L’UE au service de la justice sociale ?

Pour tenter de relancer l’Union, les chefs d’Etat et de gouvernement se disent prêts à renforcer l’Europe de la défense et de la sécurité. Ils estiment qu’une meilleure protection contre les menaces intérieures et extérieures est aujourd’hui l’une des principales attentes des citoyens. Une partie d’entre eux considère toutefois que la meilleure manière de rassurer les peuples est d’en finir avec les politiques d’austérité afin de réduire le chômage et de favoriser la croissance. Ils affirment que la justice sociale doit devenir la priorité de l’Union européenne. Dans son discours sur l’état de l’Union, Jean-Claude Juncker s’est fait l’écho de ces préoccupations.

Junker a prononcé le discours sur l’état de l’Union
pour.press

Face à la montée de l’euroscepticisme, la plupart des dirigeants européens répètent qu’il faut insuffler un nouvel élan à l’Union européenne pour convaincre les opinions publiques de son utilité. Depuis le vote britannique du 23 juin en faveur du Brexit, cette recommandation est devenue particulièrement pressante. Le moment semble donc venu de prouver que la volonté d’une relance existe bel et bien parmi les chefs d’Etat et de gouvernement, que les appels au renouveau et à la refondation ne sont pas seulement des paroles creuses, que des décisions sérieuses vont enfin suivre les belles proclamations. De ce point de vue, la rentrée de septembre a valeur de test pour l’Europe.
Comment concrétiser la nouvelle impulsion qui relancera l’Union européenne ? Pour les Vingt-Sept, l’accent doit être mis prioritairement sur la sécurité. En réponse à la menace terroriste, c’est en développant ses moyens de défense que l’Europe, pensent-ils, fera comprendre aux peuples du Vieux Continent la plus-value dont elle est porteuse. Le départ de la Grande-Bretagne, l’un des deux principaux acteurs, avec la France, d’une défense européenne en devenir, justifie, selon eux, une relance du projet.

Initiative franco-allemande

C’est notamment le sens de l’initiative prise par les ministres français et allemand de la défense. Jean-Yves Le Drian et Ursula von der Leyen, dont l’une des propositions les plus symboliques est la création d’un véritable quartier général européen chargé de coordonner d’éventuelles opérations militaires. En rendant plus visible et plus efficace la coopération européenne dans le domaine de la sécurité, l’Union européenne montrera ainsi à ses citoyens, estiment les Vingt-Sept, qu’elle est capable d’améliorer leur protection.
Toutefois les chefs d’Etat et de gouvernement savent bien que cette démarche ne suffira pas à vaincre les réserves, pour ne pas dire l’hostilité, d’une grande partie de la population à l’égard de la construction européenne. D’abord parce que le discours sur la sécurité n’est pas nouveau et que les progrès accomplis dans ce domaine au cours des dernières années restent faibles. Ensuite parce que des désaccords importants subsistent entre les pays et que le retrait de la Grande-Bretagne ne permettra pas de surmonter tous les blocages. Enfin parce que cette question relève, pour l’essentiel, de la responsabilité des Etats et que le rôle de l’Union européenne est secondaire.
Pour changer le visage de l’Europe, c’est d’abord sur le terrain économique – son principal domaine de compétence – qu’elle doit faire ses preuves. Aussi, parallèlement au discours sur la sécurité, la référence au « modèle social » européen, associé au retour de la croissance, revient au centre du projet communautaire.

La déclaration d’Athènes

Le coup d’envoi a été lancé, le 9 septembre à Athènes, à l’invitation d’Alexis Tsipras, par sept Etats proches ou riverains de la Méditerranée : la France, l’Italie, l’Espagne, le Portugal, la Grèce et les deux îles de Chypre et de Malte. Les Sept avaient choisi de faire bande à part pour préparer le sommet de Bratislava, qui réunira l’ensemble des Etats, à l’exception de la Grande-Bretagne, le 16 septembre. Ils se sont entendus pour appeler l’Europe à « tenir sa promesse de prospérité et de justice sociale » en protégeant son modèle social et en préservant « l’acquis social européen ».
La déclaration d’Athènes, issue de leur rencontre et signée, entre autres, par François Hollande et Matteo Renzi, ne met pas formellement en question le pacte de stabilité, qui limite les dépenses publiques, mais elle invite les Européens à prendre toutes les mesures nécessaires pour relancer l’investissement, promouvoir l’emploi, lutter contre le dumping fiscal et social.
Sans le dire explicitement pour ne pas froisser leurs partenaires allemands, les Sept souhaitent que l’UE en finisse avec les politiques d’austérité. « Les pays d’Europe du Sud connaissent des situations économiques qui méritent que l’on mette la croissance au cœur des priorités », a ainsi déclaré François Hollande dans la capitale grecque. Le président français a rappelé que Paris a « toujours fait prévaloir la priorité à la croissance » tout en respectant « un certain nombre de disciplines européennes, notamment en matière de réduction du déficit ».
Les pays du Sud demandent notamment un doublement du plan Juncker en faveur de l’investissement. « Nous avons besoin de mettre en place des mesures concrètes et pas seulement d’émettre des vœux pieux », a déclaré le premier ministre grec, Alexis Tsipras. Même si certains en Europe, et notamment en Allemagne, reprochent à François Hollande et à Matteo Renzi de se laisser instrumentaliser par le premier ministre grec, dont le pays reste sous la surveillance étroite de ses partenaires, la question de la croissance est bien, avec celle de la sécurité, au cœur de la nouvelle impulsion souhaitée par la plupart des dirigeants européens.

