L’acharnement contre les Pussy Riot témoigne d’une dérive à l’iranienne

Après la condamnation à deux ans de camp des trois jeunes femmes du groupe Pussy Riot accusées d’avoir chanté une « prière punk » — « Marie, mère de Dieu, chasse Poutine « — dans la cathédrale du Christ Sauveur à Moscou, l’opposition s’est mobilisée pour dénoncer un verdict « disproportionné ». L’écrivain Viktor Erofeïev dénonce une dérive « à l’iranienne » dans un entretien accordé au site Spiegel Online. Le texte que nous publions ci-dessous est une adaptation du texte allemand. Les propos ont été recueillis par Matthias Schepp. 

 

Cette condamnation est une idiotie. Elle rappelle les époques les plus terribles de notre histoire. Ces jeunes femmes entreront dans l’histoire de la Russie au même titre que les simulacres de procès du temps de Staline dans les années 1930 ou le procès contre le poète Joseph Brodski. En 1964, Brodski a été accusé d’hooliganisme comme les Pussy Riot. C’était alors une question politique, comme c’est une question politique aujourd’hui.

Le verdict est una claque au visage de ceux qui veulent une Russie moderne, ouverte sur le monde. Je crains que cette folie ne s’arrête qu’avec l’arrivée au pouvoir d’une nouvelle génération d’hommes politiques.

L’alliance du sabre et du goupillon

Les Pussy Riot, avec leur « prière » de quarante secondes dans la cathédrale du Christ-Sauveur ont, d’une manière paradoxale et sans le vouloir, touché le talon d’Achille de la Russie actuelle : l’alliance de l’idéologie d’Etat et de l‘idéologie de l’Eglise orthodoxe. C’est le modèle iranien : l’imbrication de l’Etat et de la religion. L’action n’était pour elles qu’une provocation de plus. De même que le groupe Voïna, qui veut dire guerre, a projeté un immense pénis sur un pont de Saint-Pétersbourg, pour protester contre le pouvoir des services secrets. L’art a de nouveau envahi les rues en Russie, comme c’est le cas dans beaucoup de pays.

La Russie est à la croisée des chemins. Il y a peu de temps encore, il semblait qu’elle cherchait le chemin de l’Occident. Certes avec des détours et avec le fardeau de notre long passé autoritaire, mais tout de même le chemin vers l’Occident. Poutine a maintenant, en toute conscience, choisi l’Asie. Dans ma patrie, le mot « libéral » est devenu une insulte. Or ce sont les libéraux qui sont pro-occidentaux.

Une nouvelle utopie : "la civilisation orthodoxe"

Poutine a fait ce choix en réaction aux manifestations de masse [de l’hiver dernier].

Le Kremlin s’est détourné des valeurs européennes au profit d’un nouveau code idéologique : l’alliance de l’Etat et de l’Eglise. Sous le mot d’ordre de la « civilisation orthodoxe » une nouvelle utopie doit être créée. Dans un tel ordre religieux fondé sur l’orthodoxie, il est clair qui est l’ennemi et qui est l’ami. L’Etat a les leviers en main pour déterminer le climat moral et politique. Le renforcement de nombreuses lois depuis la réélection de Poutine à la présidence apparaît comme un retour de balancier après l’époque libérale de son prédécesseur, Dmitri Medvedev. Avec le procès des Pussy Riot, cette politique est devenue un programme visible par tous.

La voix du peuple

La terrible vérité, c’est que la majorité des Russes souhaitait une dure peine pour les Pussy Riot. C’est la voix du peuple. Les jeunes femmes devaient être mises en pièces. Ces gens ont des grands-pères et des grands-mères qui ont vu avec plaisir la cathédrale du Christ-Sauveur détruite par Staline [en 1931], parce que la religion était considérée comme l’opium du peuple. La cathédrale a été reconstruite dans les années 1990. La haine des adversaires des Pussy Riot vient de leur méconnaissance de la religion. Ils oublient que l’Eglise orthodoxe a une tradition de pardon. Les adversaires des Pussy Riot pensent que le verdict est encore trop clément. On dit que dans un pays islamiste, face à de tels faits, la réaction aurait été encore plus vigoureuse. Nous vivons ainsi une sorte de guerre civile cachée.

De l’autre côté, il y a la société éclairée. Elle n’accepte pas cette évolution. Elle n’est pas prête à céder au modèle iranien. Mais il y a aussi beaucoup de gens simples qui ne peuvent pas admettre cette situation. Ils veulent danser ; ils veulent des night club avec des filles aux seins nus. Ils y ont été habitués au cours des dix dernières années. Poutine a garanti la liberté dans la sphère privée. Chacun est libre de mener la vie qu’il veut. Qui veut être une pute, peut être une pute. Qui veut vivre dans un monastère, peut vivre dans un monastère.

C’est aussi cette liberté que l’Eglise voudrait remettre en question.