Ils avaient rêvé d’une Europe des régions. Avec l’affaiblissement des Etats-nations, entraîné par les progrès de la construction européenne, ils imaginaient un partage du pouvoir entre « Bruxelles » et les communautés de base qu’étaient, à leurs yeux, les régions. En vertu du principe de subsidiarité, qui voulait que les décisions soient prises au plus près des citoyens, ils considéraient l’échelon régional comme le plus pertinent, notamment lorsque celui-ci correspondait, comme en Catalogne, en Flandre, en Corse ou en Bretagne, à l’expression d’une identité historique. Ces régionalistes étaient minoritaires en Europe mais ils avaient le sentiment que l’avenir leur appartenait et que la Communauté européenne en gestation répondait à leurs vœux.
La plupart d’entre eux se reconnaissent dans le manifeste publié en 1968 par le nationaliste breton Yann Fouéré, L’Europe aux cent drapeaux, qui plaide pour une Europe composée des « nations sans Etats » installées sur le continent européen. L’essayiste Denis de Rougemont, l’un des principaux champions du fédéralisme européen, n’a pas hésité à affirmer, en 1980 : « Contre l’Etat-nation, expression implacable et proprement catastrophique de l’utopie technocratique, une seule parade : le réveil des régions, le retour aux petites communautés de base, les seules réelles, les seules inoffensives ».
La recherche d’une plus grande autonomie
La région, conçue comme « espace de participation civique », lui apparaissait notamment comme la meilleure réponse aux défis écologistes. Notant « une profonde analogie de structure entre agression industrielle contre la nature et agression stato-nationale contre les communautés nationales ou ethniques », il ajoutait :
« La réaction contre l’agression industrielle s’appelle écologie. La réaction contre l’agression stato-nationale s’appelle région ». « Les Européens ne s’uniront jamais sur la base des Etats-nations, expliquait-il encore. Il s’agit, dans le cadre branlant des Etats-nations subsistants, de construire, de fomenter, d’animer des régions en tant qu’unités de base de la fédération européenne ».
Ces ardents défenseurs des identités régionales n’étaient pas des indépendantistes, à l’exception d’une minorité radicalisée qui prônait le séparatisme. Ils demandaient seulement à bénéficier d’une plus grande autonomie au sein de leur Etat d’appartenance et pensaient que le développement de l’Union européenne, en appelant au dépassement des Etats-nations, allait dans le sens de cette revendication. Ils continuent d’estimer que l’Europe, loin d’aller contre leurs idées, tend plutôt à les favoriser. C’est à l’échelon européen qu’ils ont commencé à se regrouper, dans l’Alliance libre européenne, née en 1981 sous la présidence du Corse François Alfonsi, qui s’est associée aux Verts au Parlement européen et compte une dizaine d’élus (dont certains, il est vrai, ont choisi de siéger dans d’autre groupes).
La politique régionale de l’UE
Les politiques européennes ont également mis l’accent sur les régions. Une politique régionale a été mise en place, notamment par la création du Fonds européen de développement régional (FEDER) en 1975. La naissance du Comité des régions, en application du traité de Maastricht, a confirmé la reconnaissance du niveau régional. Le site Vie publique.fr, édité par la Direction de l’information légale et administrative (ex-Documentation française), souligne ainsi que les régions « profitent incontestablement de la construction européenne pour s’affirmer face à leur tutelle étatique en prenant souvent Bruxelles comme interlocuteur, sans passer par leur pouvoir national ». Le même texte note que la création du Comité des régions a renforcé « cette tendance à dépasser le cadre étatique et à créer un lien direct entre régions et Union européenne ».
Est-ce à dire que l’Europe des régions a enfin vu le jour ? Il n’en est rien. La régionalisation engagée par l’UE ne s’est pas accompagnée d’une régionalisation politique. Le Comité des régions, organe consultatif chargé de représenter les collectivités locales et régionales, n’a pas été doté d’un pouvoir réel. Et les Etats-nations sont restés les piliers de la construction européenne. Après l’effondrement du communisme, l’indépendance acquise par les petites nations d’Europe centrale et orientale a montré que l’accès au statut d’Etat-nation était sans doute la façon la plus efficace de défendre les identités nationales.