La Commission tente de relancer l’Europe de la défense

La Commission européenne vient de rendre public un document de réflexion sur l’avenir de la défense européenne. Elle invite les Etats membres à mettre à profit l’éloignement des Etats-Unis sous la présidence de Donald Trump et le retrait du Royaume-Uni de l’UE pour avancer sur la voie d’une défense commune. Elle propose en particulier la création d’un Fonds européen de la défense, qui aiderait les Etats à coordonner leurs efforts d’équipement et à lutter contre la fragmentation des matériels de guerre. Cette proposition sera discutée par le prochain Conseil européen.

La création d’une Europe de la défense est, selon Pierre Moscovici, « le serpent de mer par excellence ». La relance d’une politique commune de sécurité est annoncée régulièrement sans dépasser le plus souvent le stade des discours. Une nouvelle initiative vient d’être lancée à Bruxelles qui pourrait peut-être changer enfin la donne. Elle fera l’objet d’une première discussion entre les chefs d’Etat et de gouvernement avant la fin du mois de juin.

« Cette fois-ci, c’est la bonne », affirme l’ancien ministre de l’économie et actuel commissaire européen aux affaires économiques et financières. Le fait nouveau, qui justifie l’optimisme de Pierre Moscovici, est la proposition de la Commission de mettre en place un Fonds européen de la défense, qui aurait pour mission d’aider les Etats membres à développer leurs capacités militaires et à rendre plus efficaces leurs dépenses d’équipement.

Un effet d’amorçage

« Le moment est venu, explique la Commission dans un document de réflexion sur l’avenir de la défense européenne, d’opérer au niveau européen un changement radical dans le domaine de la sécurité et de la défense ». Certes la plus grande partie des investissements militaires continueront d’être financés par les budgets nationaux. Mais le Fonds européen, doté d’un budget de 500 millions d’euros par an jusqu’à 2020, qui sera porté à 1 milliard après 2020 et abondé jusqu’à 5 milliards par les Etats, devrait permettre d’une part, en coordonnant les dépenses, de remédier progressivement à la fragmentation des matériels, souvent redondants d’un pays à l’autre, et d’autre part de stimuler les efforts des Européens, par un effet d’amorçage, dans le triple domaine de la recherche, du développement et des acquisitions.

Le montant du nouveau Fonds peut sembler faible si on le compare aux quelque 200 milliards annuels consacrés par les Etats membres à leurs dépenses militaires, mais il est censé donner une impulsion aux politiques européennes, tout en assurant une plus grande cohérence dans le but de réduire les coûts et d’éviter les doubles emplois. « C’est la première fois qu’on fait des efforts d’une telle ampleur », estime Pierre Moscovici, pour qui les Etats européens seront ainsi incités à « dépenser plus et mieux ».

Les circonstances semblent aujourd’hui propices à une telle révolution. D’abord parce que de nouvelles menaces ont surgi dans le voisinage de l’Union européenne et qu’après des décennies de paix, comme l’écrit la Commission, « de nouvelles réalités émergent à l’intérieur et à l’extérieur de nos frontières ». Ensuite parce que « la relation transatlantique a évolué et que les Européens ont pris conscience, depuis l’élection de Donald Trump, de la nécessité de compter sur eux-mêmes pour renforcer leur sécurité. Enfin parce que le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne va rendre possibles des avancées que les Britanniques ont toujours refusées.

Trois scénarios

Reste à savoir si les Etats sont vraiment prêts à s’engager dans la voie que la Commission tente d’ouvrir pour eux. De ce point de vue, les auteurs du document imaginent trois scénarios possibles, qui vont du plus prudent au plus unitaire. Le scénario minimal est celui de la simple coopération, c’est-à-dire la situation actuelle à peine améliorée. Dans cette hypothèse, « la coopération en matière de défense serait renforcée mais l’Union ne participerait que de manière limitée aux missions les plus exigeantes ». Le scénario intermédiaire, « Sécurité et défense partagées », plus ambitieux que le précédent, reposerait sur « la mutualisation par les Etats membres de certaines ressources financières et opérationnelles pour une solidarité accrue dans le domaine de la défense » et sur une plus grande intervention de l’Union dans la protection de l’Europe, sans aller jusqu’à une politique de défense commune.

Le troisième scénario, « Défense et sécurité communes », le plus fédéral, prévoit « la définition progressive d’une politique de défense commune ». Dans ce cadre, la protection de l’Europe serait placée sous la double responsabilité de l’Union et de l’OTAN. L’Union pourrait mener « des opérations de haute intensité », en s’appuyant sur une intégration plus poussée des forces de défense des Etats membres ». Elle soutiendrait des programmes conjoints en utilisant le nouveau Fonds européen de la défense et rendrait possible « un véritable marché européen de la défense ».

Une fenêtre d’opportunité

Il appartient aux chefs d’Etat et de gouvernement de choisir l’une ou l’autre de ces trois hypothèses. « La destination est connue, et les Etats membres tiennent les rênes, a déclaré le vice-président de la Commission pour l’emploi et la croissance, le Finlandais Jyrki Katainen, mais le moment est venu de décider à quel rythme nous voulons y parvenir ». Une « fenêtre d’opportunité » se présente, selon Pierre Moscovici, pour donner une nouvelle dimension à l’Union européenne. La Commission a ouvert le débat. Il serait dommage que les dirigeants européens ne s’en saisissent pas.