Les dirigeants européens les plus attachés au renforcement de l’UE n’avaient pas tort de s’inquiéter, avant le vote du 4 mars, des résultats prévisibles des élections italiennes. Les deux grands gagnants du scrutin, le Mouvement 5 Etoiles et la Ligue (ex-Ligue du Nord), ne sont pas seulement des partis anti-système et anti-élites, ils sont aussi très critiques à l’égard de l’Union européenne, qu’ils rendent responsable des principales difficultés du pays et dont ils contestent la plupart des choix politiques.
Ces deux partis appartiennent clairement à la mouvance anti-européenne. Les élus de la Ligue au Parlement européen siègent aux côtés des représentants du Front national et les eurodéputés du Mouvement 5 Etoiles aux côtés de ceux du parti britannique UKIP (United Kingdom Independance Party), qui fut l’un des fers de lance du Brexit. Le succès de ces deux forces, dont la démarche est représentative de la vague populiste qui affecte tous les pays européens et dont l’orientation est ouvertement eurosceptique, voire europhobe, n’est pas une bonne nouvelle pour l’Europe.
Le Mouvement 5 Etoiles premier parti d’Italie
Le Mouvement 5 Etoiles, avec environ 32% des suffrages, reste le premier parti d’Italie, qu’il est devenu en 2013 avec 25,50 % des voix. Sous l’impulsion de Beppe Grillo puis de son successeur, Luigi Di Maio, il a imposé en moins de dix ans (il a été fondé en 2009) son image de parti différent des autres, hors système, ouvert sur la démocratie directe et sur l’écologie politique, qui prétend être à la fois de droite et de gauche. Les cinq étoiles de son nom symbolisent les cinq grands thèmes sur lesquels il entend se battre : l’eau, l’environnement, les transports, le développement et l’énergie.
La spectaculaire progression de La Ligue
Quant à la Ligue, avec environ 18% des suffrages, elle devance de quatre points son allié de la coalition de droite, Forza Italia, de Silvio Berlusconi. Son leader, Matteo Salvini, a su transformer un parti régionaliste du Nord, qui voulait rompre avec le reste de l’Italie, en un parti nationaliste présent sur l’ensemble du territoire, y compris dans le Sud, dont le slogan proclame désormais : « les Italiens d’abord ». Sa progression est spectaculaire : la Ligue du Nord avait obtenu environ 4% des voix en 2013. La voici aujourd’hui en position d’accéder au pouvoir.
Même s’ils ont modéré au cours de la campagne leur discours anti-européen et en particulier leurs diatribes contre l’euro, dont le rejet a cessé d’être pour eux une revendication prioritaire, les deux mouvements ont surfé sur la montée de l’euroscepticisme dans l’électorat. Les Italiens, qui étaient naguère parmi les plus europhiles des peuples européens, en sont venus à douter de l’Europe. Leur attachement à la monnaie unique, en particulier, est le plus faible des pays de la zone euro avec un taux de 45% d’approbation contre 58% dans le reste de la zone.
L’UE cible privilégiée des populismes
La crise économique de 2008 et l’afflux de migrants au cours des dernières années ont été les deux facteurs déterminants. Une majorité d’Italiens considèrent que l’Union européenne est largement responsable du chômage qui frappe notamment les jeunes (33% des moins de 25 ans sont sans travail) et qu’elle les a laissés tomber face à la pression migratoire. Les deux partis populistes ont su exploiter ce sentiment de défiance, voire d’hostilité, qui a fait de l’Union européenne une cible privilégiée. Le quotidien turinois La Stampa peut ainsi titrer son éditorial : « Le résultat qui fait peur à l’Europe » et Le Monde évoquer « le scénario du pire ».
Quel sera le gouvernement issu de ces élections ? Au lendemain du scrutin, la confusion est totale. « Che Bordello », titre rudement le quotidien romain Il Tempo. Les pro-Européens sont les grands perdants. Le Parti démocrate, de Matteo Renzi et Paolo Gentiloni, chef du gouvernement sortant, semble pour le moment hors-jeu. Avec 19% des voix, il recule de plus de six points par rapport à 2013. Cinq ans de pouvoir l’ont laissé exsangue, à l’image du Parti socialiste en France. Forza Italia, de Silvio Berlusconi, n’est pas non plus en position de force. L’ancien président du Conseil n’a pas réussi son retour. Avec 14% des voix, en recul de plus de sept points sur son score de 2013, il pèse peu désormais sur l’échiquier politique.
Quelle coalition pour demain ?
Il appartient au président de la République, l’habile Sergio Mattarella, de choisir celui qui sera chargé de former le gouvernement. Ce sera nécessairement un gouvernement de coalition. Mais quelle coalition ? Luigi Di Maio a fait savoir que son parti était prêt à discuter. Toutefois aucune des trois hypothèses envisageables - une alliance du Mouvement 5 Etoiles avec la gauche, avec Forza Italia ou avec La Ligue – ne paraît à ce jour concevable. Le pays est-il devenu ingouvernable, comme le redoutait Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, quelques jours avant le vote ?
Faisons confiance aux Italiens, dont le système partisan est plus souple que celui d’autres pays, pour trouver dans quelques semaines, une fois l’émotion retombée, une solution qui évite la rupture avec l’Union européenne. Et invitons celle-ci à réfléchir sur les raisons qui la rendent si impopulaire auprès d’une large partie de l’opinion et à chercher les moyens de regagner la confiance perdue.