L’Irlande du Nord dans l’impasse

Quatre mois après les élections législatives du 2 mars qui ont placé les deux grandes forces politiques d’Irlande du Nord – les unionistes et les nationalistes -presque à égalité, à un siège près, Belfast n’a toujours pas réussi à former un nouveau gouvernement. Les dissensions sont fortes entre les deux camps, qui s’accusent mutuellement d’être responsables de l’impasse actuelle. L’accord passé par Theresa May avec le principal parti unioniste pour renforcer sa majorité à la Chambre des communes complique encore la situation. Celle-ci est d’autant plus préoccupante que la question de la frontière entre la République d’Irlande et l’Irlande du Nord est l’un des enjeux de la négociation sur le Brexit.

Une affiche entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande
Vincent Collen/ Les Echos

Les négociations engagées en Irlande du Nord pour la formation d’un nouveau gouvernement sont dans l’impasse. Le secrétaire d’Etat pour l’Irlande du Nord, James Brokenshire, a repoussé plusieurs fois la date-limite pour parvenir à un accord. Désormais personne ne pense qu’une solution puisse être trouvée avant l’automne. Les unionistes et les nationalistes se renvoient mutuellement la responsabilité de cet échec, qui paralyse la gestion de la province. Les sujets de discorde sont nombreux entre les deux camps. Mais l’alliance conclue par Theresa May avec les unionistes pour s’assurer une fragile majorité à la Chambre des communes n’a pas facilité les relations entre les deux principaux partis, le DUP (Democratic Unionist Party) et le Sinn Féin. Elle a contribué à exacerber le conflit qui mine le gouvernement de la province.

L’Irlande du Nord est en effet gouvernée, depuis l’Accord du vendredi saint en 1998, par une coalition entre les unionistes, partisans du maintien de l’union avec la Grande-Bretagne, en majorité protestants, et les nationalistes, favorables à un rattachement à la République d’Irlande, en majorité catholiques. Or cette coalition a volé en éclats après la démission, en janvier 2017, du vice-premier ministre nationaliste, Martin McGuiness, et la tenue d’élections législatives anticipées qui ont donné un siège d’avance au Stormont, le Parlement d’Irlande du Nord, aux unionistes (40 sièges contre 39 aux nationalistes) et rendu particulièrement difficiles les pourparlers à venir.

Le contentieux est lourd entre les deux grands partis, dont les chefs de file, Arlene Foster pour le DUP et Michelle O’Neill (qui a remplacé Martin McGuiness, décédé) pour le Sinn Fein, ne se ménagent pas mutuellement. Il porte notamment sur la gestion d’une affaire de subventions aux énergies renouvelables, cause directe de la crise, Martin McGuiness ayant demandé en vain à Arlene Foster de se démettre de sa fonction de premier ministre pendant la durée de l’enquête. Mais beaucoup d’autres questions séparent les deux formations, en particulier celle du mariage homosexuel, défendu par les nationalistes et combattu par les unionistes, et celle du statut de la langue gaélique.

Un climat alourdi

La méfiance n’a cessé de s’accroître entre les deux camps, à mesure que les négociations pour la formation d’un nouveau gouvernement traînaient en longueur et que les dates-limites pour la conclusion d’un accord étaient successivement repoussées. Le soutien apporté à Theresa May par le DUP a encore alourdi le climat. Les nationalistes du Sinn Fein ont aussitôt accusé Arlene Foster de trahir les intérêts du peuple d’Irlande du Nord en se ralliant au programme d’austérité du gouvernement britannique et en soutenant, contre une majorité d’Irlandais du Nord, le Brexit. Les unionistes ont fait valoir, en retour, les avantages financiers (plus d’un milliard d’euros) obtenus de Londres en faveur de l’Irlande du Nord.

De part et d’autre, on juge préoccupante l’absence d’un gouvernement en Irlande du Nord au moment où s’engagent à Bruxelles les pourparlers sur le Brexit. On redoute que la voix de Belfast ne soit affaiblie par rapport à celle de Londres et qu’il soit plus difficile aux Irlandais du Nord de se faire entendre, alors même qu’un des premiers enjeux de la négociation est la question de la frontière entre la République d’Irlande, au Sud, et l’Irlande du Nord. Les nationalistes craignent que cette frontière ne soit rétablie si le Royaume-Uni quitte l’Union européenne, éloignant toute perspective d’une future réunification irlandaise. Ils pensent surtout que l’accord conclu entre Theresa May et le DUP d’Arlene Foster va faire perdre au gouvernement britannique la neutralité dont il est censé faire preuve dans les affaires d’Irlande du Nord.