Recep Tayyip Erdogan a surpris ses partenaires occidentaux, comme il aime à le faire, en leur proposant de relancer les négociations sur l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne, en échange de la levée de son veto sur l’entrée de la Suède dans l’Otan. « Ouvrez d’abord la voie à la Turquie dans l’UE, leur a-t-il lancé à la veille du sommet de l’Alliance à Vilnius, alors nous ouvrirons la voie pour la Suède, comme nous l’avons fait pour la Finlande ».
Personne ne s’attendait à cette initiative en direction de l’Union européenne alors que les discussions sur l’adhésion de la Turquie, ouvertes en 2005, sont « au point mort » depuis 2019, selon une déclaration faite alors par le Conseil européen, et que la reprise des négociations n’est à l’agenda d’aucun des Etats membres. « La question de l’intégration de la Turquie à l’UE n’est aujourd’hui clairement dans l’esprit de personne », a déclaré au Monde un diplomate européen.
Le président turc a finalement renoncé à ce donnant-donnant, en annonçant, à Vilnius, deux jours plus tard, qu’il acceptait d’accueillir, à une date non précisée, la Suède dans l’Alliance sans lier son agrément à la réouverture des pourparlers avec l’Union européenne. Il n’empêche qu’en évoquant cette perspective Recep Tayyip Erdogan a remis la question à l’ordre du jour et laissé entrevoir la possibilité de renouer un dialogue interrompu entre Ankara et Bruxelles.
Cap à l’Ouest
« Erdogan met le cap à l’Ouest », écrit Marc Semo dans Challenges. Si ce tournant se confirme, estime notre confrère, « il constituera un changement majeur dans les équilibres de forces dans le Vieux continent ». Les observateurs ont noté avec intérêt que le chef de l’Etat turc a longuement rencontré à Vilnius, outre son homologue français Emmanuel Macron et le premier ministre grec Kyriakos Mitsotakis, le président du Conseil européen, l’ancien premier ministre belge Charles Michel, lequel a exprimé la volonté des Européens de « redynamiser les relations ».
Certes la relance des négociations n’est pas pour demain. « A moins qu’il y ait un changement de cap radical de la part du gouvernement turc, a affirmé la commission des affaires étrangères du Parlement européen,
le processus d’adhésion de la Turquie à l’UE ne peut pas reprendre dans les circonstances actuelles ». Cet avis est apparemment partagé par les Vingt-Sept. On connaît les objections formulées par les opposants à l’entrée de la Turquie.
La Turquie, soulignent-ils, ne fait pas partie du continent européen, elle n’en partage pas non plus les valeurs en raison du poids de l’Islam. En cas d’adhésion, elle deviendrait par sa population l’une des principales puissances de l’UE. Ces arguments méritent assurément d’être pris en considération. Mais ils n’ont pas été jugés assez déterminants par les Etats européens pour interdire l’ouverture des négociations en 2005. Ils n’ont pas empêché non plus la Turquie d’appartenir à l’Otan aux côtés de ses trente, bientôt trente-et-un, partenaires.
Démocratie et droits de l’homme
Non, ce qui est aujourd’hui inacceptable pour les Européens, c’est la dérive autoritaire du régime d’Ankara, les multiples atteintes à l’Etat de droit, le viol des libertés publiques, la répression contre la minorité kurde, les attaques contre la justice, le refus de la séparation des pouvoirs. L’évolution de la Turquie est directement contraire aux exigences de l’Union européenne et aux fameux « critères de Copenhague » qui définissent les conditions de l’adhésion. Recep Tayyip Erdogan ne l’ignore pas : la relance des pourparlers euro-turcs passe par une profonde transformation des institutions et des pratiques politiques d’Ankara.
Le président turc y est-il prêt ? A court terme probablement pas, mais à moyen terme, après sa réélection à la tête de son pays, il pourrait chercher des compromis avec les Européens pour ne pas rester, comme il l’a dit, « dans l’antichambre » de l’Union. En tout cas, si son offre est sérieuse, il sait que les Vingt-Sept attendent de lui des engagements solides sur la démocratie et le respect des droits de l’homme.
La guerre en Ukraine a créé une nouvelle donne. La Turquie a besoin de l’Europe pour redresser son économie tandis que l’UE a besoin de la Turquie dans la perspective d’une éventuelle médiation entre Kiev et Moscou. Une meilleure coopération entre Ankara et Bruxelles est dans l’intérêt des deux parties. Les Européens envisageraient, dit-on, des concessions dans le domaine de l’union douanière, de la migration et de la libéralisation des visas. En échange, ils pourraient accentuer leur pression sur les Turcs pour que ceux-ci reprennent le chemin de la démocratie.
Thomas Ferenczi