L’Europe à la recherche d’un rebond incertain

La paralysie semble gagner l’Union européenne qui paraît incapable, crise après crise, de retrouver l’élan qui lui fait défaut depuis une bonne douzaine d’années. Le « non » du Royaume-Uni, en juin dernier, lui a porté un nouveau coup dur, qui l’oblige à chercher les moyens de se relancer. Pour le moment, on ne voit rien venir. Le rebond attendu est d’autant plus incertain que l’Allemagne et la France, les deux moteurs de l’UE, entrent toutes deux en campagne électorale dans un climat d’euroscepticisme persistant. La principale piste explorée par les Européens est celle d’un renforcement de la défense européenne mais de nombreuses divergences subsistent entre les Etats.

New York Times du 22 novembre 2016

D’une crise à l’autre, l’Union européenne semble s’enfoncer dans l’impuissance et le désarroi, comme si les épreuves auxquelles elle est confrontée devenaient de plus en plus insurmontables. François Fillon n’a pas tort d’évoquer, dans un de ses discours de campagne, une Europe « tétanisée », une Europe paralysée « par le manque de leadership et de vision ». Depuis une douzaine d’années, l’UE est gagnée par une asthénie croissante. Son épuisement explique qu’elle ait de plus en plus de mal à se remettre de ses échecs. Aujourd’hui, face aux vents contraires qui soufflent en rafales, elle paraît au mieux empêchée d’avancer, au pis menacée de sombrer.

Le Brexit, qui ébranle fortement l’UE et l’invite à se remettre en mouvement pour ne pas disparaître, n’est que la dernière en date des crises qui ont mis son existence en péril. Chaque fois, les Européens ont cherché les moyens de provoquer un sursaut afin de répondre au nouveau défi qui leur était proposé. Il fallait, pensaient-ils, profiter de l’occasion pour repartir de l’avant et rendre à l’Union européenne sa vigueur perdue. Mais le rebond n’a pas eu lieu, malgré les tentatives de réanimation, et l’Europe s’est affaiblie, alors même que les populismes et les nationalismes ne cessaient de la combattre.

Du référendum perdu de 2005…

La première alerte sérieuse a été en 2005 le rejet du projet de Constitution européenne. Auparavant, la création de l’euro puis l’adhésion des anciens pays communistes avaient suscité une certaine euphorie. L’élaboration du projet de Constitution européenne par la Convention sur l’avenir de l’Europe avait confirmé cette dynamique. Le non franco-néerlandais a douché les espoirs des europhiles. La machine européenne a commencé à s’enrayer. Pour tenter de la relancer, les Européens ont fait adopter par les Parlements, en France et aux Pays-Bas, les dispositions rejetées par les peuples. Un tour de passe-passe souvent perçu, notamment en France, comme un déni de démocratie. L’idée européenne en est sortie durablement affaiblie.

Second grave revers pour l’UE : la crise économique de 2008, qui a provoqué dans la plupart des pays européens récession et chômage. Sous l’impulsion d’Angela Merkel et de Nicolas Sarkozy, les Européens se sont difficilement mis d’accord sur des mesures qui impliquaient une plus grande intégration des économies des Etats membres, au nom de la nécessaire solidarité des pays de la zone euro. Mais la riposte n’a pas suffi à redonner à l’UE l’élan dont elle manquait ni à restaurer la confiance des citoyens. La croissance n’a pas été au rendez-vous. Les programmes d’austérité ont contribué à donner de l’Union européenne une image négative.

…à la crise des réfugiés

Troisième échec pour l’UE : la gestion calamiteuse de la question des réfugiés, qui a profondément divisé l’Europe et accru le discrédit de ses institutions, débordées par l’afflux des migrants. Après de nombreuses tergiversations, les gouvernements se sont entendus sur deux décisions : la répartition des demandeurs d’asile par quotas sur l’ensemble du territoire européen, aussitôt contestée par une partie des Etats membres, et la mise en place d’un corps de garde-frontières européens, encore embryonnaire. Une fois de plus, l’Europe a réagi avec retard, sans cap clair, sans volonté commune. Elle n’a pas été à la hauteur des enjeux.

Avec le Brexit, en juin 2016, un nouveau coup dur vient frapper une Europe anémiée. Les dirigeants européens se réunissent en urgence à Bratislava. Ils estiment que l’événement représente « un moment critique » pour le projet européen. Ils s’engagent à présenter dans les prochains mois « une vision d’une UE attrayante », capable de susciter la « confiance » et le « soutien » des citoyens. Ils affirment qu’ils ont la « volonté » et la « capacité » d’y parvenir. Pour le moment, rien n’est venu confirmer cette promesse. Aucune idée nouvelle n’a surgi pour donner à l’Union l’impulsion qui pourrait la relancer. La « refondation » de l’Europe attendra encore. Dans le climat actuel de mésentente entre les gouvernements sur la nature du projet européen et de méfiance persistante des opinions publiques, une avancée significative de l’Union européenne paraît improbable, alors même que ses deux moteurs principaux - l’Allemagne et la France - sont soumis en 2017 à des élections générales.

Pour une véritable « autonomie stratégique »

Il existe toutefois un domaine dans lequel les Européens semblent prêts à bouger, c’est celui de la défense. Les événements extérieurs donnent à cette question une actualité nouvelle. Le terrorisme venu du Moyen-Orient menace la sécurité de l’Europe, au moment où le nouveau président américain, Donald Trump, l’invite à compter d’abord sur ses propres forces plutôt que sur celles de son allié d’outre-Atlantique. Les dirigeants européens ont commencé à se mobiliser pour accélérer la mise en place d’une « Union de la défense ». Le sujet sera à l’ordre du jour du prochain Conseil européen, les 15 et 16 décembre. Les ministres européens des affaires étrangères et de la défense se sont mis d’accord, le 14 novembre, sur une « feuille de route » destinée à renforcer les capacités militaires de l’Union européenne et à développer son « autonomie stratégique ».

Des divergences subsistent, notamment sur la création éventuelle d’un quartier général européen et sur les relations d’une Europe de la défense avec l’OTAN. Mais les dirigeants français se disent confiants. Le ministre des affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault, affirme qu’une « étape très importante » a été franchie dans la recherche d’une meilleure coordination de l’action militaire. Le ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, estime qu’on est passé d’une Europe de la défense « déclaratoire » à une Europe de la défense « opératoire », qui se donne enfin les moyens d’assurer son financement. Ce n’est pas encore le grand bond en avant, mais c’est une voie possible vers une plus grande solidarité européenne.