Donald Trump a promis « le feu et la furie » aux Coréens du nord s’ils mettent à exécution leur menace de s’en prendre à la base américaine de Guam, dans le Pacifique, ou à toute autre portion du territoire américain. Que ses propos aient été « improvisés », comme l’ont souligné ses porte-parole en cherchant à les minimiser, n’est pas fait pour rassurer. Bien au contraire.
Le président américain semble prendre un malin plaisir à brandir la foudre de ses armes, dont il nous dit, contre toute vraisemblance, que dans les six mois depuis son arrivée au pouvoir, il les a complètement modernisées. Faute de frapper en Corée, il serait prêt à intervenir militairement au Venezuela, à moins qu’il n’envisage ces deux guerres en même temps.
Les "adultes"
Heureusement qu’il y a à la Maison blanche, ceux qu’on appelle maintenant aux Etats-Unis, « les adultes », les conseillers qui ont quelques connaissances des pratiques diplomatiques – qui se recrutent d’ailleurs parmi les généraux dont Donald Trump se plait à s’entourer. Ils ont l’expérience de la guerre et ne la confondent pas avec un reality show. Le secrétaire d’Etat, Rex Tillerson, issu de l’entreprise privée, fait aussi partie des « modérés » qui plaident pour une solution diplomatique. Le problème est que Donald Trump ne parait écouter que qui bon lui semble. D’autre part, le Département d’Etat a été décimé après le départ d’Obama et les spécialistes, en particulier sur les dossiers asiatiques, n’ont pas encore été remplacés. Le poste d’ambassadeur américain en Corée du sud n’a toujours pas de titulaire. L’expertise fait défaut.
Les conditions nécessaires à une action diplomatique à la fois résolue et discrète pour désamorcer une crise aussi grave sont donc loin d’être réunies. Dans une large mesure, les rodomontades du magnat de l’immobilier qui occupe la Maison blanche ne font que masquer ces carences. C’est d’autant plus inquiétant que le dictateur nord-coréen Kim Jong-un pratique la montée aux extrêmes pour tester la résistance de l’adversaire, sans que du côté américain il ne semble y avoir de stratégie bien définie pour y répondre.
L’Alaska et Chicago
La Corée du nord a testé en un mois deux missiles balistiques intercontinental (ICBM) – l’un le 4 juillet, jour de la fête nationale américaine, l’autre le 28 juillet. Ces fusées, baptisées Hwasong-14, sont théoriquement capables d’atteindre le territoire des Etats-Unis de l’Alaska à la côte ouest et même Chicago. Selon des informations des services de renseignements militaires cités par le Washington Post, les experts de Kim Jong-un maîtriseraient la miniaturisation des têtes nucléaires afin de les installer sur ces missiles.
Le pire serait que, faute d’une stratégie diplomatique, les Etats-Unis se retrouvent dans une situation où ils n’auraient d’autre choix qu’une action militaire pour tenter de mettre un terme à l’escalade nord-coréenne. On notera qu’après avoir laissé entendre qu’ils pourraient toucher Guam avec des fusées à moyenne portée, les nord-coréens ont précisé que la prochaine étape serait des frappes « autour de l’île », se créant ainsi la possibilité d’un cran supplémentaire dans l’escalade de la tension.
« Toutes les options sont sur la table », a déclaré le général H.R. McMaster, conseiller à la sécurité nationale. Les armes sont « verrouillées et chargées », a renchéri Donald Trump, jugeant que ces propos sur « le feu et la furie » étaient peut-être trop « modérés ». Cela ne veut pas dire que les Etats-Unis s’apprêtent à employer la force mais que les moyens sont prêts pour le cas où…
Frappe préventive ou représailles
Plusieurs possibilités s’offrent à eux. Soit une frappe préventive sur les sites de missiles balistiques de la Corée du nord, soit la destruction en vol au moment du lancement d’un missile de ce genre voire un coup de semonce sur une base militaire. Il est peu probable que de telles mesures suffiraient à dissuader Kim Jong-un de poursuivre son programme nucléaire. De plus, les batteries d’artillerie classique nord-coréenne déployées le long de la ligne de démarcation peuvent, en représailles, causer des dégâts considérables dans la capitale sud-coréenne Séoul qui compte 25 millions d’habitants. L’ancien secrétaire à la défense de Bill Clinton, William Perry, était naguère partisan d’une frappe préventive. Il pense que c’est trop tard. Le programme nucléaire nord-coréen est trop avancé et les risques d’embrasement sont trop grands.
Reste la voie diplomatique. La Chine devrait y jouer un rôle essentiel. Le peut-elle ? Et le veut-elle ? Elle est la meilleure, sinon la seule, alliée de la Corée du nord. 90% du commerce extérieur nord-coréen passe par elle. Elle fournit à ce pays voisin des produits alimentaires et énergétiques. La frontière sur le fleuve Yalou est le véritable poumon de la Corée du nord. Tous les trafics, qui contournent les sanctions internationales, passent par là. Des organisations nord-coréennes plus ou moins clandestines sont basées en Chine pour faire les affaires qui rapportent au régime de Pyongyang les devises dont il a besoin. Pour nourrir en partie sa population mais surtout pour alimenter ses projets militaires.
Les dirigeants chinois disposent donc de moyens de pression sur Kim Jong-un. Sont-ils disposés à les employer ? Le vote chinois à l’ONU en faveur de sanctions renforcées contre la Corée du nord « change la donne », a déclaré le représentant français au Conseil de sécurité François Delattre. Jusqu’à quel point ? La Chine a annoncé qu’elle appliquerait strictement les nouvelles sanctions, ce qui n’a pas toujours été le cas dans le passé.
