n’est pas nouveau au sein du Parti républicain. Donald Trump a su capter, selon Thomas Snégaroff, la colère d’une partie de la population, celle des « expulsés de la mondialisation » qui craignent un « déclassement culturel » et incarnent un populisme dont les électeurs de Bernie Sanders représentent une autre expression. Ces laissés pour compte de la globalisation se sont tournés, selon Denis Lacorne, vers celui qui leur est apparu « comme un héros qui rejette la tradition », qui dénonce « les combines du pouvoir en place » et qui fustige « l’establishment républicain et les financiers de Wall Street ».

Les nominations à la Cour suprême

Que peut-on attendre d’Hillary Clinton si on considère sa victoire comme acquise ? Comme le rappelle Denis Lacorne, l’ancienne première dame a été perçue, en raison de son passé de sénatrice, puis de secrétaire d’Etat, comme « une sortante » marquée par l’usure du pouvoir et suscitant peu d’enthousiasme. Elle aura besoin d’actes forts pour affirmer son autorité. Sa marge de manœuvre dépendra beaucoup du résultat des élections législatives qui pourraient lui assurer une légère majorité au Sénat mais non à la Chambre des représentants. Elle tentera de réunifier le pays. Le fera-t-elle en nommant des républicains à des postes importants de son gouvernement ? C’est une possibilité. Mais il lui faudra conserver aussi le soutien des partisans de Bernie Sanders. L’équilibre ne sera pas facile à trouver entre les uns et les autres. Un autre dossier sensible sera celui de la nomination des juges de la Cour suprême. Un siège est vacant, un ou deux autres pourront l’être pendant la durée de son mandat. Le choix ne sera pas sans conséquence sur une question aussi controversée que celle de l’avortement.

En politique étrangère, que restera-t-il de la doctrine Obama ? Les deux postulants s’opposent nettement sur le sujet. Hillary Clinton serait, dit-on, plus interventionniste tandis que Donald Trump accélérerait le repli stratégique entamé par Obama. L’une serait ainsi une « Obama-plus », l’autre un « Obama-moins ». Toutefois, Alexandra de Hoop Scheffer ne croit ni à un retour à un interventionnisme façon George W. Bush ni à un nouvel isolationnisme. D’après elle, « Hillary Clinton présidente replacerait la relation transatlantique au premier plan et l’OTAN comme alliance de premier choix, tout en continuant à demander aux alliés européens de contribuer davantage, notamment en matière de défense ». Mais comme l’Europe, pour diverses raisons, ne semble pas prête à répondre aux demandes de Washington, « on peut s’attendre à de nouvelles tensions entre les partenaires transatlantiques ».

Le cas de Vladimir Poutine

Le dossier le plus urgent, selon Alexandra de Hoop Scheffer, est celui de la Russie. Poutine, note-t-elle, était en quelque sorte le troisième invité du débat de politique étrangère entre Hillary Clinton et Donald Trump. Thomas Snégaroff s’attend à un discours « plus musclé » de la futur présidente américaine à l’égard du président russe. Alexandra de Hoop Scheffer insiste sur la question des alliances qui sont, dit-elle, « la pièce maîtresse de la politique étrangère américaine ». Elle estime qu’en Syrie une approche coordonnée en amont entre l’Europe et les Etats-Unis aurait permis de peser différemment sur Vladimir Poutine.

« La future administration américaine devra donc revoir la manière dont elle coopère avec ses plus proches alliés » et « se diriger vers un partenariat moins asymétrique et plus collectif », dit-elle. Si les Européens sont capables de présenter une diplomatie crédible, on pourra passer d’un simple partage du fardeau (burden sharing) à un « co-leadership ». « Une méthodologie est à reconstruire », conclut-elle, en notant que cette idée est défendue par Wendy Sherman, ancienne sous-secrétaire d’Etat et proche collaboratrice d’Hillary Clinton, dont le nom est cité pour devenir la ministre des affaires étrangères de la future présidente.