Le discours sur l’état de l’Union

Deuxième étape de la rentrée : le « discours sur l’état de l’Union » prononcé par le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, le 14 septembre. L’ancien premier ministre luxembourgeois a déploré l’état de décomposition dans lequel se trouve l’Europe. « Jamais encore je n’avais vu un terrain d’entente aussi réduit entre nos Etats membres, un nombre aussi réduit de domaines dans lesquels ils acceptent de travailler ensemble, a-t-il déclaré. Jamais encore je n’avais entendu autant de dirigeants ne parler que de leurs problèmes nationaux et ne citer l’Europe qu’en passant, pour autant qu’ils la citent ». Comment mettre fin à cette « crise existentielle » et obtenir des Etats membres qu’ils remédient à la « fragmentation » de l’UE ? Pour le président de la Commission, comme pour la plupart des dirigeants européens, l’un des domaines dans lesquels la coopération doit s’imposer est bien celui de la défense et de la sécurité. « Une Europe qui protège est une Europe qui défend, à l’intérieur comme à l’extérieur de son territoire », a-t-il souligné, ajoutant que, dans ce domaine, « l’Europe doit s’affirmer davantage ».

Mais le domaine-clé reste celui du progrès économique et social. « Nous devons admettre qu’il y a beaucoup de problèmes non résolus en Europe, a lancé Jean-Claude Juncker. A commencer par le chômage élevé et les profondes inégalités sociales ». Pour favoriser la croissance, il propose de doubler à la fois la durée et la capacité financière du plan d’investissement lancé il y a un an, qui passerait de 315 milliards d’euros à 630 milliards à l’horizon 2022. Le président de la Commission est surtout revenu, à plusieurs reprises, sur la question des droits sociaux, plaidant pour « une Europe qui préserve notre mode de vie » et qui défende la justice sociale. « L’Europe n’est pas le Far West, a-t-il rappelé, c’est une économie sociale de marché ».

La lutte contre le dumping fiscal

« Je ne peux pas accepter, et je n’accepterai jamais, que l’Europe soit et reste le continent du chômage des jeunes, a-t-il encore déclaré. Je ne peux pas accepter, et je n’accepterai jamais, que la génération du millénaire devienne, pour la première fois en 70 ans, plus pauvre que celle de ses parents ». Jean-Claude Juncker s’est fait aussi le champion de la lutte contre le dumping fiscal. « Chaque entreprise, quelle que soit sa taille, doit payer des impôts là où elle fait des bénéfices », a-t-il dit. Certes, « l’Irlande a le droit souverain de fixer comme elle l’entend son niveau d’imposition » mais « il n’est pas juste qu’une entreprise puisse se soustraire à un impôt dont le produit aurait pu bénéficier à des familles, à des entreprises, à des écoles et à des hôpitaux irlandais ». « La Commission est garante de cette équité, a-t-il affirmé. C’est l’aspect social du droit de la concurrence. Et c’est ce que défend l’Europe ».

Le langage social du président de la Commission a plu à la gauche. « Pour nous l’essentiel, c’est maintenant que ses engagements soient suivis d’actions communes », a déclaré le groupe socialiste du Parlement européen, avant d’ajouter : « Tout montre qu’il faut que l’Europe tourne rapidement la page de l’austérité, l’idée est de plus en plus partagée, la Commission doit l’entendre et agir ». Le président du groupe, l’Italien Gianni Pittella, s’est réjoui que le mot d’austérité n’ait pas été prononcé par Jean-Claude Juncker. Au même moment, le Parlement a adopté un rapport de l’eurodéputé socialiste français Guillaume Balas sur la lutte contre le dumping social dans l’Union européenne. « Une avancée majeure vers l’Europe de la convergence sociale », a commenté l’eurodéputé.