Toutefois elle récuse toute mesure qui pourrait mettre en cause la survie du système communiste de Pyongyang. Un « changement de régime », tel que les Etats-Unis sont accusés de vouloir l’imposer, aurait pour Pékin deux conséquences inacceptables : une vague migratoire de Nord-Coréens vers la Chine et l’arrivée des troupes américaines stationnées en Corée du sud jusqu’au fleuve Yalou. Le président Xi Jinping peut essayer de ramener Kim Jong-un à la raison. Il le fera dans les limites de ses intérêts nationaux.
« Double gel »
Il a proposé un « double gel » : du programme nucléaire nord-coréen, d’une part, de l’installation du système antimissiles américain THAAD (pour Terminal High Altitude Area Defense) et des manœuvres militaires communes américano-sud-coréennes (les prochaines doivent avoir lieu avant la fin du mois), d’autre part. A supposer que cette proposition soit acceptée par les deux protagonistes, ce qui est loin d’être le cas, elle signifierait que les Américains tolèrent au moins provisoirement l’existence d’une Corée du nord nucléarisée.
C’est ce que suggère Susan Rice, l’ancienne conseillère à la sécurité de Barack Obama : « L’Histoire montre, écrit-elle dans le New York Times, que nous pouvons, si nous le devons, tolérer des armes nucléaires en Corée du Nord », comme nous avons vécu avec l’arsenal nucléaire beaucoup plus important de l’URSS. Il ne s’agit pas de reconnaitre la Corée du nord comme puissance nucléaire mais de pratiquer une politique de containment (endiguement), telle que les Etats-Unis l’ont pratiquée à l’égard de l’URSS après 1947, en empêchant que Pyongyang ne développe son arsenal et ne transfère sa technologie militaire à d’autres Etats ou à des acteurs non-étatiques.
Pour Kim Jong-un, comme pour son père et son grand-père qui l’ont précédé au pouvoir, la possession d’une arme nucléaire est une sorte d’assurance vie, la garantie que son régime ne sera pas victime d’une "agression impérialiste". Le funeste sort de Saddam Hussein et de Kadhafi l’a renforcé dans cette conviction.
Quelles contreparties ?
Les Chinois n’agiront pas sans contrepartie. Pour voter la dernière résolution du Conseil de sécurité, ils ont obtenu que les travailleurs nord-coréens en Chine ne soient pas pénalisés. Une réduction de leur nombre aurait diminué une source de financement en devises du régime de Pyongyang. Même si Donald Trump tempête contre les pratiques commerciales de Pékin qu’il juge déloyales, il aura du mal à relever les droits de douane sur les importations chinoises aux Etats-Unis. Tout ce qui pourrait détériorer les relations sino-américaines irait à l’encontre d’une médiation réussie de Pékin dans la crise coréenne.
Toutefois, Xi Jinping voit plus loin. Son objectif est de refaire de son pays la première puissance mondiale qu’il était encore au début du XIXème siècle. Il ne se contente pas de sa deuxième place actuelle derrière les Etats-Unis. Pour y parvenir, il poursuit une politique d’influence dans la région Pacifique et au-delà avec constance et patience. Un conflit à propos de la Corée du nord irait à l’encontre de ses desseins. Il augmenterait l’engagement américain dans la région, pousserait les pays asiatiques à resserrer leur alliance avec les Etats-Unis et les plus importants, comme le Japon et la Corée du sud, à se lancer dans une course à l’armement nucléaire.
En Asie, la Chine avance ses pions avec une insistance mêlée de prudence. Elle doit apparaitre assez puissante pour impressionner ses voisins et les amener à accepter sa prééminence mais pas trop menaçante afin de ne pas les effrayer et les contraindre à chercher ailleurs des garanties de sécurité. Elle réussit plutôt bien cet exercice d’équilibrisme. Elle développe sa présence en mer de Chine du sud, transforme des îlots rocheux en bases militaires, crée des faits accomplis dans des îles à la souveraineté disputée. Et elle réussit à convaincre ses voisins qu’il vaut mieux pour eux de trouver un modus vivendi avec elle plutôt que de chercher à contrecarrer ses ambitions. Seul le Vietnam, rival héréditaire de la Chine, lui a résisté à la dernière réunion élargie de l’ASEAN (Association des nations du sud-est asiatique) qui s’est tenue début août à Manille (Philippines).
La fin du "pivotement"
En arrivant à la Maison blanche, un des premiers gestes de Donald Trump a été de mettre fin aux négociations sur un traité de libre-échange entre les Etats-Unis et justement les pays de l’ASEAN, soutenu par tous ses prédécesseurs. Ce que Barack Obama, qui voulait donner la priorité stratégique à la région Pacifique, appelait le « pivotement vers l’Asie », précisément pour contrebalancer l’influence grandissante de la Chine. Le mot « d’endiguement », appliqué à partir de la fin des années 1940 à la politique américaine vis-à-vis de l’Union soviétique, n’était pas prononcé mais c’est de cela qu’il s’agissait.
Le nouveau président a balayé d’un revers de main cette priorité. Il a été rattrapé par la réalité géopolitique et se retrouve maintenant englué dans une crise dont il ne sait pas comment sortir. Après avoir tenté d’amadouer Xi Jinping en lui offrant dans son domaine de Mar a Lago en Floride « la plus grosse tarte au chocolat jamais vue au monde » (sic), il peut bien s’indigner que « la Chine n’en fasse pas assez » pour convaincre Kim Jong-un. Il est probable qu’avant de prendre des risques le président chinois le laissera attendre aussi longtemps qu’il ne sera pas convaincu d’avoir à la Maison blanche un interlocuteur fiable.